6. Clément

6 minutes de lecture

Les yeux accrochés à ceux de Constance, je me sens idiot. Comment ai-je pu être assez bête pour faire tant de mal à tant de gens en si peu de temps ? Pour moi, Mia et moi n’avons jamais vraiment été ensemble, c’était une façade, qui servait autant à me distraire qu’à laisser penser que, comme eux, j’allais mieux. Mais je me fichais de ce qu’elle ressentait, parce que, de toute façon, c’était elle qui était venue vers moi, alors je n’avais rien à me reprocher. J’ai été affreusement bête, et je m’en veux maintenant.

_ Je ne voulais pas être le seul à souffrir. Je voulais encore moins que vous vous en rendiez compte. Je pensais vraiment que vous alliez mieux. Enfin, sauf Constance, mais, en quelque sorte ça me réconfortait et je ne voulais pas que ça change.

Je me rends compte de l’horreur de mes paroles, mais elles reflètent la réalité : j’ai été égoïste et horrible, et je ne suis pas sûr d’avoir d’excuses, ni même de mériter leur pardon. Leurs visages affichent l’incompréhension, et je les comprends.

_ C’est vraiment… commence Rox.

_ Méchant, puéril, égoïste, pervers. Je sais. Mais j’avais passé deux mois seul, à pleurer et souffrir jour et nuit, alors l’idée que vous vous en étiez remis m’a… Je sais pas, j’ai pas d’excuse.

Je m’avachis sur le canapé, soudainement exténué, à bout de forces. J’appuie mes paumes sur mes yeux, sentant la migraine arriver, et je sens les mains froides de Constance s’enrouler autour de mes poignets pour m’arrêter.

_ Ca ralentit ton cœur.

Enfin un retour à la normale.

Elle n’a pas l’air de me juger, ni de me prendre pour un monstre. Elle n’a même plus l’air de m’en vouloir, et ma poitrine se libère d’un poids. Je ne pense pas que notre relation puisse reprendre où elle en était avant tout ça, mais être son ami m’a manqué. Etre leur ami m’a manqué.

_ On a été idiots, murmure Roxane.

Nous hochons tous la tête, répartis avec lassitude dans le grand canapé, on donne l’impression d’avoir couru un marathon éreintant, alors que ce n’était qu’une simple conversation.

_ On pensait être trop différents pour se comprendre, mais au final, on a tous plus ou moins réagi de la même façon : en devenant quelqu’un d’autre, ajoute-t-elle.

_ Qu’on regrette tous, continue Constance.

_ Sauf Alex.

Ce dernier lève la tête vers moi, un air contrarié sur le visage en me contredisant :

_ C’est faux, je regrette. Je regrette que vous ne me fassiez pas confiance. Voir vos regards déçus et dégoûtés, comme ça, c’est… Enfin, bref.

Un silence s’installe, mais contrairement aux précédents, il est apaisant et naturel. Roxane pose sa tête sur l’épaule d’Alexis, qui lui caresse les cheveux, et Constance soupire comme si elle se débarrassait enfin d’une charge lourde. Au bout d’un moment, je finis par prendre la parole, d’un ton bien plus détendu qu’il y a quelques instants :

_ Bon, on va le lire, ce carnet ?

Constance se redresse en souriant et attrape l’objet de notre dispute qui – je ne saurais dire à quel moment – a fini sur la table basse. Elle nous regarde les uns après les autres en l’ouvrant, un air coupable sur le visage, avant de prendre une inspiration et de commencer sa lecture.

Au début, nous sourions, heureux de pouvoir entendre les mots de Sam après tant de temps, même s’ils sont prononcés par quelqu’un d’autre. Vers le milieu de son récit, nos sourires deviennent plus hésitants, les mots de notre meilleur ami nous touchant en plein cœur. A la fin, nous ne retenons plus nos larmes et nos sourires chevrotants, alors que la voix de Constance tremble, malgré qu’elle en soit à sa deuxième lecture.

_ Waouh.

Ce murmure fend l’air. Il exprime parfaitement ce que nous venons d’entendre.

