Chapitre 2

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Perdu dans les ruelles, Maître Renard allait et venait à la recherche d’indices. Il avait bien essayé de retrouver les traces qui l’avaient interpellé plus tôt, mais la foule avait sans doute piétiné les preuves : il n’y avait plus rien. Agacé, pensant commencer son enquête avec au moins ça, il se trouvait le bec dans l’eau. Il voulut changer de stratégie et compter sur son bagout pour trouver de l’aide : même s’il n’avait vu personne, peut-être qu’il y avait quand même eu des témoins ? Pressé de se disculper, il tapa à la porte des quelques voisins pouvant avoir vu quelque chose. Malheureusement, il ne trouvait que portes closes, sans jamais une seule réponse à ses suppliques. Soit l’endroit était vraiment désert, soit personne ne désirait aider un étranger dans ce coin-ci. Quelques curieux lui jetaient des regards intrigués, parfois courroucés, et il lui semblait être constamment surveillé. Mais pour l’aider, personne. Renard soupira. Il eut enfin une autre idée, et se dirigea d’un pas pressé vers une taverne à quelques pas d’ici. Elle était ouverte, et même déjà bien bruyante malgré l’heure matinale. Le jeune homme s’avança jusqu’au comptoir, s’assit, la mine basse, et demanda à boire.

« Quelque chose ne va pas, messire ? »

Une tête bienveillante se pencha vers le Renard, les yeux malicieux, de grandes oreilles fines fichées sur une chevelure en bataille.

« Je m’appelle Lièvre ! » se présenta le garçon d’un ton enjoué. Renard se mordit la lèvre pour retenir un rire. Quelle ironie ! La seule personne qui ne le craignait pas était ce genre de proie ! Cependant, avec son air sincère et son sourire amical, il plut aussitôt à Renard.

« J’ai bien peur que ma présence tout entière n’aille pas, mon ami… » soupira Renard, jetant un œil à son verre.

« Ne vous en faites pas, je suis sûr que tout va s’arranger ! » répondit le lièvre, assuré.

Le goupil releva le regard vers son nouveau camarade qui s’était assis juste à côté de lui. Était-il du genre inconscient ou n’avait-il peur de rien ? Il ne le savait pas trop, mais il ne put se retenir de lui rendre un sourire. Le jeune homme le salua de la tête, tout content.

« Vous êtes celui qui a été accusé ce matin, c’est bien ça ? »

Renard acquiesça. Il baissa encore le visage, ses longues mèches orange formant un rideau lisse et éclatant entre eux. Lièvre en profita pour l’admirer, contempla ses bijoux et les tissus exotiques de ses vêtements, mêlés de soie, d’or et de pierres précieuses.

« Pourquoi donc un renard tel que vous aurait besoin de voler un fromage… ? »

Lièvre avait posé cette question à voix haute sans trop réfléchir, comme un murmure à lui-même. Aussitôt, Renard se redressa et le regarda fixement.

« Vous me croyez si je dis que je suis innocent ? »

Lièvre hocha la tête avec conviction. Renard fit un petit sourire, se lécha le doigt mouillé par une goutte d’alcool. Quel genre de Lièvre pouvait bien croire un Renard ?

« Vous me redonnez un peu d’espoir... répondit-il enfin, souriant.

— Je pourrais vous aider, si vous voulez ? »

Renard acquiesça, ravi. Il n’avait même pas à le demander.

« Si jamais vous entendez quelqu’un qui parle de cette affaire… »

Lièvre secoua la tête, triste.

« Hormis pour vous insulter, je n’ai rien entendu pour l’instant… »

Renard baissa la tête à nouveau, comme écrasé par les paroles des diffamateurs. Il pensait bien pouvoir trouver des indices par ici, mais inutile d’interroger tous les soiffards du coin : Lièvre semblait être le plus au courant de cet endroit. Et le plus bienveillant aussi. Mais, déception ultime, il n’était au courant de rien. Sans rien dire de plus, Renard termina son verre. Son nouveau compagnon lui posa une main rassurante sur l’épaule.

« Si jamais je trouve quelque chose, je promets de vous le dire ! »

Maître Renard hocha la tête pour le remercier et se leva aussitôt. Les paroles insouciantes du Lièvre lui avaient redonné espoir, et il comptait bien en profiter. Il le salua respectueusement, un peu trop peut-être pour un Lièvre roturier, puis s’écarta rapidement, laissant le jeune garçon surpris le regarder s’éloigner.

De retour dehors, il épousseta son long manteau, remonta légèrement la manche recouvrant entièrement l’un de ses bras et tombant jusqu’au sol. Son allure étrange pouvait surprendre dans ce petit village, dans ce pays. Pourtant, il ne comptait pas laisser l’histoire se terminer comme ça.

