Course et Mésaventures dans l'Espace-Temps

18 minutes de lecture

Thème principal : Intelligence Artificielle

Thème secondaire : Meurtrière

Mot récurrent/important pour le(s) personnage(s) : Manuscrit



« Je suis Sigma. Première Intelligence Artificielle opérationnelle de classe « E » au service du pouvoir royal. Bien des échecs dans ce domaines furent essuyés avant que les savants de mon époque et le souverain Henri-Jacques III, grand-père de Charles-Auguste le Juste, ne parviennent à trouver les bonnes formules mécaniques et bio-ioniques nécessaire à ma création, bien que je n'aie aucune faculté de réflexion. Créé seulement pour l'exécution. En près d'un siècle d'existence, les Rois ne recoururent à mes services qu'une fois seulement, alors que l'heure fut grave. Et elle l'était encore. Plus qu'auparavant... »

Au sortir du Conseil Suprême de l'Ordre, les membres arboraient une mine sombre, fruit d'une tension palpable tout au long de la réunion qui s'était tenue. Le Royaume de Franciade, au bord du gouffre faisait face depuis maintenant plusieurs semaines à des vagues d'attentats et autres tentatives de fragilisation du pouvoir afin de renverser Charles-Auguste le Juste, souverain de la Nation, fils de René d'Angoulême et de la docte et regrettée Silvia d'Eurydicie. Nombre d'opposants politiques de tous bords voyaient là une occasion de pointer les faiblesses des mesures prises par le Roi, visant à unifier les populations de toutes ses provinces ainsi que les membres de la classe politique et diplomatique. Mais les républicains ne l'entendaient pas de cette oreille, tirant à boulet rouge sur ses prises d'initiatives qu'ils jugent trop laxistes. Des rumeurs populaires laissaient sous-entendre même qu'ils faisaient parfois appel à une meurtrière, surnommée Reina Caedes, insaisissable depuis près de dix ans et à l'origine -toujours selon les rumeurs- de cinq cents trente huit vols de grande ampleur, meurtres, explosions et autres crimes.

- Le Roi devra rendre des comptes cette fois, haha ! S'exclama Théodis le Sain, chef de file des républicains.

- Pas tant qu'il aura des alliés. Chose qui vous fait défaut je crois..., répondit Thémistocle à la volée.

Thémistocle, frère bâtard du Roi et Premier Conseiller au Rassemblement des Partisans Royalistes, avait conscience de l'enjeu de cette dernière réunion. Et qu'elle ne viendrait hélas pas à bout des querelles intestines et coutumières entre les partis autant que des souffrances qu'endurait le Pays. Devant l'urgence de la situation, il était convaincu qu'un homme ne pouvait plus résoudre ce problème, ces querelles avaient montré leur capacité à traverser les âges et duraient à présent depuis près de deux millénaires. A croire que les français avaient de la patience à revendre. Non, un homme ne pouvait plus faire face, sa faculté de discernement étant omniprésente et décuplée grâce aux implants bioniques. Ces « boosters de réflexion » comme tous les appelaient étaient placé au cours de la naissance sous le lobe frontal, via une incision à l'extrémité haute de l'arête nasale ; découverte révolutionnaire s'il en fut en terme d'Intelligence Artificielle lors des événements de 2020. Mais même avec cette puce sous le front, les hommes se montraient toujours incapables de prendre les bonnes décisions. A croire qu'un vieil oracle, contre toute attente, était sur le point de se réaliser. Les plus grands savants de Megaloparis s'accordaient sur ce point. La Prophétie allait se réaliser quelles que soient les actions des hommes. L'inévitable se produirait bientôt. Peut-être même dans quelques jours seulement. Mais la Prophétie parlait également de l'élément qui pourrait sauver le Royaume du chaos ; lueur d'espoir que le peuple et les politiciens semblent avoir oublié. D'un pas résolu, il se dirigea vers le Palais Luminus, résidence du Roi, afin de l'entretenir au plus vite des dernières nouvelles et, surtout, de son avis sur l'avenir proche.
- Si ce que tu dis est vrai alors... le Pays va sombrer..., dit le souverain d'un air grave.

