Chapitre 27

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— Ça va…? répondit Alec, encore un peu fébrile.

— Bah ouais super, et toi ?

Ruben avait une voix rieuse, et sa bonne humeur commençait rapidement à devenir contagieuse.

Alec crut entendre un rire de fille à l’autre bout du fil. Il avait l’impression que Ruben n’était pas seul.

— J’te dérange ?

— Nan, t’inquiète pas !

— Tu fais quoi ? demanda Alec.

— J’suis avec une pote et toi ?

Il était assez troublé. Pourquoi ne pas dire directement qu’il le dérangeait ? Surtout que Ruben n’hésitait pas à dire tout haut ce qu’il pensait.

— T’es sûr que j’te dérange pas ? insista Alec, gêné.

— Mais j’t’ai dit que non ! Y a vachement de bruit de ton côté, t’es où ?

— À l’aéroport.

Ruben ne lui répondit pas, mais Alec crut entendre un chuchotement. Ça devait probablement être la fille qui était avec lui. Et Ruben se mit à pouffer de rire.

Il se sentait mal à l’aise, il avait clairement l’impression de le déranger. Peut-être que Ruben avait mis le haut-parleur et qu’elle écoutait tout ce qu’ils se disaient…

— Ouais pardon je t’ai pas entendu, fit-il. T’avais dit quoi ?

— Que j’étais à l’aéroport…

— Ah ouais, jure ! T’es en France maintenant ?

— Ouais…

— Euh, ça va ?

Alec se rendit compte qu’il ne devait pas être super passionnant. Il lui répondait mécaniquement, peut-être même un peu froidement...

Il ne se sentait pas très bien, les gens défilaient autour de lui, ils étaient tellement nombreux qu’il se sentait perdu.

Il se retourna et chercha un endroit où s’asseoir. Il y avait une rangée de sièges à quelques dizaines de mètres de lui, il s’y dirigea en essayant de ne bousculer personne.

— Allôôôôôô ? reprit Ruben.

— Euh, oui désolé. J’vais te laisser tranquille avec ta pote, j’ai l’impression d’être en trop, là…

— Mais tu me déranges pas, putain ! Faut t’le dire combien de fois ?

— Oui, mais ça me met mal à l’aise que ta pote nous entende… Tu serais pareil si tu m’appelais et que je serais avec un ami à moi.

— Bah non, pourquoi je serais gêné ?

— Je sais pas… N’importe qui le serait !

— Bah je suis pas comme les autres ! lâcha Ruben en rigolant.

Un silence s’installa. Alec arriva enfin au niveau des sièges et s’assit. Ça lui faisait du bien, il commençait tout juste à avoir les jambes qui tiraient.

— T’es vraiment gêné…?

Là, Ruben n’avait plus cette voix rieuse, il avait soufflé ces mots avec une pointe d’inquiétude, en tout cas c’est ce qu’Alec avait cru comprendre.

— Bah…

Décidément, il n’arrivait pas à parler, ça ne voulait pas sortir. Il se frotta les yeux et se mit à bailler, la bouche grande ouverte, laissant aux passants le plaisir d’admirer le fond de sa bouche. Comment pouvait-il être fatigué à 16 heures ?

— Ok, j’ai compris.

Et trois petits bruits aigus irritèrent son oreille : Ruben avait raccroché.

« Encore à faire la gueule, lui » se dit-il, presque blasé. Il se vexait vraiment pour rien, comment il pouvait avoir des potes ? S’il raccrochait à chaque fois qu’on lui disait quelque chose de désagréable, ça n’allait pas l’aider à se faire aimer des autres.

Il repensa à cette conversation qu’ils avaient eu pendant le voyage, qui avait duré toute la nuit. Il avait eu l’air tellement différent, plus gentil et un peu plus touchant… Et ce Ruben lui manquait, il ne voulait pas de celui qui était chiant avec tout le monde.

Soudain, il fut interrompu dans ses pensées par son portable qui vibrait une nouvelle fois.

Encore lui…

— Allô, soupira-t-il.

