Chapitre 60

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Les cours du lundi matin, une véritable torture. C’était sans doute les deux plus longues heures de sa semaine. Alors ce fut un véritable soulagement de voir le prof se lever enfin pour les libérer.

La moitié des gens sortirent de la classe, et les autres restèrent pour discuter en petits groupes.

Alec reçut une tape derrière la tête.

— Aïe, putain !

Il se retourna pour voir qui était l’enculé qui lui avait fait ça, et il ne fut pas du tout étonné de voir la tête de con de Matthieu. Il arborait un grand sourire et le fixait avec ses gros yeux.

— Tu m’as dit que t’en avais marre que je te bousille l’épaule. Donc j’ai changé d’endroit pour te taper !

Alec leva les yeux au ciel.

— Tu sais, c’est à cause de l’existence de cas désespérés comme toi que j’crois pas en Dieu !

— Fais gaffe, hein ! Tu sais ce qu’ils disent sur les pédés dans la Bible !

— Ah ouais ? Alors pourquoi Jésus a deux pères ?

Matthieu souffla du nez, visiblement soûlé. Il haussa les sourcils et fit une tête de dépressif, en exagérant complètement ses mimiques.

Et il réussit à faire rire doucement Alec.

— D’ailleurs, ça te dit de venir avec moi à la sortie des cours ?

— Pour faire quoi ? demanda Matt.

— J’dois acheter une batterie externe pour mon portable.

— Tu soûles, j’ai cours de piano ce soir !

— Mais ça prendra deux minutes, vraiment !

— T’as de la tune, au moins ?

— Ouais, t’inquiète pas.

Matt n’écouta même pas la réponse d’Alec, il était trop occupé à regarder ailleurs. Il avait un doigt posé sur son front et fronçait les sourcils. Il avait l’air préoccupé par quelque chose.

— Ça va ? lança Alec.

— Nan.

Il fut surpris par sa réponse. Matt avait toujours les yeux rivés sur le côté, alors Alec se décida à regarder dans la même direction que lui : Jordan était adossé au mur, à l’autre bout de la classe, et il parlait à Marion…

Ils étaient trop loin pour qu’il entende quoi que ce soit, mais il pouvait voir que leurs visages étaient fermés, il y avait une sorte de gravité dans leur expression, et ils avaient tous les deux l’air un peu gênés.

Alec et Matthieu se regardèrent, amusés.

— Tu penses qu’elle lui dit quoi ? lança Matt.

Alec ne put retenir un petit sourire.

— Je crois que je sais…!

— Comment ça ?

— Bah… En gros, pendant le voyage en Chine, ils s’entendaient pas super bien, et il l’avait même traitée de grosse devant tout le monde.

Matthieu leva les yeux au ciel.

— Et ensuite ?

— Y a quelques jours, Jordan est venu me voir et il m’a dit qu’il voulait que je transmette ses excuses à Marion.

Là, Matthieu se redressa sur sa chaise et se pencha vers Alec, tout en gardant un oeil sur Jordan et Marion. Il avait compris que l’histoire s’annonçait croustillante, et il adorait savoir des choses sur les gens.

Il mit sa main devant sa bouche, comme s’il avait peur que quelqu’un vienne les espionner.

— Mais il aurait jamais été capable de faire ça ! souffla-t-il.

— Je sais, c’est ça qui est dingue ! Et le pire, c’est que Marion m’a aussi avoué avoir des sentiments pour lui !

— Oh putain ! Tu crois qu’ils nous cachent quelque chose, les deux-là ?

Alec se pencha à son tour vers Matthieu, il avait un sourire jusqu’aux oreilles, qui découvrait ses dents.

— Ouais, carrément ! Et j’ai l’impression que ça fait un bout de temps que ça dure entre eux !

— Faut que t’ailles parler à Marion, après !

— T’es malade ? C’est sa vie privée, j’vais pas faire ça…

Matthieu asséna un coup à l’épaule d’Alec.

— Mais c’est ta pote, c’est ton devoir d’aller lui en parler !

— Imagine juste un couple Marion et Jordan. Ça serait ouf, ils ont pas du tout l’air d’être faits pour être ensemble !

