Un espoir pour Galliday V

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Caractéristiques du défi : écrire un récit épique contenant les mots "boutonnière", "miel" et "sifflet". L'action doit se passer sur une planète imaginaire et à un moment donné, un bébé animal d'une espèce connue ou non, devra apparaître et déclencher un élément perturbateur ou aider à la conclusion de l'histoire.

- Vos ordres !

Parcival, second en chef de l'armée galactique stationnée sur Galliday V n'avait de cesse de répéter ces mots à son supérieur, teintant chaque fois son intonation d'un peu plus d'inquiétude, moins en proie à la peur d'une défaite imminente qu'à celle d'une mort certaine et des plus douloureuse dans la rage et le chaos provoqués par les combats au-dehors, là-haut, au-delà de la ceinture d'astéroïdes, protection naturelle de Galliday V, dans son atmosphère où la supériorité numérique de la flotte spatiale de leurs opposants se faisait de plus en plus présente, oppressante, désespérante. La planète elle-même était déjà en proie aux flammes, des quartiers délabrés laissant çà et là surgir de leurs entrailles les corps de malheureux gallidéens, dommages collatéraux d'une guerre aux motifs pourtant si futiles. Sur chaque boulevard, dans chaque rue, dans chaque maison, l'on se battait, l'on se défendait avec la force du dernier espoir puis,bientôt, l'énergie du désespoir. Blasters anti-aériens, explosions, tirs de fantassins, cris de lutte, de souffrance et de mort se partageaient les secondes d'un temps que d'aucuns auraient préféré voir délégué au silence, aux sons de la nature, de la joie, de l'amour, mais il n'en était rien. Les civils exprimaient leur frayeur, le son de leurs voix noyé dans le flot des bombardements, des meurtres sauvages, des exécutions sans sommations ; qu'importe le sexe, qu'importe l'âge... Hommes, femmes, vieillards, enfants, bébés. Les civils qui avaient le malheur de se trouver non loin de la « division Hurlevent » en payaient le prix de leur vie... Ce groupe était formé d'humanoïdes, êtres dépourvus de toute émotion humaine et n'obéissant qu'aux séries de « 1 » et de « 0 » envoyées dans leurs récepteurs extracraniens depuis le vaisseau-mère, là-haut, tout là-haut, bien au-delà de la ceinture du Centaure. La « division Hurlevent » n'avait été conçue que dans un seul but par le « Guide Suprême » : anéantir toute forme de vie présente sur chaque planète abordée ; un spectacle que ne pouvait plus supporter Parcival sentant sa raison l'abandonner, à trop entendre les cris, là-bas, au-dehors...


- Commandeur, je vous en prie ! Vos ordres ! lança-t-il au seuil de l'hystérie.


Mais son supérieur semblait ne pas l'écouter, pas plus que la souffrance exacerbée que subissaient pourtant les gallidéens sous ses yeux. Parsival n'avait jamais douté de son supérieur dans tous les combats auxquels ils participèrent par le passé. Mais jamais il n'avait fait preuve d'un tel désintérêt au cours d'une attaque, comme si le sort de la population civile et de ses hommes lui importait peu. Le regard vague, une tasse de thé immobile et proche de ses lèvres, il semblait pensif à la vue des cadavres ensanglantés jonchant la rue, jusque devant la tente de commandement. Une main réunissant les derniers élans de vie d'une jeune femme à ses pieds s'agrippa à sa combinaison, entachant les arabesques d'or symbolisant son grade.

- Aidez-n...nous..., souffla-t-elle.

Parsival, s'agenouilla précipitamment vers la blessée mais s'interrompit dans son élan lorsqu'il entendit -enfin!- la voix du Commandeur.

-  Laisse donc, elle est déjà morte..., dit-il en buvant quelques gorgées, le regard toujours plongé dans le vague. Ce ne pouvait pas être son chef qui s'exprimait ainsi. C'était impossible ! Parcival n'osait y croire. Délaissant le désintérêt surprenant de son chef, il reporta son attention sur la jeune femme. Son œil unique était tourné vers le ciel, baigné de larmes et sang coagulé.

