4. Alexis

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Son corps parait fragile dans mes bras, tremblant et frêle. Doucement, je lui demande :

_ Tu veux en parler ?

_ Non. Non, ça va.

Elle secoue la tête vivement, l’air paniqué à cette idée, et j’imagine que ce cauchemar était bien plus violent qu’elle ne veut le laisser paraître.

Nous restons un moment assis sur le parquet, les couvertures autour de nous, et elle finit par regarder le lit, les sourcils froncés :

_ Qu’est-ce qu’on fait à terre ? Comment es-tu arrivé là ?

_ Ma chambre est juste à côté de la tienne, j’ai entendu du bruit, je pensais que tu étais tombée. Quand je suis arrivais, tu étais là, en pleurs, mais les yeux fermés. J’ai eu peur.

Elle hoche lentement la tête, semble se calmer. Elle se racle la gorge et essuie ses larmes d’une main tremblante, et mes yeux se posent sur les grands cernes qui soulignent les siens, sur son visage qui parait si maigre, entouré de sa masse de cheveux bouclés.

Comme ça, contre moi, elle semble à l’opposé de la fille forte et souriante que je vois au lycée. Elle est toujours belle, faible et sincère, mais elle me fait de la peine. Ses larmes me brisent le cœur, et son air faible et épuisé me fait me rendre compte que je ne suis peut être pas le seul à aller mal.

Au bout de quelques minutes, elle regarde autour d’elle, respirant profondément, comme si la pièce qui l’entourait était devenue une salle de torture. Elle se mord la lèvre, ses dents se positionnant à l’endroit exact de la coupure qui l’orne, et je me tourne vers elle pour lui demander :

_ Tu veux dormir dans ma chambre ?

Je ne sais pas vraiment si je lui propose de dormir avec moi, ou d’inverser nos chambres, mais ses yeux s’illuminent suite à ma question, alors je l’aide à se lever. Il me vient à l’esprit qu’à une époque, nous aurions dormi à cinq dans une même chambre, sans avoir à demander ou à se concerter.

_ Tu es sûr ?

_ Oui, évidement.

Je l’aide à se lever – ses jambes sont encore tremblantes – et nous traversons sans bruit les quelques mètres qui la séparent de ma chambre. Pour détendre l’atmosphère, je chuchote :

_ Dis, ça serait pas un stratagème pour avoir la salle de bain intégrée ?

_ Mince, tu m’as eue.

Elle rit faiblement et mon cœur se réchauffe un peu : je déteste la voir triste. Quand nous entrons dans ma chambre, elle s’assoit sur le lit et je reste planté devant elle, comme un piquet. Elle retrousse le nez et fronce les sourcils, avant de lancer :

_ Ca sent…

Elle ne finit pas sa phrase, comme par peur de me vexer, mais je comprends instantanément. Bien que je ne la sente plus, par habitude, elle, qui ne fume pas, doit être dérangée par l’odeur de beuh qui flotte dans l’air. Je me rue vers la fenêtre pour l’ouvrir, et je sais sans avoir besoin de la regarder que Roxane remarque le joint à peine éteint dans le cendrier, dehors. Laissant l’air plus frais de la nuit aérer la pièce, j’observe ses trais crispés quand elle me questionne :

_ Tu fumais ?

Je hoche la tête avant de lui demander :

_ Ca te gêne ?

_ Non, ça va.

_ Je suis désolé.

Je ne sais pas vraiment de quoi je m’excuse. Elle hausse les épaules :

_ Je ne dois pas m’inquiéter, tu gères, non ?

J’acquiesce lentement, ne relevant pas l’ironie de sa question. Elle me regarde étrangement, et je ne détache pas mes yeux de son visage quand elle se lève pour me rejoindre devant la fenêtre. Sans me quitter du regard, elle prend le joint entre son pouce et son index :

_ Qu’est-ce que tu fais ? dis-je précipitamment.

_ Tu ferais quoi si je te demander de fumer avec toi ?

Je fronce les sourcils, pensant d’abord qu’elle me défie, comme si j’étais assez égoïste pour refuser de partager, mais je comprends ensuite que sa question va plus loin que ça.

_ Qu’est-ce que tu veux dire ?

_ Je veux dire : qu’est-ce que tu ferais si je te demandais de me défoncer avec toi ? Régulièrement.

_ Je ne me défonce pas.

J’ai la bouche sèche, elle arbore une mine sceptique. C’est vrai. Je ne me défonce pas, je cherche juste à m’apaiser. De temps en temps.

Où est la différence ?

J’essaie d’imaginer la Roxane que je connais fumer comme je le fais : désespéré et triste. Cette image me dégoûte, je déteste la penser mal à ce point là. J’ai conscience que c’est elle qui devrait être dégoûtée de moi, mais il n’y a aucune trace de jugement dans ses yeux qui me fouillent.

_ Ah oui ?

Il ne reste plus aucune trace de peur dans son regard, uniquement du défi, alors que je reste muet, presque honteux, elle poursuit :

_ Encore, une scorpion comme moi, ça à tendance à s’autodétruire…

Elle appuie le dernier mot, les yeux rivés au miens, et continue :

_ … Mais un bélier ?

