4. Clément

8 minutes de lecture

Je n’ai pas eu à insister beaucoup auprès de mes parents pour qu’ils me laissent partir d’une manière aussi impulsive. En fait, à peine ai-je prononcé le nom des Cinq qu’ils ont accepté, me souhaitant de m’amuser. Ca ne fait que quinze jours que nous nous sommes revus, et pourtant, ça me semble être une éternité. Nous nous sommes envoyé quelques messages pour établir la date et depuis, silence radio. Ce matin, avant de partir, j’ai même relu notre conversation, histoire d’être sûr que tout ça n’était pas un rêve ou un mauvais coup de mon cerveau détraqué. Mais non, c’est bien vrai, et j’ai toujours du mal à y croire, assis à l’avant de la voiture alors qu’Alexis et Constance chargent le coffre de leurs sacs.

_ Hey.

Roxane me surprend, me faisant un petit signe derrière la vitre passager. Je lui réponds, un sourire nerveux aux lèvres. Je n’ai aucune idée de comment me comporter, et c’est étrange d’être aussi gêné avec mes meilleurs amis. Parce que j’y ai beaucoup repensé, et même si eux ne me voient plus comme ça, ils sont mes meilleurs amis.

Je sors de la voiture pour les rejoindre et aide Roxane à mettre ses affaires dans la voiture, dans une ambiance aussi lourde que sa valise.

_ J’ai peut-être vu un peu grand.

Ses sacs sont les plus encombrants, mais j’arrive à trouver de la place, aidé de Constance qui se pince les lèvres, comme si elle se retenait de dire quelque chose. Au bout de quelques minutes, nous fermons les coffres et entendons la porte d’en face claquer, se tendant tous les quatre en apercevant les parents de notre ancien ami sortir de leur maison.

_ Oh ! Je ne pensais pas revoir ça un jour ! lance son père, rayonnant.

Moi non plus.

_ On ne veut pas vous retarder, juste vous donner les clés et vous souhaiter de bonnes vacances. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à nous appeler.

_ Merci beaucoup, dit Constance avec un sourire.

_ C’est normal, les enfants.

Ce dernier mot me remet quelques souvenirs en tête et une chaleur mélancolique emplit ma cage thoracique alors que le couple retourne chez lui, non sans nous avoir embrassés avant.

_ Bon, on dirait bien que c’est parti, lâche Alexis.

Il fait une grimace à mi-chemin entre le sourire et la douleur, et cette expression fait renaître un souvenir en moi :

_ Tu te souviens de la fois où tu t’es cramé le dos, sur la plage en été ?

Ma question est sortie toute seule, et il me regarde avec surprise, sûrement aussi étonné que moi à l’évocation de cette époque-là :

_ Bien sûr que je m’en souviens, j’agonisais.

Je lui suis reconnaissant de me répondre avec nonchalance, et je me moque gentiment de lui :

_ Ca va, c’était un coup de soleil.

_ Je t’avais dit de mettre de la crème solaire, en plus.

Nous nous tournons tous les deux vers Constance, dont les joues rosissent de gêne. C’est étrange de parler comme ça, aussi… normalement. Mais personne ne gâche le moment :

_ Je suis sûr que c’est ta crème solaire qui m’empêchait de bronzer !

_ Elle t’empêchait aussi de brûler, rétorque notre amie.

Il sourit en soupirant et le silence revient. Je m’installe au siège conducteur, espérant sincèrement que ces vacances contiendront plus de conversations comme celle-ci que de silences pesants et étouffants.

Conduire fait cesser mes pensées inquiètes, et je finis par me détendre, bien que personne ne parle. Je suis aussi impatient qu’angoissé d’arriver à destination, et c’est au bout de plusieurs centaines de kilomètres, quand je vois sur mon téléphone– servant de GPS – qu’il reste encore deux heures de route que je commence à ressentir la fatigue. Alexis doit s’en apercevoir, se penchant vers les sièges du devant pour ne pas réveiller Roxane, il me propose :

_ Tu veux que je prenne le relais ?

_ Tu n’as pas… commencé-je.

Il me regarde dans le rétroviseur, sans comprendre, et j’hésite à finir ma phrase. Je jette un œil à Constance pour qu’elle me vienne en aide, mais elle se contente d’hocher la tête, m’intimant de poursuivre :

_ Fumé ?

_ Non, putain ! Arrêtez avec ça ! Je suis pas toxico, putain !

Son ton violent brise le calme et sa vulgarité me heurte : il n’a jamais été du genre impulsif, du moins pas avec nous.

Un ange passe, et je me pince les lèvres. Je m’apprête à m’excuser, mais il fait avant moi, détournant les yeux avant de regarder Roxane pour vérifier qu’elle est toujours endormie. Alexis a toujours été un modèle pour moi, bien que je sois plus vieux de deux mois. Drôle, déterminé, souriant, prêt à tout pour nous, insouciant, il plaisait à tout le monde avant même de prononcer un mot. Je l’ai vu changer, cette année, commencer à faire des erreurs sans que je ne puisse rien dire, mais je gardais en tête qu’il était toujours le même, au fond. Celui qui, en primaire et au collège, quand les gamins étaient encore assez immatures pour se moquer du poids de Roxane, de mes lunettes rondes, de l’intelligence de Constance ou des cheveux roux de notre ami, était le premier à aller les affronter, laissant voir cette facette impulsive de sa personnalité, qu’il ne montrait jamais en notre compagnie. Mais comme moi, et sûrement comme chacun de nous, il a changé. Et je dois m’y faire. Je dois cesser d’attendre de retrouver les trois adolescents heureux, ceux que je connaissais mieux que moi-même, et me faire à l’idée qu’ils ont disparu en même temps que notre ami, ou je ne survivrai pas à ces vacances.

