Chapitre 52

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Une tache humide commençait déjà à prendre forme sur la veste de Ruben, inondée par les larmes d’Alec, la tête posée sur sa poitrine. Il n’avait pas réussi à aller plus loin, mais c’était déjà assez pour se faire comprendre, pour s’imaginer la scène…

La main de Ruben passa dans ses cheveux, tandis qu’il fermait toujours les yeux, essayant en vain de retenir ses sanglots. Il avait l’air ridicule comme ça, mais il s’en foutait. Ruben ne disait rien, il avait une main posée délicatement sur sa tête, et l’autre dans son dos pour le presser contre lui.

Sa tête était enfouie dans la chaleur de cette veste Nike, trempée à l’endroit où il s’était blotti. Ça lui faisait du bien, son coeur était un peu plus léger.

Son père s’était éloigné des autres pour ne pas attirer l’attention, pour pouvoir agir librement. Et personne n’avait été là pour défendre Alec, sauf lui-même : un nouveau mensonge, une fausse promesse. Il avait juré sur sa vie qu’il « changerait », et ça avait suffit à calmer son père, ou du moins à faire arrêter la pluie de coups.

Mais ça, il n’était pas parvenu à le dire, c’était encore trop dur pour lui, et il se demandait s’il y arriverait un jour. C’était sûrement encore trop tôt. Pourtant, la scène tournait en boucle dans sa tête, il voyait encore toute cette haine qui avait déformé le visage de son père.

— Ça va aller… souffla Ruben, la voix un peu troublée.

— T’es le premier à qui je le dis…

Ruben ne dit rien, il essayait de prendre un peu de sa douleur pour l'aider à mieux la supporter. Alec mit quelques minutes à reprendre son calme, il prit des mouchoirs que Ruben lui tendait et se vida un bon coup. Ça faisait un bruit dégueulasse, mais il se sentait mieux.

Ils restèrent comme ça, collés, assis sur le bord trottoir, sous le regard étonné de quelques rares passants. Les larmes d’Alec séchèrent sur ses joues rougies.

Une goutte tomba sur le visage d’Alec, elle était froide. Il releva la tête et vit que des nuages sombres s’étaient amassés au-dessus d’eux. Ils n'allaient pas tarder à être trempés.

— Il faudrait qu’on y aille… souffla-t-il à son amoureux.

— Ouais…

Ils se relevèrent tous les deux avec difficulté. Bizarrement, il s’était senti bien sur ce bout de trottoir, il n’avait jamais imaginé qu’un morceau d’asphalte pourrait être aussi confortable.

La pluie commençait à s’intensifier, Ruben mit la capuche de sa veste, et Alec essaya de l’imiter… sauf qu’il n’avait pas de capuche.

« Putain… » lâcha-t-il en soufflant, les dents serrées.

Ils se dépêchèrent alors de se rendre dans la station de métro pour se mettre à l’abri.

Et une fois les souterrains atteints, Ruben retira enfin sa capuche, tandis qu’Alec passait ses mains dans ses cheveux pour se les recoiffer.

Il sentait qu'il était en train de le fixer…

— J’peux t’poser une question ? lança-t-il.

Alec se retourna vers lui, une pointe d’inquiétude dans le regard. Ruben avait l’air assez gêné et avait détourné les yeux.

— Vas-y ?

— Pourquoi tu vis encore chez ton père ? C’est quand même horrible, c’qu’il a fait.

Le temps s’arrêta l’espace d’un instant, Alec arrêta de bouger et ses yeux se perdirent dans le vide. Il avait l’impression de revoir le visage de son père déformé par la haine, ses poings serrés au maximum et son regard impossible à soutenir…

— Tu veux que j’aille où ? Si j’me casse, je perds tout c’que j’ai ! Mes études, ma maison, ma mère, mon frère, ma chambre…

— Pourquoi pas un divorce ?

— Ma mère l’aime trop, elle est aveugle et elle voudra jamais. Et puis même si elle le voulait, elle aurait jamais la force de le faire, je la connais bien. De toute façon on peut pas se permettre ça, sans mon père on a plus de thune et je pourrais jamais me payer mes études.

Ruben n’avait pas l’air très convaincu, il restait assez froid envers Alec et détournait les yeux. Son corps était crispé, il n’arrêtait pas de bouger sans arrêt et de tourner en rond. Son visage s’était assombri et ses traits s’étaient creusés.

— Ouais, mais t’es en danger là où t’es…

— Bah, je sais pas trop… Une semaine après ça, il m’a dit qu’il regrettait de m’avoir frappé, et il m’a juré qu’il me toucherait plus jamais. Et j’ai envie de le croire…

— Croire ce connard ?!

Ruben avait haussé le ton d’un coup, et il s’était brusquement redressé en disant ça. Il commençait à s’énerver, et Alec n’aimait pas ça du tout…

— S’te plaît, pas ça, pas maintenant… Reste calme.

Il l’avait dit d’une voix tellement fébrile qu’il se trouvait lui-même ridicule. Il faisait vraiment pitié à voir, et il devait sans aucune doute tirer une sale gueule. Ruben garda son sang froid cette fois-ci, heureusement. Il avait beau être le pire des sanguins, il était loin d’être con.

— Et ta mère…? Elle a rien dit ?

— Nan… En tout cas pas à moi. J’crois qu’elle avait essayé de me défendre, quand j’étais couché. J’ai entendu qu’ils étaient en train de s’engueuler, ma mère a haussé le ton, et puis mon père a dit un truc que j’ai pas entendu, elle s’est calmée tout de suite et elle est montée dans sa chambre juste après.

— Attends… tes parents dorment pas dans la même chambre ?

Alec le regarda en fronçant les sourcils. Il ne comprenait pas sa question.

— Bah non, pourquoi ?

Ruben détourna le regard, un peu honteux.

— Mais… Alec, c’est pas normal, qu’ils dorment pas ensemble. Tu crois pas qu’y a un problème, là ?

— Ah merde…

Il ne s’en rendait compte que maintenant. Il avait vécu toute sa vie comme ça, alors ça paraissait juste naturel pour lui. Il s’était toujours dit que tous les adultes finissaient forcément par se lasser après tant d’années ensemble et qu’ils avaient juste besoin d’avoir un peu de liberté…

Mais non, c’était loin d’être normal, et c’était juste une preuve de plus que sa famille n’en était pas vraiment une, qu’elle était fissurée depuis déjà longtemps.

— J’ai vraiment l’impression d’être bizarre. Déjà, je viens d’une famille de déglingués… Et en plus j’suis pédé… et un pédé différent des autres… J’ai vraiment une vie de merde.

— Ta gueule.

Ruben se posta devant lui. Il avait l’air super énervé. Son regard était à nouveau terriblement noir, son sang était en train de bouillir, et son regard était planté dans le sien.

— Retire tout d’suite c’que tu viens de dire.

— Oui… bafouilla Alec timidement.

— T’as pas une vie de merde, t’es quelqu’un de formidable, t’as pas eu de chance de rencontrer autant de connards dans ta vie, t’as pas eu c’que tu méritais. Et malheureusement pour toi, moi aussi j’suis un connard, j’ai pas beaucoup d’amis, les gens crachent sur moi parce que je les blesse. Mais je tiens à toi, et je compte pas te lâcher, parce que j’ai envie de te rendre heureux. Alors je sais que ça fera un connard de plus dans ta vie, mais je veux pas être seulement ça. Moi, j’veux être TON connard.

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