Chapitre 3 - Le monde dans le vide

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Il n'y avait rien d'autre à proximité que quelques monceaux de roche qui flottaient ça-et-là. Leurs reflets cuivrés scintillaient sur l'espace sombre. Des constellations d'étoiles se dessinaient sur lui, comme autant de soleils blancs et peut-être de nœuds de dormeurs. De grands nuages bariolés s’allongeaient dans le lointain. Un groupe plus compact d'étoiles attira mon attention. Elles grossissaient rapidement, comme se rapprochant.

La curiosité fixa mon regard sur elles. Leurs éclats se précisèrent : trop ternes pour être d’autres soleils. Elles avançaient par à-coups et grossissaient encore.

Alors je les vis : des créatures circulaires, à l'allure de coquillages cyclopéens. Des rayures d'ambre habillaient leur cuirasse d'albâtre. Ces nautiles éthérés avançaient en troupeau, poussés par leurs longs tentacules. Ils étaient des centaines et passaient devant moi, imperturbables. Leurs yeux globuleux me considéraient vaguement au passage, comme un artefact de plus peut-être, à peine plus étrange qu'eux. Je leur rendais leurs observations, fasciné par la synchronie de leur rythme et cette nonchalance qui les portait bien plus vite que je ne pourrais jamais me déplacer.

Je m'approchai de l'un d'eux. Il me jeta un léger coup d’œil, sans plus intérêt. Je le touchai et entrepris de grimper sur sa coquille. Parfaitement lisse, elle glissa sous mes paumes et m'échappa, m’envoyant près de son œil immense, presque aussi grand que moi.

Soudain, un tentacule apparut ! Il me frôla dangereusement, alors que je l’évitai de justesse. Le nautile continua sa route, trop rapide pour que je le rattrape. Ce n'était manifestement pas la meilleure méthode.

Les créatures n'étaient plus très nombreuses. Il fallait que je trouve maintenant, ou ma chance passerait avec elles. Je me mis à nager jusqu'à un point plus en hauteur, au-dessus de leur route. L'un des mollusques approchait, l'un des derniers de la troupe.

Comme il avançait de dos, il ne pouvait pas me voir. J'attendis. Le moment devait être le meilleur et il était tout près. A l'instant où le nautile passa sous moi, je relâchai la tension qui me maintenait immobile et me laissai choir. J’atterris sur la coquille de nacre, sans que l'animal ne semble remarquer quoi que ce soit. Je quittais les environs du Soleil Blanc et du Nœud des Dormeurs et le Vide ouvrait son immensité.

Des nuages de couleurs se développaient dans l'espace en de grandes arabesques et les points des soleils lointains les piquetaient d'éclats. Les nautiles filaient dans ce paysage, calmes et silencieux, comme guidés par une volonté intangible. L'ampleur du Vide se laissait sentir. Partout et nulle-part, il paraissait combler les choses et emplir leur intimité d'inexistence. Impalpable, il n'opposait de résistance à rien et servait de base à tout.

Dans les replis des nuages de gaz, des formes apparurent : des champs entiers de roches, comme des graines, semées là, dans l'immensité des sillons des brumes chamarrées. Leurs surfaces étaient irrégulières et poreuses. Elles prenaient des reflets d'or et de cuivre sous les scintillements des vapeurs qui s’en échappaient et jouaient avec les ombres. En approchant, leur apparence métallique dévoila une vie simple, de lichens ou de mousses. Elle recouvrait presque entièrement la pierre, ouvrageant ses formes et ses creux en un tapis coloré.

Il y eut soudain un mouvement à l'intérieur de ces pores, puis plus rien. D'autres apparurent parfois, fugaces, et disparurent à leur tour. Je plissai les paupières pour mieux voir. De minuscules êtres se laissèrent deviner : des chenilles grises à l'étonnante vélocité. Elles paraissaient intriguées par la procession des nautiles. Elles entraient, sortaient sans cesse de leurs caches. La roche aux lichens bourdonnait de leurs jeux. Elle ne semblait former qu'un seul être, respirant d'un même souffle, gonflé par la danse des multitudes qui le composait. L'entité unique me rappelait le nœud des dormeurs que j'avais quitté.

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