- N'abandonnez pas sire, je vous en prie, lui rétorqua Thémistocle.

- Quand l'espoir n'est plus permis, qu'importe ?

- Tous les espoirs sont permis au contraire ! La prophétie se réalise...

- Mais son support papier contient la clé pour échapper à ce désastre !

- Et ce support a été détruit il y a de cela bien des lunes !

- Alors procurons-le nous avant qu'il ne le fut !

Par les mots et l'expression qui se dessinait sur le visage de son frère, le Roi ne put s'empêcher d'accorder un peu d'importance à ses vains espoirs.

- Poursuis ton raisonnement, lui dit-il.

- Grâce au projet de Saint Ignacius le... Fou..., poursuivit Thémistocle, non sans hésiter.

- Allons, cesse donc... le coupa le Roi.

- Laissez-moi une chance d'agir dans votre ombre !

- Non ! Quel déshonneur si le peuple apprenait que mon propre frère a voulu mettre fin aux complot avec l'aide d'un aliéné !

- Quel déshonneur y aurait-il alors à déshonorer un bâtard ?

Thémistocle avait fait mouche. Le Roi ne cacha pas sa surprise. Pris de court, il s'accorda un instant de réflexion avant de lui donner son accord et de le voir filer comme le vent au laboratoire du savant sans s'apercevoir en sortant de la salle qu'une silhouette guettant ses déplacements avait tout entendu de leur conversation. Thémistocle portant la main à son oreille, entamant une conversation qui se perdit dans l'horizon ce pendant qu'il s'éloignait : ...préparez le projet V... Initialisez-le...


***


- Sa mémoire a été téléchargée d'après la période que vous m'avez indiqué. Il est prêt ! Déclara Saint Ignacius.

- Très bien, professeur. Activez-le et déclenchez le processus, répondit Thémistocle.

Le savant s'affaira derrière sa console reliée par une multitude de fils et de capteurs à l'intelligence artificielle allongée sur la dalle de métal. Tous ses écrans holographiques indiquaient les constantes électroniques de ses circuits, l'état de ses serveurs, de ses capteurs tridimensionnels et la charge de sa pile thermodynamique, encore à la moitié de ses capacités. Mais dans le vrombissement des écrans et des flux d'énergie épars, un cliquetis dénotait grandement à l'oreille de Thémistocle. Intrigué par ces sons métalliques, il tenta d'en trouver l'origine, lorsque surgit alors d'un coin sombre du laboratoire, la silhouette qui n'avait cessé de le suivre depuis le départ. Une lame étincelante d'ondes électriques apparut dans sa main. L'effet de surprise passé, Thémistocle tenta une attaque rapide mais vaine ; la silhouette ayant anticipé son geste, il se retrouva propulsé contre la console. La silhouette pénétra dans un raie de lumière dévoilant des traits de chair et d'acier. Reina Caedes, la meurtrière !

- Envoyez-le ! Hurla Thémistocle.

- Mais la pile... commença le savant.

- Envoyez ! Rugit-il.

Il n'eut pas le temps de finir ces quelques mots que la meurtrière s'avançait déjà vers Saint Ignacius en proie à la plus grande peur de sa vie. Tentant de lui donner le peu de temps dont il avait besoin pour achever le transfert, Thémistocle se rua sur Reina sans guère réfléchir aux conséquences de son geste. Le savant saisissant ce laps de temps, écrasant un bouton d'un poing rageur avant qu'une douleur inouïe n'envahisse son abdomen. Les écrans projetèrent alentours une lumière verte, indiquant que le processus était terminé.

- Qu'est-ce ? Intervint l'intelligence artificielle, toujours allongée.

- Trouve le manuscrit, Sigma..., lança Thémistocle pendant qu'il maîtrisait le bras armé de la meurtrière. Et sauve-nous tous !