_ On en est revenus aux signes ?

J’essaie désespérément de changer de sujet, et elle hausse les épaules. Je déglutis difficilement, tandis qu’elle lève la main pour porter le joint à ses lèvres, dans un mouvement lent. Avant qu’il n’ait atteint ces dernières, je m’en saisis, l’emprisonnant dans mon poing qui se réchauffe à son contact.

_ Ne joue pas à ça. Je te l’ai dit : je sais ce que je fais.

Ses yeux noirs me sondent, elle n’a pas l’air convaincu. Sans rien ajouter, elle se détourne et s’affale à nouveau sur le lit. Elle soupire, comme si la discussion que nous venons d’avoir n’avait jamais existé, et murmure :

_ Il fait chaud.

_ T’avais qu’à mettre un short, pas un jogging. On est en été.

Elle lève la tête, un sourire moqueur sur le visage :

_ Tu cherches à me déshabiller ?

_ Tu cherches à me déshabiller ? je répète avec une grimace en levant les yeux au ciel.

_ J’aime pas dormir avec les jambes nues, s’explique-t-elle.

Je hausse les sourcils : encore quelque chose de nouveau. Sans rien dire de plus, j’allume le ventilateur dans le coin de la pièce, brassant l’air frais de l’extérieur.

_ Merci, dit-elle. Gauche ou droite ?

Elle désigne le lit, je hausse les épaules en souriant, soulagé que l’atmosphère ait perdu sa tension :

_ Peu importe, c’est la première nuit que je passe ici.

_ Et tu ramènes déjà une fille dans ta chambre !

_ C’est toi qui t’es ramenée, répliqué-je.

Elle me tire la langue et se glisse sous les couvertures.

Comme moi, Roxane a toujours été incapable de passer une nuit sans être recouverte par un drap, peu importe la chaleur qui l’écrase. Je la rejoins, veillant à ce qu’aucune partie de nos corps ne se touchent, de peur que cette complicité retrouvée soit remplacée par de la gêne. Nous restons immobiles l’un à côté de l’autre, et je ne sais pas si la conversation est achevée ou si je dois la poursuivre, alors je reste allongé les yeux ouverts, attentif à chacun de ses mouvements. Les minutes passent, je ne m’endors pas, elle non plus. Elle bouge sans arrêt, poussant un soupir désespéré de temps en temps.

_ T’as fini de gigoter ? lui demandé-je ironiquement.

_ J’ai peur de m’endormir.

J’ai un pincement au cœur à l’entente de la sincérité de sa voix. Elle parle tout bas, comme si ses cauchemars allaient l’entendre. Quand je repense à ses sanglots tout à l’heure, à son regard apeuré autour d’elle, j’en ai froid dans le dos. Je ne sais pas quoi lui répondre. Une blague, maintenant, serait mal appropriée, mais je ne sais pas quoi faire d’autre. Heureusement, elle trouve quoi dire avant moi :

_ Alors comme ça, t’as d’autres tatouages ?

_ Un seul.

_ Je peux le voir ?

Je me tourne vers elle. Malgré l’obscurité, je distingue son air curieux. En soupirant pour la forme, je m’assois et retire mon t-shirt pour qu’elle puisse voir mon dos.

_ Oh.

Je sens ses doigts se poser dans le haut de mon dos, sur ma colonne vertébrale, et elle longe le tatouage sur quelques centimètres avant de dire :

_ S’il te plait, dis-moi que tu sais ce que ça veut dire.

Je lève les yeux au ciel :

_ Mais oui. Un truc comme « la mort a du goût ».

_ Un truc comme ?

_ En fait, je voulais l’écrire dans le sens de « la mort choisit bien », mais ça veut plutôt dire « la mort est bonne ».

_ Oh.

J’entends son sourire dans son exclamation, mon explication n’est pas très claire.

_ Roh, ça va, c’est compliqué, comme langue.

_ Hmm. Pourquoi l’avoir écrit en chinois ?

Je hausse les épaules.

_ Parce que c’est beau.

Même si les miens en ont un, je ne suis pas adepte du concept selon lequel tous les tatouages doivent avoir un sens. On n’a un seul corps, on doit pouvoir en faire ce qu’on veut, le décorer de dessins qu’on apprécie uniquement pour leur beauté. Derrière moi, Roxane murmure :

_ C’est vrai.

Elle le regarde encore quelques secondes, avant de me tendre mon t-shirt et de lancer :

_ Allez, rhabille-toi, bad boy.

Je souris en me rallongeant. J’ai l’impression d’avoir été transporté des années en avant, même si je n’étais pas tatoué à l’époque. Peut-être est-ce l’obscurité, cachant les changements que le temps a apportés. Je n’ai pas envie de m’endormir, de laisser passer ce moment hors du temps qui me donne l’impression que je peux sombrer dans un sommeil paisible sans rien fumer, mais je sens la respiration de Roxane se régulariser, alors je me tais. Coupant ma respiration, je cherche sa main sous la couette, elle l’attrape et la presse. J’ai l’impression de retrouver un semblant de normalité après une éternité hors de moi-même. Rompant le silence de la pièce, je murmure :

_ Bonne nuit, Rox.

_ Bonne nuit, Alex.

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