— Un peu comme toi et Ruben !

Le sourire d’Alec disparut aussitôt. Son visage se décomposa, et son regard se mit brusquement à fuir et à se perdre dans le vide.

Il savait que c’était con comme réaction, il aurait voulu faire semblant, montrer que ça ne le touchait pas, mais il n’y arrivait tout simplement pas… Sauf qu’il n’avait aucune envie de se taper un interrogatoire de la part de Matthieu, qui bien sûr avait remarqué son changement brutal d’humeur.

— Ah merde, désolé… bredouilla son meilleur pote.

— T’inquiète pas, c’est rien…

— Vous avez pas reparlé du week-end ?

— Un peu le samedi soir, je lui ai dit que j’avais plus de batterie, et il m’a dit qu’il s’en foutait, et il s’est cassé. Après, plus rien jusqu’à maintenant.

Matthieu posa sa main sur l’épaule d’Alec pour le rassurer, la même épaule qu’il s’amusait tant à meurtrir.

— Ça va aller. Il faut juste que tu gardes confiance en lui, je suis sûr qu’il reviendra.

— Comment tu peux en être sûr ? Même moi je sais pas ce qu’il va faire, et pourtant j’le connais beaucoup mieux que toi !

— Je le sais, c’est tout.

— Tu dis ça juste pour me faire plaisir…

Matthieu ne répondit pas, et retira sa main. Il le regarda, désolé. Lui aussi avait l'air impuissant cette fois-ci. Parce que c’était impossible de savoir ce que Ruben prévoyait de faire, quand et comment ils allaient se revoir, et ce qui pouvait se passer…

La journée fut cruellement longue. Alec eut beaucoup de mal à écouter les cours, il n’arrêtait pas de se passer des films dans la tête et de s’imaginer les pires scénarios possibles pour les retrouvailles avec Ruben. Il se dit qu’il lui enverrait un message le soir, et qu’il verrait ce qu’il ferait en fonction de sa réponse.

Matthieu essaya de le rassurer et de lui faire penser à autre chose, histoire de le détendre. Il trouva des tas de sujets de discussions, s’amusa à lui mettre des bouts de gomme dans le col, à lui caresser les cuisses pour voir si ça le faisait bander…

— Putain mais t’es sérieux ?

— Avoue que j’te fais de l’effet ! fit Matt avec un regard pervers.

— Tu me fais surtout flipper, là.

Et Alec arriva même à oublier Ruben pendant une heure d’affilée, lors du cours de Maths. Ça lui faisait du bien de s’évader un peu, d’arrêter de dramatiser la situation et de continuer à vivre sa vie normalement.

Mais quand la sonnerie retentit, synonyme de sortie des cours, son anxiété réapparut soudainement. Son coeur fit un bond et il se redressa brusquement.

Sans réfléchir, il fit son sac le plus vite possible et se barra sans attendre Matt. Il se précipita dans les escaliers et marcha rapidement jusqu’à la sortie.

Il avait le coeur qui battait la chamade. Il avança un peu, fébrile…

Ruben était au bout de la rue.

Alec se mit à sourire doucement. Il marcha encore plus vite, n’hésitant pas à bousculer un peu les gens. Il n’avait aucune idée de ce qui allait se passer, mais ce n’était pas grave, au moins il le revoyait, et ça suffisait amplement à le soulager.

Il arriva enfin à lui.

Ruben n’avait pas du tout l’air comme avant, ses mains étaient derrière son dos, il n’osait pas le regarder en face et fixait le sol, un peu honteux. Des cernes étaient creusés sous ses yeux, il était pâle et ses lèvres étaient sèches.

— Je suis désolé… bredouilla-t-il.

Alec ne répondit rien, il se contentait d’observer Ruben, de voir ses traits tirés et son regard qui fuyait. C’était une nouvelle facette de lui…

Et il se mit à déglutir.

— Je t’aime… souffla-t-il. Et j’regrette pour samedi, j’espère que tu me pardonneras. J’suis qu’un connard…

Une lueur passa dans les yeux d’Alec. Sa bouche s’entrouvrit :

— Je t’aime aussi, mon connard à moi…

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