- Je ne comprends...

Sigma n'eut pas le temps d'achever sa phrase, sentant toute sa carcasse distordue jusqu'à ses atomes dans un tunnel aux parois multicolores, défilant à toute vitesse entre l'espace et le temps. La traversée cependant ne dura que fort peu. A peine prenait-il conscience de son voyage en cours qu'il sentit ses membres et sa tête de taule heurter un sol... plutôt mou et friable au demeurant.

- Regarde moé eul'drôle que v'là ! S'écria un homme à la figure maculée de purin. Ce s'rait'y quoi qu't'y penses ?

- Meh ! Cracha son voisin, tout aussi avenant.

- Kék'chevalier, tiens !

- Un ch'valier comme moé, tiens ? Ch't'en va t'en foutre éh du ch'valier ! Lança le premier au second en lui donnant un coup de pied tout croûteux aux fesses.

- Aïeux !

- Que t'aurais t'y d'jà vu un ch'valier avec du fer dans les trous d'pif et qu'tu m'l'aurais point dit ?

- Nenni el'vieux !

- Et qu'y en aurait kék'z'in qui roupillent dans not' foss' à purin ?

- Nenni el'vieux !

- Alors de quoi qu't'y cause, morpion !

N'ayant suivi que de très loin cette discussion passionnante, Sigma se releva et, d'un bond, sortit de la fosse dont il put juger après coup qu'elle était profonde de plusieurs mètres. Face à ce prodige trop élevé pour ces deux hommes, Sigma n'eut pas le temps de les questionner, ceux-ci étant déjà partis à toutes jambes se cacher dans leur grange. Plus aucune tour, plus aucune voie de circulation aérienne, pas même un habitant arborant les armoiries de Charles-Auguste le Juste n'étaient observables dans ce décor plaines, de paille séchée et de purin dont l'odeur ne pouvait caractériser son siècle. Le château même, entouré d'une majestueuse et imposante muraille, le tout visible seulement pour lui, indiquait effectivement qu'il avait dû changer de siècle. Mais quant à savoir lequel... Mu par le simple effet de ses connaissances téléchargées, l'intelligence artificielle commença à courir en direction du glorieux édifice à la recherche de ce pour quoi il avait été programmé. Car le château en question répondait en tous points aux éléments architecturaux et aux images tridimensionnelles enregistrés dans sa mémoire.


***


- Oui, sieur Marcel. Le dauphin Charles ourdit quelque complot dans votre dos. Il feint l'entente et la coopération mais en réalité il a fait venir un soldat étranger d'un tout autre genre que nous ne connaissions point jusqu'alors ! déclara la femme dissimulée sous une longue cape à capuche.

- Vraiment ? Et d'où tiens-tu cela, femme ! Grinça le prévôt Étienne Marcel, rageant d'obtenir une information si capitale de la bouche d'une femme.

- De Charles le Mauvais lui-même ! Il ne pouvait se déplacer pour vous le dire lui-même, trop occupé à haranguer des hommes derrière les portes de Paris !

- Et quel serait le but de ce soldat, d'après lui ?

- Voler un manuscrit dont la valeur est inestimable aux yeux du dauphin... et vous tuer...

Le prévôt Marcel resta un long moment pensif avant de reprendre :

- Si l'homme est aussi dangereux que tu le dis, j'aimerais mieux essayer de l'acheter. Une fine lame m'est plus utile qu'un cadavre.

- Non, tuez-le lorsque l'occasion se présentera. C'est plus sûr ! Je l'ai vu à l’œuvre sieur Prévôt, c'est un maître assassin. Si vous le manquez, lui ne vous manquera pas...

- Soit, je vais prendre les dispositions..., dit-il d'un ton sans appel. Mais j'essaierai de l'acheter avant quand même !

- Et le manuscrit ? Demanda la femme d'un air détaché. - Qu'est-il sensé contenir ? Dit le prévôt d'un air étonné.