Est-ce-que Sam savait, en écrivant ces pages, que lui aussi était une partie indispensable de notre monde ? Je n’en suis pas sûr, et pourtant, il l’était. Il nous a fallu un an pour nous remettre de sa disparition, et encore, en partie. Rien n’est plus pareil, et il n’est plus là pour le constater. Dire qu’il me manque serait un euphémisme : pas un jour ne passe sans que sa mort ne me pèse, au point de me faire mal, littéralement. Je repense à son enterrement, aux roses blanches qu’on nous avait distribuées, à la mienne, pourvue d’une épine sur laquelle j’avais appuyé mon doigt jusqu’à ce que les pétales se teintent de rouge. Ce jour-là, j’étais persuadé d’être devenu insensible, incapable d’éprouver autre chose que cette souffrance atroce qui accompagnait sa mort. Pourtant, je me trompais : ce soir, les mots de chacun des Cinq, y compris ceux de Sam, m’ont bouleversé. J’ai ressenti bien plus que du chagrin, ce soir : des regrets, de la honte, mais aussi du bonheur, celui de pouvoir nous retrouver à quatre, assis dans ce canapé, à lire les mots de notre meilleur ami mutuel. Je me rends peu à peu compte que je peux être heureux : j’ai simplement besoin d’eux pour l’être.

Je les regarde un à un, et tous me retournent mon regard. Nous ne nous évitons plus, enfin. Nous ne sommes plus des inconnus. Nous nous sommes ouverts. Je me sens un peu libéré, comme si je rentrais enfin chez moi après des mois d’absence.

_ Ca sera pareil, demain ?

D’un même geste, nous tournons le regard vers Roxane. Comme elle, j’ai peur que la nuit efface cette discussion et que, une fois le soleil levé, nous redevenions des étrangers les uns pour les autres.

_ Si on ne touche à rien, rien ne peut changer, dis-je en souriant, une idée derrière la tête.

La vérité, c’est que je n’ai pas envie d’aller me coucher seul, dans le lit de Sam, et de me réveiller seul dans ce même lit en me demandant si ce que nous avons vécu la veille n’était qu’un rêve. Mais si je me réveille dans ce canapé demain, entouré des Cinq, je saurais que cette soirée a vraiment eu lieu. Les autres me regardent, et je me demande s’ils m’ont bien compris jusqu’à ce qu’Alexis lance :

_ Venez m’aider à descendre les couettes et les oreillers.

J’essaie de retenir un sourire idiot de s’étaler sur mes lèvres, mais c’est peine perdue : je suis heureux d’entrevoir cette vie qui m’avait tant manquée.

Nous nous levons tous et allons chercher de quoi dormir dans le salon, où nous tirons la table basse pour pouvoir construire un énorme lit patchwork composés des éléments de nos lits respectifs, dans le creux que forme le canapé d’angle, à même le sol.

_ Combien de coussins il y a, dans cette maison ? lance Roxane face à la montagne qui se forme dans la pièce.

_ Assez pour nous tous, répond Alex en s’y jetant.

Il y a même trop de place, mais ça ne nous empêche pas de nous entasser au même endroit, les uns presque sur les autres.

_ Je suis contente que ça aille mieux, murmure Roxane, blottie dans les bras d’Alex.

Un « moi aussi » commun s’en suit, et je médite ses paroles. Je n’avais jamais sérieusement envisagé que les Cinq aient disparus à jamais, mais je ne voyais vraiment pas comment arranger les choses. De toute façon, à chaque fois que j’y pensais, ça semblait empirer. Je me demande ce que Sam dirait, s’il était là. Il aurait ce sourire en coin, qui forme des petites rides sur ses pommettes et qui lui donnait l’air enfantin, il rirait, avec ce timbre de voix apaisant, qui me manque autant que son visage, que sa présence.

Peut-être qu’il nous voit, après tout. Peut-être que le paradis existe, peut-être que les esprits-mêmes existent. Peut-être qu’il veille sur nous, là, sur le canapé.

Je n’ai pas envie de dormir. Bien que je sois exténué par cette dispute, mue en réconciliation, j’ai peur qu’elle ne s’envole dans mon sommeil. A ma gauche, Constance n’a pas l’air d’avoir les mêmes inquiétudes : un léger sourire sur les lèvres, sa respiration se régularise alors qu’elle s’endort, le carnet bleu de Sam toujours dans la main. Je tourne la tête à droite : Roxane semble aussi endormie, lovée dans les bras d’Alex qui me fait un clin d’œil n surprenant mon regard. Je ne sais pas ce qui adviendra de leur relation, mais ils semblent s’apaiser l’un l’autre, alors j’en suis heureux.

C’est un sentiment que je n’avais pas connu depuis un moment.

Une chose est sûre, en tout cas, c’est que jamais je n’aurais prédit tout ça à notre entrée en seconde.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Em ' ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0