Chapitre 1

8 minutes de lecture

Introduction : Cette histoire et toutes les histoires insirées par La Fontaine ici, font parties d'un même univers, celui de Fabulous. Gouvernés par des humains/animaux (humains avec des caractéristiques animales), ces récits font directement suite à la collection de BD décrivant cet univers.
Pour en savoir plus : http://acryline.tictail.com/

Tout le monde connaissait la fable du Corbeau, mais peu connaissaient vraiment Renard. Alors que ce dernier, après une mésaventure que je vous conterai tout à l’heure, errait dans les bois, il fit la connaissance d’une belle Dame Corbeau au caractère triste et farouche. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler l’histoire, mais cela se terminait relativement bien, dans une apothéose de plumes et de fromage dégringolant d’un arbre et tombant tout droit dans les bras de Renard. Et bien sûr, le filou en profita.

Mais ce que vous ne savez pas, c’est que ce début de romance improbable entre un corbeau et un renard était aussi le début d’une affaire bien plus compliquée. Reprenons donc ce récit du départ :

Maître Renard, tout d’orange vêtu, était un galant homme venu des lointaines terres de l’Est aux étranges coutumes. D’une belle apparence et d’un bagout évident, il n’avait rien à voir avec les renards de bas étage vils et menteurs qu’on pouvait connaître. D’un beau pelage, d’un bon pédigrée, il avait tout des nobles des terres d’ici, et ne comptait pas s’effaroucher au premier sang bleu venu. Donc, quand il tomba sur Dame Corbeau, il lui semblait évident que lui parler était la meilleure chose à faire.

Dame Corbeau, quant à elle, était perchée sur son arbre avec sa nostalgie habituelle. Délaissée de tous – enfin presque, morne et amère, elle ne pensait pas qu’un Renard pouvait bien s’intéresser à elle.

« Êtes-vous un ange ? »

La méthode pour l’aborder était, certes, plutôt osée. Renard savait que la flatterie n’était pas toujours bien reçue, mais il fallait dire que Dame Corbeau, toute de plumes vêtues et perchée là-haut, semblait entourée d’un halo lumineux et de toute beauté. Bref, s’il y avait une méthode meilleure pour l’approcher, il n’y avait pas vraiment pensé.

Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ; et plutôt qu’un fromage, Renard préféra le corbeau tout entier.

« Car c’est toi que je veux dévorer ! » lui murmura-t-il, la dame conquise enfin dans ses bras. Et il l’embrassa avec ardeur, comme jamais Dame Corbeau ne fut embrassée.

Renard suivit ensuite la Dame jusqu’à chez elle, et leur nuit fut bien remplie. Bien sûr, la bienséance ne permet pas de pouvoir en parler en détail, mais sachez que jamais Dame Corbeau ne se sentit plus aimée, plus apprivoisée qu’entre les mains de Renard ; et quand ce dernier lui susurrait à l’oreille des paroles merveilleuses, les derniers remparts de son cœur s’effritaient enfin. Elle qui n’avait jamais connu le bonheur pouvait se laisser rêver sans retenue. Et cela lui fit le plus grand bien. Pourtant, le malheur devait bien s’abattre sur ce couple parfait.