-  Tu vois ? ajouta le Commandeur en dégageant sa cheville nonchalamment. Bouche bée, sa paupière inférieure droite agitée de spasmes nerveux, Parsival ne savait plus quoi penser. Le Commandeur était-il donc lui aussi, à l'instar de ces criminels, dépourvu de tout sentiment humain ? Mais il n'eut guère plus de temps à accorder aux interrogations de son esprit, un membre de la division se dirigeant vers eux, arme levée, annonciatrice avant l'heure d'une mort qui ne tarderait plus. Réunissant le peu de courage qui lui restait, Parcival dégaina son colt, un cosmo dragoon modèle 2075, vestige d'un passé heureux, souvenir d'un père héroïque mort au combat trente ans plus tôt. Comme si ses jambes semblaient ne pas tenir compte des hésitations de son esprit, il se retrouva l'instant d'après accroupi derrière les restes d'un mur de béton éventré, guettant l'arrivée de son adversaire. Alentours, le son des blasters se faisait de plus en plus fort, signe que la division gagnait du terrain sur les forces gallidéennes et que l'humanoïde qu'il attendait serait bientôt rejoint par ses clones de fer. Il devait agir... Et maintenant !

Surgissant de son abris, l'arme au poing déjà levée en direction de la tête de son ennemi, Parcival tira une première fois déclenchant une myriade d'étincelles lorsque son coup effleura sa tempe. Il avait raté son tir ; il n'aurait plus de deuxième chance... L'humanoïde, insensible aux douleurs physiques, pointait déjà son arme sur lui, faisant feu à son tour. Estomaqué, les yeux grands ouverts, Parcival senti soudain son cœur s'emballer, triste de n'avoir pas su, de n'avoir pas pu protéger les civils. L'instant d'après, un bruit métallique le tira de sa torpeur : l'humanoïde s'était écroulé, amputé du bras armé et de sa tête. Parcival fit volte-face. Le Commandeur demeurait impassible devant sa tente, sa tasse de thé à la main. Son arme étant toujours dans son étui, qui avait bien pu le sauver ?

- Qui a tiré ? balbutia-t-il à son intention.

- Quelle importance...

- Mais !

- Parcival, dit-il sur un ton doux et ferme à la fois, l'avenir est ainsi fait que nous ne saurions combattre le sort qui nous est réservé. J'ignore encore tout comme toi si nous survivrons à cette guerre, mais il n'en reste pas moins que le destin t'a épargné cette fois. Gageons donc qu'il te réserve une suite plus heureuse.

- Et parce que le destin vous laisse à vous aussi la vie sauve pour un temps qui peut s'achever d'une seconde à l'autre, vous décidez de le passer en buvant du thé ?

Pour toute réponse, le Commandeur lui adressa un sourire en coin avant de humer le délicat parfum de l’œillet taché de gouttelettes de sang à sa boutonnière. Pris de rage, Parcival se défoula sur un amas de gravats non loin, laissant s'exprimer une colère qui ne pouvait s'exercer sur son supérieur. Mais au fil des coups assénés, les gravats semblèrent peu à peu s'animer, s'écarter. Puis, l'instant d'après apparu d'abord une main, frêle, pâle. Devant cette vision d'espoir, Parcival déplaça à la hâte les blocs de béton, les enchevêtrements de barres de fer et de câbles et se retrouva bien vite nez à nez avec une vision d'horreur. Le petit être n'était pas humain. Il avait certes le même nombre de membres et devait se déplacer comme tout bipède, mais sa peau était translucide, laissant apparaître un corps composé d'un semblant d'eau et dont l'ossature se résumait à des brindilles métalliques. Les yeux, d'un vert profond et uni le regardaient directement, attendris par son visage sain. Il ne portait aucune blessure malgré sa présence sous les décombres. Un bruit de vêtement froissé lui fit détourner la tête. Parcival fit de même et vit s'approcher le Commandeur.

- Jamais je n'ai vu une telle créature, dit Parcival.

- C'est un Ménestrel, lui répondit son supérieur.

- Un ménestrel ?

- Au stade du couffin selon toute vraisemblance...

- Certes...

- Voilà pourquoi tu es encore en vie, Parcival. Le destin voulait que tu trouves cet animal...

- Ce n'est pas un homme ?

- Grâce au ciel, non. Sans quoi je l'aurais déjà tué.

- Quoi ?!