De nouveau à côté de la maison de Dame Corbeau, Renard jeta un coup d’œil aux alentours, fixa la fenêtre désormais close d’où il était descendu quelques heures plus tôt. La maison était silencieuse, et la Dame ne semblait plus présente. Le jeune homme souffla, essaya de retrouver son calme et d’apporter plus d’attention à la scène du crime. Il avait dû rater quelque chose. Lentement, il décomposa les étapes possibles du vol. L’ouverture n’était pas bien grande, et, même ouverte, n’était pas simple d’accès. Comment un voleur pouvait-il s’introduire jusque là, sortir avec un fromage de bien vingt kilos, et ce, sans aucun bruit ? Et d’ailleurs, pourquoi un fromage ? Bien sûr, l’appétit de certains voraces pouvait expliquer ce genre de larcin, mais la personne devait être au courant de ce qu’il y avait à prendre. Après-tout, il y avait des choses de bien plus grande valeur dans cette chambre… C’était donc quelqu’un qui avait un but bien précis. Et d’une gourmandise bien plus grande que le désir d’argent. Renard se frotta les lèvres de son index, en pleine réflexion. Il se rapprocha de sous la fenêtre, examina méticuleusement le sol, sans se presser. Les empreintes n’y étaient plus, mais le sol avait été tassé et comportait encore des marques. Renard s’accroupit encore, écarta quelques herbes couchées, révéla quelques miettes oranges. Était-ce l'indice qu'il cherchait la dernière fois ? C’était des miettes de fromages, sans aucun doute… ou plutôt ce qu’il en restait après le passage de plusieurs dizaines de personnes. Le Maître se redressa, croisa les bras tout en s’imaginant le chemin possible du voleur. Il remonta un peu le long des buissons, se pencha à chaque arbuste, à chaque touffe d’herbe suspecte.

D’un coup, quelque chose attira son attention. Une tache noire, une chose étrange et légère ondulant à chaque souffle du vent. Renard s’approcha rapidement, tendit le bras à travers une petite clôture de bois et attrapa l’indice. C’était doux, duveteux, et lui rappela aussitôt son amante. Des plumes noires. De corbeau sans doute. Le jeune homme les regarda attentivement, les empêchant de s’envoler avec attention. Cela pouvait paraître normal de trouver des plumes de Dame Corbeau à quelques pas de chez-elle, mais ces plumes avaient une teinte étrange, terne. Triste. Avant même de pousser son analyse, un bruit le tira de ses pensées.

« Hey toi, tu fais quoi en train de fouiller chez les gens ? »

C’était l’un des hommes qui, depuis ce matin, trainaient autour de lui avec méfiance. Ce dernier n’était d’ailleurs pas seul et une petite troupe se formait derrière lui.

« On t’a pas dit qu’on aimait pas trop les voleurs, par ici ? »

Renard ne répondit pas, les oreilles droites, la posture alerte mais sans aucune défiance.

« C’est quoi ton problème ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?! »

Renard baissa légèrement le visage. L’un de ses yeux était toujours caché par ses cheveux, mais l’unique visible semblait luire d’une sourde rage, d’une fierté qu’il tentait vainement de réprimer. Enfin, il sourit d’un air amical.

« Messieurs, croyez-moi, je ne suis pas venu chercher querelle !

— Et si j’ai envie, moi, de la trouver, la querelle ? répliqua aussitôt l’homme.

— Je ne peux pas me battre avec vous, sinon je serais aussitôt arrêté.

— Quel dommage ! »

Les hommes se resserrèrent tout autour de lui en riant, lui coupant tout chemin de repli. Maître Renard jeta un regard vers les hommes derrière lui, inquiet.

— Allons, allons. Je suis certain que nous pouvons trouver un terrain d’entente…

— On va régler ça, ici, tout de suite, grogna l’un des assaillants.

Aussitôt, ce dernier se rua vers Renard, qui s’écarta d’un geste rapide, le laissant tomber sur autre homme qui campé sur le côté. On l’agrippa par-derrière, lui tira les bras en arrière. Profitant de son impuissance, un autre lui asséna un coup violent au ventre. Renard se plia en deux sous le choc, le souffle coupé. Sa tête vacilla un instant, puis il poussa un cri de rage pour se reconcentrer. Il se tourna pour cogner l’homme qui lui agrippait les poignets. Libéré de l’étreinte, il ne put esquiver un coup au visage qui le fit reculer. Instinctivement, il tira violemment sur sa longue manche, traînant par terre et qu’un homme piétinait, pour envoyer ce dernier voler plus loin. Le petit groupe se calma, reprit ses positions avec plus de prudence. Le jeune renard en profita pour essuyer le sang sur sa lèvre, pour dégourdir son bras caché et affaibli. Ses anciennes blessures s’étaient réveillées, le lançaient avec douleur, mais il fit mine de les ignorer. Presque par coquetterie, il vérifia si sa longue mèche de cheveux cachait encore son œil gauche. Il l’était. Soudain, on le coupa.