++++++++

Maître Renard se réveilla pendant la nuit à cause d’un courant d’air soufflant sur son visage. Il lui semblait avoir entendu un bruit sourd et, tiré du sommeil avec inquiétude, il s’était redressé dans le noir. La fenêtre avait été ouverte, pourtant fermée la veille cru-t-il se souvenir. Un rayon de lune se reflétait à travers la vitre, tombait sur la silhouette de Dame Corbeau. Elle dormait à ses côtés, le souffle apaisé, ses cheveux noirs emmêlés sur l’oreiller. Renard se leva, enfila silencieusement quelques habits et se dirigea vers la nuit. Déjà dehors, les étoiles s’effaçaient et le ciel se colorait lentement, la rosée matinale se déposait sur les plantes avec délice. Sans faire attention au spectacle du levant, Renard se pencha à la fenêtre et fixa le sol mouillé. Quelqu’un avait laissé des traces de pas juste en dessous et, malgré le noir, même Renard arrivait à le voir. On avait piétiné, attendu et même grimpé jusqu'à la fenêtre, et des traces humides de pieds séchaient déjà à moitié sur le mur de pierre. Personne à l’horizon. Un peu plus loin les rayons naissant faisaient apparaître d'autres traces, ainsi que quelques étranges miettes qui semblaient l’appeler. Intrigué, inquiet et un peu aventurier, le jeune homme se glissa par la fenêtre pour suivre la piste sans un mot. Qui a bien pu monter jusqu'ici à cette heure ? Il tomba au sol, les pieds nus, jeta un œil sur la ruelle juste à côté de la petite maisonnée. C’était une petite bâtisse à l’orée de forêt mais aussi de village, qui donnait directement sur les rues pavées. Renard se concentra, chercha du regard l'étrange chemin tout droit créé. À peine plus loin, d'autres traces se dessinaient dans l'herbe, et le renard s’y empressa.

Pourtant à peine eu-t-il le temps de faire quelques pas que le rouquin tomba nez-à-nez sur une silhouette qui lui barra le passage. Le filou n’y fit pas attention, continuait à regarder plus loin vers ce qui l’intéressait, mais l’homme ne semblait pas vouloir s’écarter. C’était une personne plutôt bien habillée, avec un panache sur le crâne et de petites lunettes rondes fixées sur le nez. Ce dernier racla la gorge, comme pour le ramener à la réalité. Renard, forcé à enfin le regarder, fut presque aveuglé par cette apparition en contrejour, éclairée par le soleil naissant, et recula, inquiet. Il jaugea enfin la situation, comprenant qu’il pouvait porter à confusion : lui, à moitié nu, descendant par la fenêtre d’une maison éteinte…

Et finalement, il se trouva en bien mauvaise posture.

« Qui êtes-vous ? Que faites-vous ?! » demanda enfin la personne, surprise.

Maître Renard tendit les mains en signe de paix, se recula encore jusque contre le mur. Il allait répondre quand un cri surgit de la chambre au dessus.

« Au voleur, au voleur ! On m’a volé mes affaires !!! »

Maître Renard baissa les oreilles, comme pris en faute. L’homme en face de lui se redressa et appela de l’aide : un voleur venait d’être attrapé, en plein flagrant délit de fuite.

« Au nom du Roi, je vous arrête !

— Je… je suis innocent ! glapit Renard. »

Il ne savait pas innocent de quoi, mais c’était les paroles les plus logiques qu’il trouvait à dire.

« Comment… Comment as-tu pu me tromper de la sorte ?! Où l’as-tu caché ?! »

Une voix énervée s'éleva au-dessus d'eux, sortant par la fenêtre entrouverte. C’était Dame Corbeau, qui arriva enfin en trombe jusque dehors, à moitié habillée et hurlante de colère. Elle s’approcha de Renard, tambourina son torse de ses poings avec rage.

« Sale voleur, où tu l’as mis ?!! »

Abasourdi, Maître Renard essaya de mettre de l’ordre dans son esprit. Enfin, il répliqua.

« Je n’ai rien pris, je te jure !

— Comment ai-je pu être aussi stupide… Pourquoi est-ce que je t’ai cru ?! »

La dame se cacha le visage, effondrée, les cheveux dépeignés et les joues rouges, des larmes de rage illuminant ses beaux yeux.

Renard lui attrapa les épaules, plongea son regard dans le sien avec une sincérité inquiète.

« Mais de quoi parles-tu ? La fenêtre était ouverte, j’ai voulu voir quelque chose et…

— Et vous êtes descendu sans vos chaussures ? »

Renard regarda ses pieds plantés dans l’herbe, salis par la terre. Il reprit cependant un peu d’assurance, repoussa l’une de ses mèches rousses d’un geste.