- Je vois que tu n'as pas potassé ton manuel du parfait gallidéen..., lança le Commandeur imperturbable. Soit, laisse-moi combler tes lacunes. Un ménestrel est un cousin bâtard et fort éloigné de l'espèce humaine sur le plan scientifique. Il est le résultat des premiers tests de manipulation génétique inter-espèces du début du XXIème siècle. Quelques savants se croyant sur le point de mettre la main sur la découverte du siècle ont en réalité créé une nouvelle race jadis de chair et de sang mais qui connaît une évolution fulgurante. Vois par toi-même, en moins de cent ans, cet être a traqué la chair et le sang pour de la fibre de verre, de l'eau et du fer... Preuve vivante du génie de l'homme passé, n'est-ce pas ?

- Mais pourquoi ce nom ? Un ménestrel ?

- Parce qu'il est aussi attardé mentalement que les paysans d'un millénaire passé tandis que sa seule qualité demeure un chant dont le spectre auditif est sans pareil et plus à même d'interférer dans les nouvelles ondes et appareils que nous produisons de nos jours...

- Euh...

- Hmm..., soupira son supérieur, l'ai las. Sa voix fait griller les circuits électroniques...

- Mon dieu...

- Et grâce au ciel, il semble être de notre côté en cet instant.

- Mais alors, c'est lui qui a dû me sauver tout à l'heure.

- Sans doute..., dit-il après un bref silence. Prends-le dans tes bras et suis-moi.

Obéissant à ses ordres, Parcival souleva délicatement la petite créature et la colla contre son buste. Dans un élan de tendresse, le ménestrel entoura son cou de ses petits bras, les yeux mi-clos, sa gorge laissant échapper un gargouillis de plaisir. Surpris par cette réaction inattendue, Parcival ne put s'empêcher de le regarder avec un mélange de crainte, de dégoût et d'affection. Non loin de là, le bruit de la guerre semblait s'être éloigné, ou du moins estompé. Les tirs se faisaient nettement plus espacés jusqu'à ce qu'un coup de sifflet déchire le ciel et laisse place à une brève accalmie. Brève, oui, car bien vite le silence fut rompu par le bruit d'une armée marchant au pas cadencé. Loin de s'en inquiéter, le Commandeur marchait dans la direction, pour la plus grande crainte de Parcival. Débouchant cent mètres plus loin sur le boulevard principal, ils s’aperçurent alors que la division Hurlevent, de part et d'autre venait à leur rencontre. Comme mû par un désintérêt le plus total, le Commandeur vint se placer au centre de la route, rejoint à contre-cœur par Parcival. Bien vite, trop vite même à son goût, les deux rangées les avaient encerclés. Un humanoïde au crâne bariolé d'or et de sang qui devait être leur chef, lança un ordre dans une langue totalement incompréhensible. Toute la division épaula dans leur direction.

- C'est le moment, je crois, Parcival...

- De ?

- Pour qu'il chante, voyons !

- C'est que je ne sais pas comment...hum... ça marche...

- Moi non plus... Autant commencer comme ça ! finit-il par dire en pinçant un bras de la créature.

La réaction ne se fit pas attendre. Le ménestrel laissa échapper une longue complainte aiguë et stridente vrillant les tympans de Parcival. Au son de ce cri d'outre-espace vint s'ajouter le bruit d'explosions successives : refrénant le mal qui assaillait sa tête, il vit chacun des membres de la division Hurlevent perdre sa tête dans une pluie d'étincelles et de flammes rougeâtres. Lorsque la créature tempéra sa douleur, son cri s'arrêta et une larme jaillit aux coins de ses yeux verts, au centre d'un cercle de carcasses métalliques. Parcival recouvrant ses facultés fit de même.

- Bravo Commandeur !

Mais ce dernier n'était plus à ses côtés. Il le retrouva allongé, tout près de lui, la moitié gauche de son visage détruite, d'où s'échappaient un enchevêtrement de fils sectionnés.

- Mais..., s'attrista Parcival. Vous êtes...

- Qu'est-ce qu'une vie au regard d'une planète toute entière...

- Commandeur !

- Tu possèdes l'arme qui la sauvera... Va ! Tu es désormais le nouveau Commandeur...

- Mais !

- Va ! Car c'est ton destin... !

- Eh bien, le destin me laisse un goût amer...

- Amer, oui... je trouve aussi...

- Ah ?

- Oui... J'aurais dû mettre du miel dans mon thé...

Feu le Commandeur laissa sa tête s'incliner contre le sol, un sourire ravi aux lèvres, délaissant ce second qu'il avait eu à cœur de former depuis si longtemps, en remerciement pour son père qui avait péri à sa place... alors que le destin l'avait pourtant choisi...

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