« Qu’est-ce que tu fais avec ça ?! »

Un cri l’interpela, et un autre homme se rua vers lui, tout de noir vêtu, comme tombé de nulle part. Ce dernier ne cherchait pas à le frapper, mais lui arracha plutôt, d’un coup, les plumes noires qu’il avait gardées dans la main.

« Ce sont les plumes de Dame Corbeau, sale voleur ! » continua de crier l’homme en noir. La vue brouillée, le cœur battant, Renard mit quelques secondes avant de reconnaître le garçon de ce matin, celui qui défendait si ardemment la jolie noble.

« Je les ai trouvées par terre… murmura presque Renard, interloqué.

— Tu n’as rien à faire avec ! »

Tout le monde regardait le nouvel arrivant, interdit. Ce dernier, sans plus d’explication, s’écarta d’un mouvement furieux et s’éloigna à grands pas. Des personnes, attirées par l’attaque, murmuraient encore sur la drôle de tournure des choses.

« Il a encore volé des affaires à Dame Corbeau… ? osait un enfant à sa mère, curieux.

— Que se passe-t-il encore ? »

Une voix divisa la foule qui s’écarta rapidement, ne désirant sans doute pas s’attirer les foudres des gardes. Seul Renard resta debout, interdit. Quelque chose l’avait interpelé, et il fixait avec intérêt devant lui, ignorant les insultes de ses attaquants qui s’écartaient eux aussi, la queue basse.

« Vous faites encore des problèmes ? »

C’était Coq qui, attiré par le bruit, était revenu rapidement. Ce dernier replaçait ses lunettes d’un air courroucé, s’avançait d’un pas décidé jusqu’à la scène. Renard regarda autour de lui, de nouveau tout seul. Il secoua la tête en soupirant.

« Des personnes m’ont attaqué, messire. »

Coq jeta un œil sur son visage blessé et hocha la tête sans rien dire.

« La population ne vous simplifiera pas la tâche. »

Le goupil lui jeta un air surpris, étonné par la douceur de sa voix. Finalement, Coq n’était pas autant contre lui qu’il pouvait le penser. Renard lui fit un signe de tête pour le remercier.

« Je dois faire tout de même mon devoir, continua le jeune rouquin.

— Et moi aussi, répondit Coq. Croyez-moi que votre affaire est bien étrange…

— S’il vous plaît… Pouvez-vous me dire où se trouve Dame Corbeau ? »

Le coq secoua la tête d’un air sévère mais franc.

— Elle est repartie dans sa demeure. Sa vraie demeure.

— Elle a dit quelque chose à propos de moi ? »

Coq répondit à nouveau par la négative. Renard baissa les oreilles d’un air triste.

« Concentrez-vous sur vos recherches, conclut Coq. J’aimerais vous croire, mais sans preuve, je dois me résoudre à vous considérer comme un coupable.

— Pourtant je fais tout pour le prouver.

— Oui… Mais déjà, je vois les chiens au loin prêts à vous mordre… »

Renard pencha la tête sans comprendre la métaphore, puis sourit, décidé.

« Mes ennemis ont toujours été nombreux.

— Je le pense aussi. Vous semblez autant attirer les faveurs que les jalousies. »

Un silence s’installa, puis Coq continua.

« Bien. Je veillerai à ce que personne d’autre ne puisse vous agresser. Profitez-en pour continuer à enquêter. »

À ces mots, il le salua d’un geste et s’en retourna, ses belles plumes multicolores flottant dans le vent. Renard le fixa quelque temps, songeur. Enfin, il regarda autour de lui, comme pour se rappeler où il en était de son affaire.

Il jeta un coup d’œil à sa main, désormais vide de tout indice, et lança un regard vers la rue. L’homme qui était venu lui prendre ses seules preuves s’était dirigé tout droit vers une maison à quelques pas d’ici. Une grange rénovée qui passait inaperçue, cachée dans une petite ruelle à quelques mètres de là. Il s’en approcha, fit le tour sans rien trouver : la porte était fermée, et seule une fenêtre sale semblait apporter de la lumière à l’intérieur, mais de toute façon pas assez pour pouvoir distinguer quoi que ce soit. Il ne pouvait rien en tirer.

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