« Puis-je savoir à qui ai-je l’affaire ? » dit-il enfin d’un ton franc.

L’homme en face lui jeta un regard surpris, puis hocha la tête.

« Je suis Coq, le crieur public. Je suis assermenté par le Roi.»

Renard soupira. On ne pouvait pas faire pire… D’ailleurs, plusieurs personnes se pressaient autour d’eux, ameutées par les cris.

« Je ne suis pas un voleur. Et d’ailleurs, si je n’ai pas eu le temps de mettre mes chaussures, comment aurais-je eu le temps de cacher mon butin ? »

Renard fixa le Coq, déterminé à prouver son innocence. Dame Corbeau recula, interdite.

« Mmmmh, et qu’est-ce qui a été volé, ma Dame ? » demanda Coq, regardant autour de lui. Déjà, les curieux autour d’eux murmuraient et faisaient des paris sur l’affaire. Impossible alors d’y voir grand-chose.

« Un fromage… murmura Dame Corbeau, un peu honteuse.

— Un fromage ? répéta Coq, surpris.

— Un fromage de très grande valeur ! » reprit-elle, haussant le ton.

Coq resta immobile, semblant réfléchir.

« Un vol est un vol, continua-t-il. Et c’est d’autant plus grave quand cela concerne une personne de haute noblesse comme Dame Corbeau. »

Renard baissa à nouveau les oreilles. Visiblement, on ne voulait pas l’écouter. Il n’y avait vraiment aucune logique à tout ça !

« Mais dites-moi où il serait ?! » répéta Renard.

Un homme à côté de Dame Corbeau et à l’air taciturne s’avança, révolté. Renard ne savait pas qui il était, et ne l’avait même pas vu venir.

« Tais-toi, sale voleur ! Tu dois payer pour ton forfait ! »

Le jeune homme, d’un teint à l’origine plutôt blafard, était rouge de colère. Dame Corbeau lui jeta d'ailleurs un regard surpris, puis fixa Renard en serrant les poings. Sa rage semblait remonter tout au fond d’elle, encouragée par ses défenseurs outrés. L’accusé n’avait plus la force de la raisonner.

« Je suis innocent… continua le rouquin, désespéré.

— Où est-ce que tu as mis le fromage ?! »

L’homme continuait sans s’arrêter, visiblement prêt à protéger Dame Corbeau coûte que coûte. Il était habillé tout de noir lui aussi, maigrelet et maladif. Renard se mit à réfléchir. Ce n’était après-tout pas une si mauvaise idée. Retrouver le butin pourrait peut-être le disculper et l’aider à trouver le véritable voleur. Le jeune accusé n’aimait pas les injustices, et il en avait déjà trop vécues pour l’accepter aussi facilement. Voyant que cette discussion ne menait à rien, il répliqua d’un coup, les poings serrés.

« Donnez-moi un jour. Une journée seulement ! Et je retrouverai ce voleur. »

Renard regarda Coq avec insistance, alors que la foule pressée autour d’eux murmurait, inquiète.

Le coq parut réfléchir, hésitant. Il jeta un œil sur Renard, sembla jauger sa sincérité et sa conviction. Enfin, il se laissa fléchir.

« Tu as jusqu’à ce soir… Retrouve le fromage, retrouve le coupable. Et tu seras libre. Sinon… »

Le jeune homme hocha la tête, le front haut, le visage fier.

« Je suis innocent et je vous le prouverai ! »

Renard jeta un dernier œil vers Dame Corbeau qui, immobile, lui lança un regard glacial. Elle ne criait plus, mais déjà son cœur semblait à jamais perdu. Dépité, Renard fixa le sol avec tristesse sans faire attention à la foule qui se dispersait lentement en piaillant. En un clin d’œil, sans même comprendre ce qui s’était passé, il était devenu un criminel délaissé.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Alyciane Cendredeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0