- Le nom d'un puissant guerrier capable d'anéantir tout homme qui voudrait se mettre en travers de notre chemin..., déclara-t-elle pleine d'assurance.

- Je vois... Essaie donc dans la bibliothèque qui jouxte la salle d'armes... ou bien dans les archives de l'alchimiste du dauphin !

Puis d'un geste de la main il fit comprendre à la douce voix qui murmurait à son oreille que la discussion était terminée.


***


Après avoir passé les portes de la ville de Paris, Sigma, emmitouflé dans quelques peaux de bêtes chassées en chemin pour ne pas éveiller l'attention, marchait d'un pas lent mais assuré en direction du château. A tout coin de rue, le tintement d'éperons et les bruits métalliques des épées frappant les armures rutilantes des chevaliers, soldats et gens d'armes se faisaient entendre. Sigma s'arrêta dans une alcôve à l'abri des regards indiscrets et laissa son esprit électronique et ses récepteurs bio-ioniques faire leur œuvre, enregistrant en quelques secondes les dizaines de conversations alentours en quête d'informations pouvant lui être utile. « ...anglais... », « ...siège... », « ...pillages... », « ...rançonnés... » Rien d'intéressant. Encore..., murmura-t-il de sa voix grésillante. « … prévôt... », « … le Mauvais... », « ...défaite... », « ...Poitiers... », « ...Dauphin... ». Oui ! Le recoupement ne lui prit qu'une nanoseconde. Il avait été envoyé récupérer le manuscrit de la légende en la demeure du dauphin Charles, futur Charles V le Sage, fils de Jean II le Bon, en l'année 1358, voyant ainsi la Guerre de Cent ans dans ses débuts et le siège de Paris à venir sous peu ; conséquence de la duplicité du Prévôt des Marchands Étienne Marcel et de son compagnon de traîtrise, Charles II, roi de Navarre, dit « le Mauvais ». La partie s'annonçait serrée. D'autant plus qu'il ignorait totalement ce qu'il était advenu de son maître Thémistocle et si la meurtrière avait eu vent de sa mission. Il lui fallait, le plus vite possible, retrouver ce manuscrit. Ce but était en ses photopensées lorsqu'un grésillement au sein de sa tête se fit entendre. Ce prévôt était la source de bien des malheurs du royaume de France. Et Charles le Mauvais n'en était pas moins responsable également. Et si, pour le bien de l'avenir et du Roi Charles-Auguste le Juste, il tuait ces deux éléments perturbateurs ? Oui... pour la première fois, Sigma, première intelligence artificielle de classe « Expérimentale », créée pour exécuter (seulement !) des missions, commençait à réfléchir... Mais pour l'heure, l'important était de pénétrer dans le château du Roi et de mettre la main sur le manuscrit.


***


« Non, ce n'était pas celui-là non plus ...». La mystérieuse femme compulsa encore un ouvrage au sein de la bibliothèque, fiévreusement, presque hors d'elle de devoir passer tant de temps pour un misérable morceau de papier qui, tôt ou tard, serait détruit quoi qu'il arrive. La salle était déserte. Pas un garde devant la porte. Ce détail aurait dû lui mettre la puce à l'oreille depuis longtemps : un document d'une telle importance ne pouvait pas ne pas être surveillé constamment ou caché, tout simplement. Une bibliothèque serait le premier endroit où un œil malveillant irait chercher avant tout autre hypothèse. « Mais pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! » Se dit-elle. Le manuscrit se trouvait forcément dans les affaires de l'alchimiste. Elle en était à ce point de ses pensées lorsqu'un bruit à la porte lui fit tendre l'oreille. D'un pas agile et silencieux dont même le bruissement de sa cape ne se fit entendre, elle s'approcha du lourd battant de bois et l'entrouvrit timidement, tout aussi silencieusement. Une demie-douzaine de gardes s'était posté devant la bibliothèque, dos à elle. Prise d'un doute, elle se dirigea vers la fenêtre en rasant le mur et regarda au dehors. Même déploiement de force en contre-bas dans la cour du château. « La duplicité du prévôt n'était pas qu'une légende » murmura-t-elle en grinçant des dents. Assurément Etienne Marcel, après s'être entretenu avec alle voulait-il s'assurer que le nom de ce guerrier ne serait connu que de lui seul et pas même de son comparse « le Mauvais ». Le fourbe avait ordonné à ses gens d'armes de surveiller la bibliothèque pendant qu'il fouillait le laboratoire de l'alchimiste ! Pour la deuxième fois, elle se sentit bien sotte. Mais elle avait plus d'un tour dans son sac et le manuscrit, à la fin de l'histoire, serait en sa possession !