— C’est bon, elle est partie ! s’exclama Ruben, avec la même voix rieuse qu’avant.

— Hein ?

— Bah elle est plus là. Comme ça, tu seras plus gêné !

Alec crut avoir mal compris, c’était pas possible…! Il fronça les sourcils, il s’attendait à entendre à nouveau la voix de la fille à l’autre bout du fil, mais non, rien…

— Attends, tu lui as dit de dégager… pour moi ?

— Bah ouais, pourquoi ?

Comment ça, « pourquoi » ? Donc il trouvait ça normal de dire à sa pote de partir pour pouvoir téléphoner à un mec qu’il n’avait jamais vu de sa vie ? C’était à la fois bizarre et mignon, mais surtout bizarre.

— Mais ça se fait pas ! lança-t-il, encore choqué.

— Si tu veux pas m’appeler, j’peux encore la rattraper, hein.

— Nan nan, surtout pas ! Reste avec moi…

Il avait dit cette dernière phrase tout doucement, comme une pensée qu’il avait prononcée à voix haute sans faire exprès.

— Et sinon, tu comptes rester à l’aéroport toute ta vie ?

— Nan, mes parents viennent me chercher. Mais ils arriveront seulement dans une heure et demie. Alors je me suis dit que…

— Que t’avais besoin d’un bouche-trou ? coupa-t-il.

— Nan, pas du tout ! J’aurais très bien pu trouver autre chose à faire, hein !

— Oh, calme-toi ! fit Ruben en riant. Je rigolais.

Elle était vraiment contagieuse, sa bonne humeur… Alec se rendit compte qu’il était en train de sourire comme un con.

Il vit passer devant lui deux hommes, d’environ une trentaine d’années, ou plutôt vingt-cinq, peut-être vingt… Pour deviner les âges des gens, il était nul à chier. Bref, c’était pas très important. Ce qui avait retenu son attention, c’était qu’ils se tenaient la main.

Ça lui faisait bizarre… Sûrement parce qu’il n’avait pas l’habitude, parce qu’on obligeait les gays à se cacher, et que ceux qui se montraient étaient vu comme des folles. Mais eux, ils avaient l’air bien, et ils s’en foutaient. Ils trouvaient ça normal de se tenir la main en public.

Une vieille dame les dévisagea, une mère détourna l’attention de son fils pour ne pas qu’il voient ces hommes. Certains changeaient carrément de chemin, et faisaient un petit détour. Mais eux, ils s’en foutaient, ils parlaient tranquillement et ils souriaient. D’ailleurs, l’un d’eux avait quand même un beau petit cul…

— Aleeeeeec !

— Euh oui, pardon, je réfléchissais.

— À quoi ?

Il sembla hésiter une seconde, les yeux rivés sur ce couple, qui était lentement en train de s’éloigner.

— J’me demandais un truc… Tes potes sont au courant que t’es gay ? lança-t-il.

— Non, répondit Ruben un peu sèchement.

— Ah, je croyais que t’avais pas peur de tout dire ?

— C’est vrai, mais j’tiens quand même à rester en vie. Là où j’vis, c’est pas génial d’être pédé, tu vois ?

— Comment ça ?

— Bah c’est dangereux, gogol ! Si j’le dis, j’me fais découper, ou bien ils peuvent caillasser la maison, bref t’as compris.

Il y eut un silence gêné. Alec ne savait pas où se mettre, il regretta d’avoir posé la question. Il se sentait stupide, et il se mit en colère contre lui-même : il savait très bien, pour l'avoir vécu, qu'il fallait parfois se cacher pour être tranquille, que c'était la vie qu'il était obligé de mener.

Tout le monde a un poids à porter. Pour certains, il est plus lourd que d'autres. Et chacun n'a pas la même force, ni les mêmes armes. Alec connaissait le nom du combat qu'il avait à mener, mais il savait qu'il ne faisait que rattarder l'échéance en fuyant sans cesse.

— Tu sais… reprit Ruben. Des fois, on a pas le choix : on est obligé de mentir.

— Je sais…

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