Sans un mot, je me gare et sors de la voiture, le laissant prendre ma place pour m’asseoir à la sienne, à l’arrière. Le véhicule redémarre et le silence se fait de plus en plus pesant, nous plongeant dans une atmosphère froide et gênée. Constance fait comme si de rien n’était, faisant défiler les photos sur son téléphone sans y prêter réelle attention, et je regarde le mien, suspendu au tableau de bord, indiquant la route. Je remarque une notification – sûrement un message de Mia – et je vois Constance relever légèrement la tête. Elle se penche imperceptiblement en avant, comme si elle lisait ce que ma copine m’envoyait, et je crois l’apercevoir froncer les sourcils quand elle se retourne vers moi. Je fais semblant de dormir, l’air de rien. Qu’est-ce que Mia a bien pu dire ?

Même si l’envie me brûle, je ne reprends pas mon téléphone, et je reste les yeux fermés jusqu’à ce que le sommeil m’emporte vraiment.

Je me réveille à peine cinq minutes avant notre arrivée, pourtant, je n’ai pas l’impression d’avoir dormi si longtemps. Roxane est aussi réveillée à côté de moi, et quand elle voit mes yeux ouverts, elle lance :

_ Oh, je croyais que tu nous faisais un coma.

Je lui souris et elle tourne la tête. En réalité, j’ai eu tellement de mal à m’endormir cette nuit que je suis complètement crevé. Je me suis tourné et retourné dans mon lit, les mains moites, pendant des heures, comme à la veille d’un examen super important, m’imaginant les pires scénarios jusqu’à ce que le jour se lève. Alexis est dans la même position que quand je me suis endormi, et je note mentalement que c’est la première fois qu’il conduit légalement en ma compagnie.

_ Désolé. Tu pouvais me réveiller si tu voulais que je reprenne.

_ T’inquiète, je gère.

Je sens la tension dans sa voix et me rappelle sa réaction tout à l’heure, avant qu’il ne prenne le volant. Je m’en veux d’avoir douté de lui, mais j’ai l’impression que je ne le connais plus depuis quelques mois, le voyant fumer et trainer avec des gens plus bizarres les uns que les autres, comme s’il avait échangé sa personnalité pour une autre. Je pense que je suis juste inquiet, mais il semble sûr de lui, et même si tout cela paraît plus sérieux que ce qu’il veut nous faire croire, je n’essaierai plus de m’en mêler. Enfin, pas tout de suite.

A travers la fenêtre, l’océan est infini, et d’un bleu bien plus profond que la mer, chez nous. Je savais que la maison était proche de la plage, mais je ne savais pas que l’eau était si translucide, le sable si fin et qu’elle était si… bondée. Constance semble se faire la même réflexion, les yeux rivés sur les baigneurs, elle annonce :

_ D’après ma voisine, à la maison, il y a un petit chemin qui mène à une crique plus tranquille, personne ne peut y accéder, on sera plus seuls. Enfin, si vous voulez.

Nous acquiesçons tous, et je me dis qu’il n’y a sûrement qu’elle et moi qui voulons vraiment de cette solitude. Roxane est devenue d’une sociabilité impressionnante, et Alexis traîne dans beaucoup de soirées, même s’il ne paraît jamais vraiment proche de ceux qui les organisent.

La voiture s’engage sur un chemin de graviers, et notre conducteur ralentit quand mon téléphone annonce notre arrivée.

La maison est aussi grande et belle que sur les photos que notre meilleur ami nous avait montrées. Reculée, toute en baies vitrées et en bois, comme un chalet entouré d’arbres face à la mer, nous protégeant du monde extérieur.

Nous affichons tous un air fasciné, et nous avançons d’un même pas vers la maison, Constance cherchant les clés dans son sac brodé de tournesols. Quand elle les trouve, ses yeux tombent sur les miens et elle les détourne aussi vite, encore une fois. Je regrette d’avoir perdu notre relation, la proximité qui nous unissait et qui me faisait me sentir heureux, accompagné des mille autres choses maintenant perdues.

C’est toi qui l’as remplacée, idiot. Tu ne peux pas regretter ce que tu as gâché.

Je détourne à mon tour le regard et sors mon téléphone de ma poche alors qu’elle éteint l’alarme. J’ai une multitude de messages de Mia, et tout autant d’appels manqués. L’image des sourcils froncés de Constance en les lisant me revient, et je les survole, l’estomac noué.

Clem-Clem ?

Je serre les dents.

Bébé, je sais que tu veux une pause, mais on a besoin de parler.

Clément, réponds-moi, je m’inquiète.

Je viens chez toi.

Je soupire et lisant les deux derniers messages :

Ta mère m’a expliqué. Pourquoi tu ne m’as pas prévenue ? Tu es incroyable, rappelle-moi, stp.

Je t’aime <3

Elle n’a pas l’air d’être furieuse, alors qu’elle a toutes les raisons de l’être, et je ne suis pas désolé, alors que j’ai toutes les raisons de l’être. Je range mon téléphone en déglutissant, mal à l’aise à l’idée que Constance ait lu cela, mais ma gêne se dissipe quand Constance nous fait entrer et que j’aperçois l’intérieur de la grande maison.

Ah ouais, quand-même.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Em ' ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0