***


« Pardonnez-moi, vénérable sire... » Le vieux barbu, plongé dans sa lecture derrière son bureau poussiéreux, peuplé d'innombrables ouvrages tout aussi miséreux, n'aimait pas être dérangé lorsqu'il lisait. Il leva de derrière son grimoire un nez chaussé d'un lorgnon si rustique et aux verres si puissants que ses yeux ne s'en trouvèrent que plus exorbités et sa tête digne d'un mauvais dessin animé pour enfants des siècles passés.

- Satanerie ! Rugit le vieil homme. J'ai moult occupations, paysan !

- Je suis étranger, feignit Sigma.

- Peu me chaut ! Renchérit le vieillard.

- Je suis venu vous parler du système héliocentrique et de l'influence conjuguée des mouvements stellaire et de l'effet lunaire sur la distorsion des tissus adipeux frappant certains vertébrés de gigantisme..., poursuivit Sigma, neutre.

Ses paroles semblèrent avoir l'effet escompté sur l'homme de science très assorti à ce décor de vétusté. Le voilà qui se dérida en une fraction de seconde, ouvrant grande une bouche à la dentition déjà bien entamée qui rajoutait un peu plus de grotesque à l'ensemble du portrait.

- Merlinpinpin d'Insanus ! Lança-t-il, main tendue en se levant, bousculant son tabouret qui produisit un son mat sur le sol de pierre grise. Pour vous servir ! A qui ai-je l'honneur ?

- Sigismund... sans plus, répondit Sigma. - Enchanté ! Mais prenez un tabouret sieur « Sanplusse » ! Les esprits éclairés se font tellement rares de nos jours... Mais à en juger par votre nom, je parierais mes dernières dents que vous êtes un Sujet du Saint Empire Germanique !

- Oui mais d'origine française..., répondit Sigma après un temps d'hésitation.

- A la bonne heure ! Je le savais ! Alors, dites-moi. Que me vaut la visite d'un membre d'un empire qui a su se prémunir d'une guerre aussi ridicule que celle que traverse notre pays ?

- Il est en guerre hélas... et vous seul avez l'arme dont le peuple germanique aurait besoin pour l'emporter...

- Une guerre ? Chez vous ? Bah ! Les hommes sont tous pareils ! La bêtise n'a pas de frontières, vraiment... grinça Merlinpinpin en faisant les cent pas dans son réduit avant de revenir vers Sigma. Qui est l'ennemi ?

- La famine...

- Ah... ! - Et nos alchimistes savent qu'il existe un manuscrit contenant une information capitale pouvant enrayer n'importe quelle famine... en plus d'une prophétie annonçant les futurs déscendants des Grands du royaume...

- Ah...

- Un manuscrit qui est en votre possession...

- La peste soit des confrères alchimistes! Que ne vont-ils plutôt murmurer à eux-même mes découvertes... ! Le cousinage avec les germains n'autorise pas tout, que diable... ! Grimaça-t-il, dos à Sigma.

- Donnez-le moi, je vous en prie... Il en va de la survie du peuple germain...

- Et en échange, j'y gagne quoi moi, hum ? Fit Merlinpinpin en frottant le pouce et l'index d'une main.

- La vie...

- Bah ! Pas suffisant !

