6. Constance

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Je me sens affreusement égoïste. Je ne me reconnais plus, et je ne saurais dire à quel moment exact j’ai changé ainsi. Quand je me suis coupé les cheveux à l’aveugle, dans ma chambre, les yeux pleins de larmes ? Le jour de la rentrée, quand j’ai du rester collée à ma sœur pour ne pas être seule ? Quand la mère de Sam m’a proposé pour la première fois de réunir les Cinq chez elle ?

Je n’en ai aucune idée, je sais juste que ma colère et ma souffrance m’a aveuglée au point de ne plus voir mes amis se détruire. Et je refuse de continuer ce manège. Je refuse de continuer à faire semblant que je vais bien, pour finir en pleurs dans ma chambre, écrasée par la solitude avec la certitude que tout va mal. Comment avons-nous fait pour en arriver là ?

Je sais qu’ils me considéraient comme celle qui nous réconcilierait, mais je ne m’en sentais pas capable, et je leur en veux d’avoir pensé que j’étais l’unique solution, mais je m’en veux encore plus d’être devenue celle que je suis, et qui les juge sans rien savoir.

Je prends une inspiration et tente de me mettre dans la peau de celle que j’étais avant, l’ancienne version de moi, celle que je préférais, pour leur dire :

_ Je sais que j’ai mal réagi, on le sait tous. J’aurais dû vous faire par de ça mais, je ne sais pas…

Je ferme les yeux, j’ai toujours su avoir le dernier mot, en toute circonstance, mais là, j’ai l’impression de me chercher des excuses, et ils doivent le penser aussi.

_ Je sais que vous m’en voulez, encore plus maintenant, et je vous en veux aussi. Je m’en veux à moi-même, j’en veux peut-être même à Sam, mais je refuse que notre amitié se termine ainsi. Si on veut que ça s’arrange, on doit mettre les choses au clair, pour de vrai.

_ C’est pas ce qu’on était en train de faire ? demande Alexis d’une voix rauque.

Sa main est toujours posée sur le bras de Roxane, il la retire quand il voit que je l’ai remarquée.

_ On se criait dessus, là. Je pense qu’on doit plutôt… se dire ce qu’on se reproche, chacun notre tour. On commence par moi, si vous voulez, dites-moi ce que j’ai fait de mal.

Il y a un court silence durant lequel chacun de mes anciens amis se lancent des regards hésitants, attendant que l’un d’eux prenne la parole. Clément finit par le faire, l’air déterminé :

_ Je suis déçu. Tu ne nous aurais jamais caché un truc pareil, avant, dit-il en agitant le carnet dans sa main.

_ J’en suis vraiment désolée, je vous promets. Il… il était dans mon sac, celui que j’ai retrouvé chez Sam, et je me suis dit que c’était le destin, ou quelque chose comme ça…

Je ne crois pas au destin, ils le savent très bien, et j’ai peur de m’enfoncer en disant tout ça.

_ Je ne me voyais pas aborder le sujet comme ça, maintenant…

_ Je veux qu’on le lise, reprend Clément. Ensemble.

_ OK. Bien sûr, on le lira. Mais il faut d’abord qu’on règle nos différents, non ? Vous n’avez pas que ça à me reprocher, je me trompe ?

_ J’aurais aimé que tu sois présente. Tu as toujours été celle qui nous réunissait quand ça n’allait, pas, tu savais toujours quoi faire, et c’est peut-être égoïste, surtout venant de moi, mais j’aurais voulu que tu sois là, que tu nous fasses avoir cette discussion plus tôt.

Je me mords la lèvre, ce n’est pas une surprise. Je sais l’espoir que je représentais pour eux, et je m’en veux de les avoir déçus, mais je n’arrivais pas à reprendre le rôle que j’avais avant que Sam meure, et je ne suis toujours pas sûre d’être capable de l’endosser à nouveau.

_ C’est pas égoïste, Rox, ou alors je le suis aussi.

Il se tourne vers moi :

_ Moi aussi j’attendais que tu nous réconcilies… Tu es retournée en cours après nous, tu étais notre dernier espoir, pourtant, t’avais l’air de t’en foutre.

_ Je ne m’en foutais pas, j’essayais juste d’éviter la douleur. Comme vous, je suppose, mais je l’exprimais différemment.

Ma dernière phrase sort dans un chuchotement, et ils acquiescent tous. Est-ce qu’on va enfin parvenir à se comprendre ?

_ Ok, et bien, je vous promets d’essayer de m’ouvrir plus. A qui le tour ?

_ Moi, dit Roxane.

Nous la regardons avec hésitation, son tour n’est-il pas passé avec tout ce qu’elle nous avoué ?

_ Ne prenez pas de pincettes, je veux savoir ce que vous pensez, je suis sûre que ça peut m’aider.

Un court silence s’installe : elle a beau vouloir notre franchise, sa fragilité nous retient. Après quelques secondes, Clément semble se décider et lance, sans hésitation :

_ Tu nous as remplacés.