- Une ennemie de la cour de l'empereur est à ma poursuite dans le but de me voir échouer pour déstabiliser le régime et favoriser un soulèvement populaire qui faciliterait grandement un éventuel renversement de l'empereur entraînant par là même une réflexion et une volonté de faire de même dans les pays voisins ! C'est ce que vous voulez ? Voir la France s’entredéchirer en plus des conflits internationaux qui gangrènent le pouvoir et la cour du dauphin ?

- Beuh !

- Alors ! Lança Sigma de toute sa puissance.

- Et vous allez me faire croire qu'une meurtrière va franchir cette porte et crier comme une écervelée en menaçant de me tuer si je ne lui remettait pas ce manuscrit, peut-être ? Vociféra Merlinpinpin en bombant son torse chétif et décharné, rassemblant toute l'assurance dont il était capable.

A ses mots lui répondit le vacarme de la porte de son laboratoire sortie de ses gonds, s'affalant sur le sol dans un bruit assourdissant. L'appel d'air ainsi provoqué balaya toute la poussière présente dans la pièce provoquant des quintes d'éternuement chez le vieux savant et la silhouette entrée à cette instant. Sigma, qui ne souffrait nullement de ces nuages d'insalubrité, découvrit de ses diodes bio-ioniques les traits cachés de Reina Caedes, la meurtrière ! Ainsi avait-elle pu voyager tout comme lui jusqu'à cette époque pour détruire le manuscrit. Profitant de la poussière qui la rendrait pour un temps inoffensive, il se rua sur l'alchimiste.

- Vite ! Où est le manuscrit ? Lança-t-il d'un ton sans appel.

- Aaaah tchou !

- Où ! Cria-t-il dans ses oreilles peuplées de poils broussailleux et de cérumen. Merlinpinpin le regarda au travers de ses lorgnons devenus totalement opaques.

- Qu'est-ce ? Où êtes-vous ? Répondit le vieillard complètement perdu.

- OU ! Hurla Sigma en secouant sa robe de laine, faisant tomber ses lorgnons du nez qui ne cessait de gesticuler d'avant en arrière.

- Pas dans mes lorgnons... ! Lâcha-t-il.

- Merci !

Et d'une vitesse prodigieuse, il empocha les verres de l'alchimiste avant de s'élancer vers la sortie, décochant au passage un crochet fulgurant dans la mâchoire de la meurtrière, toujours immobilisée par ses éternuements incessants. Si Reina Caedes éternuait, cela signifiait qu'elle avait des voies respiratoires et donc qu'elle était humaine ; ce qui simplifierait sa tâche s'il devait la tuer... « Bénit soit le manque de propreté de ce vieillard sénile ! Sa poussière aura sauvé Franciade un millénaire plus tard... » se dit-il en courant à toutes jambes dans les couloirs du château. Le tout était maintenant de rejoindre son lieu de départ, qui fut hélas celui de son arrivée... la fosse à purin ! Quelques minutes lui auraient suffit pour la rejoindre, mais il entendit déjà les pas précipités de la meurtrière à ses trousses. Elle était certes humaine, il n'empêche qu'elle avait un peu trop vite recouvré ses esprits à son goût après le coup qu'il lui avait donné.


***


Il n'y avait pas plus de gardes dans ce damné château que de prévot dans le laboratoire de ce grotesque alchimiste ! Reina était furieuse. Et voilà qu'elle s'était faite devancer par ce tas de boulons même pas achevé et dont la pile chargée à peine de moitié lui permettait pourtant de courir à une vitesse impressionnante sans souffrir d'un quelconque essoufflement. Pire encore, il avait désormais en sa possession le manuscrit de la légende et le nom traîtres de Franciade du XXVIIème siècle prophétisés par l'aïeul de Nostradamus allaient être connus de tous ! Après les couloirs, s’enchaînèrent les ruelles de Paris, puis sa muraille. Voyant que l'intelligence artificielle risquait de la distancer fort sérieusement dans les champs, la meurtrière rassembla toutes ses forces dans son bras armé et lança son sabre qui alla se planter droit dans le dos du pantin de fer, s'écroulant sous l'effet du choc. Mais elle n'avait pas parcouru dix mètres qu'il se releva et se remit à courir de plus belle, rejoignant ainsi bientôt la fosse à purin, emportant avec lui le manuscrit et son épée, seule arme dont elle disposait.


***


Au moment de sauter dans la fosse, Sigma fut pris d'une hésitation. Ou plutôt d'une réflexion... Feignant la fatigue, il attendit l'arrivée de la meurtrière au bord du trou exhumant une odeur sans doute assez tenace pour faire rendre tout être humain digne de ce nom. Heureusement, humain, il ne l'était pas. Reina le rejoignit peu de temps après et profita de son inattention pour retirer l'épée de sa carcasse.

- Eh bien ! Tu m'as fait courir « plaque de taule », lui lança-t-elle victorieuse.

- Croyez-vous ? Répondit-il.

Et d'une détente prodigieuse, il l'enserra de ses bras tel un étau, l'immobilisant pour de bon avant de reprendre.

- Puisque vous tenez à me suivre, rentrez avec moi ! Joignant le geste à la parole, il l'entraîna dans la fosse à purin, pressant simultanément un bouton sous son poignet gauche pour déclencher le processus de voyage temporel. S'ensuivit alors ce tunnel multicolore durant lequel il lui sembla que la meurtrière avait visiblement envie de déposer le bilan. « Pourvu qu'elle tienne encore un peu... » se dit-il. Lorsque le voyage prit fin, ils se retrouvèrent propulsés conte le pupitre de lancement de Saint Ignacius le Fou, toujours liés l'un à l'autre. Pour son plus grand bonheur, le savant était assis sur la table d'auscultation, se remettant se sa blessure à l'épaule et Thémistocle, un bras en écharpe, une jambe en sang, était allongé tout près de lui.

- Il a réussi ! S'élança Saint Ignacius.

- Prenez cela, professeur... et transmettez mes respects au Roi...

- Je crois qu'il serait plus heureux de les entendre de ta voix. Tu es son sauveur..., lui fit remarquer Thémistocle. - Hélas, j'ai encore une tâche à accomplir. Sortez je vous prie...

Le professeur et Thémistocle échangèrent un regard neutre, mais la présence de cette meurtrière ne les fit pas réfléchir plus longtemps. Ils s'appuyèrent l'un sur l'autre puis marchèrent vers la sortie lorsque Sigma les interpella une dernière fois. - Une petite question professeur...

- Oui ? répondit ce dernier.

- L'alchimiste Merlinpinpin n'était-il pas de votre parentèle ?

- Comment le savez-vous ?

- L'origine latine de son nom... Ravi de voir que vous entretenez mieux votre laboratoire qu'il ne le faisait jadis.

Puis il lui lança la paire de lorgnons sans plus de commentaires. Saint Ignacius tenta tant bien que mal de cacher son désarroi et sortit, soutenant de ses épaules un Thémistocle boiteux. Enfin seuls, la meurtrière jeta un regard plein de haine envers l'amas de taules qui lui écrasait la poitrine.

- Embrassez-moi, déclara Sigma.

- Pardon ? Rétorqua Reina, surprise.

- Le processus de désactivation se situe sur mes lèvres. Je ne peux pas m'auto-désactiver... Embrassez-moi ! répéta-t-il d'un ton neutre.

Devant tant d'insistance, la meurtrière obtempéra, se disant qu'après ça, elle n'aurait plus qu'à rattraper les deux blessés et reprendre les lorgnons contenant le manuscrit. A moins que Sigma ne tente de lui tendre un piège après l'avoir embrassée ; ses lèvres à cet instant venaient à peine de se poser sur celles, froides et immobiles de son tortionnaire alors qu'un cliquetis brisait le silence et le scintillement frénétique d'une diode rouge au fond de ses yeux illuminait la pièce par intermittence ; ultime fruit de la réflexion dont était capable cette intelligence artificielle.

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