_ Oui, repris-je. Tu nous regardais en souriant, dans tes beaux habits et… Même si on sait maintenant que c’est parce que tu allais mal, je ne comprends pas en quoi ça pouvait t’aider à aller mieux.

Alexis reste silencieux, et je me demande si c’est à cause des nombreuses nuits qu’ils ont passé ensemble, et des choses qu’il a pu apprendre lors de celles-ci. Roxane souffle, un air soulagé sur le visage en répondant :

_ Je sais pas… C’set juste qu’ils étaient là, et qu’ils me complimentaient, me demandaient si j’allais mieux… C’était simple d’être avec eux, de jouer un personnage en attendant que mon chagrin se dissipe. J’ai fini par leur dire que j’allais mieux, et ils ont arrêtés de me parler de cette histoire, tout en me gardant auprès d’eux. Je sais ce que vous pensez, mais je ne vous ai pas remplacés, pas du tout. J’attendais seulement qu’on se retrouve, et je ne pouvais pas le faire seule, sinon…

Elle ne termine pas sa phrase, mais nous la devinons tous. Je trouvais la perte de poids de Roxane impressionnante, mais elle est carrément inquiétante. Roxane elle-même s’en rend compte, et j’espère vraiment que ces vacances l’aideront, peu importe ce que deveint notre amitié.

Je remarque la légère pression que les doigts d’Alexis exercent sur ceux de Roxane quand elle se tait. Se passe-t-il plus qu’une simple réconciliation entre eux ?

C’est bizarre, comme la vie est faite : moi qui, il y a moins de deux ans, me voyais partir en vacances avec les Cinq au complet, l’année de nos dix-huit ans, me retrouve à refaire connaissance avec eux, à cause de la perte de celui qui devait nous inviter. Mais nous sommes ensemble, et je ne veux pas ma plaindre, je l’ai trop fait : ça pourrait être bien pire.

Beaucoup disent l’amitié, la vraie, et celle qui, peut importe les évènements, ne change pas, mais ils ont tort. Notre amitié est toujours là, quelque part. Et elle change. Elle évolue, change de visage, et c’est inévitable.

Je n’avais jamais compris l’expression « rien ne se perd, tout se transforme », et encore moins pourquoi tout le monde s’obstine à la rendre philosophique alors que ce n’est qu’une vérité de chimie. Mais ce soir, sous le poids des paroles de chacun, je commence à saisir. Notre amitié n’a pas disparu en même temps que Sam, elle s’est simplement transformée. Elle est devenue complexe, et si différente que j’ai eu du mal à me rendre compte qu’elle existait toujours, mais elle est bien là. Et je sais que les Cinq finiront par s’en rendre compte aussi.

Soudain, la voix d’Alexis interrompt mes pensées :

_ A moi.

_ Je n’arrive pas à comprendre pourquoi tu t’obstines à essayer d’aller mieux avec quelque chose qui te détruit, claqué-je.

Si le comportement des deux autres m’a agacée, celui d’Alexis m’a rendue furieuse. Nous avions déjà parlé de dépendance, et de toute ces merdes qui, prises régulièrement, te tuent progressivement, et Alexis avait le même avis que moi là-dessus.

_ Je ne suis pas accro, répond-il calmement.

_ C’est ce que tu dis, Alex, mais même sans t’avoir parlé de l’année, on t’a vu fumer cette merde des centaines de fois, lâche Clément.

_ Je…

_C’est vrai. Tu riais tout le temps, avant. Tu n’avais besoin que de nous pour aller mieux, on avait tous seulement besoin de ça. L’herbe te change plus que tu ne veux bien l’admettre.

En disant ça, Roxane se tourne vers lui, sa main toujours dans la sienne. Cette discussion est sincère, bien plus que ce que j’aurais espéré, et elle contraste avec tous les non-dits qui flottait dans l’air il y une heure. Prise de cet élan de franchise, je lance :

_ Quant à toi, Clem, je pensais que tu serais là pour moi, à mon retour. Et ça m’aurait sûrement aidé à tous vous aider. Je comprends que t’aies changé, je ne sais pas, peut-être que tu ne ressentais plus la même chose pour moi, mais tu as été méchant et… Je ne méritais pas ça.

Alexis semble soulagé que son tour soit passé, et Clément me regarde avec un air indéchiffrable. Je continue :

_ Mia non plus ne mérite pas ça. Elle est amoureuse de toi et…

_ Elle n’est pas amoureuse de moi. Je l’intéresse juste, elle a pitié de moi.

_ C’est faux et tu le sais très bien. Elle t’aime. Si tu l’intéressais simplement, elle se serait lassée au bout de quelques semaines, elle n’aurait pas supporté que tu le traites comme ça. Tu l’ignores et elle doit se sentir mal, tu dois lui parler.

Je ne sais plus si je parle de moi ou de Mia, et Clément semble penser la même chose. Les yeux fermement plantés dans les miens, il murmure :

_ Je suis désolé.

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