4. Constance

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Parfois, quand ma tête vrombit des milliers de pensées et de questions qui la traversent sans cesse, je m’assois. En tailleur, dehors, le vent caressant mon visage, le ciel me protégeant de l’inconnu. Je regarde les arbres, l’herbe, le terre, et je me dis que toutes ces choses qui font le monde étaient là bien avant moi, et disparaîtront, un jour où l’autre. Je me dis que mes choix, mes erreurs et mes paroles importent peu, puisqu’ils ne sont qu’une infime particule de cet univers qui, un jour, redeviendra ce qu’il était avant que quiconque n’ait pu le voir : le néant. Je peux me tromper, je peux hurler, je peux mal me comporter, puisque je ne suis rien, à l’échelle du tout. Un tout qui, de toute façon disparaîtra.

Aujourd’hui, je me suis assise sur le balcon, le sol dur crispant un peu plus mon corps fatigué. Il est à peine six heures du matin, et je n’ai pas dormi de la nuit. Je me pose trop de questions, mon cerveau ne peut se mettre en veille.

Nous avons décidé de partir, avec le reste des Cinq. Nous ne serons que quatre, dans la maison du membre manquant, de celui qui nous rattachait, et je ne sais pas ce que je dois en penser. Mais je ne veux pas me prendre la tête avec ça, j’ai appris à me vider. C’est de cette manière que je me suis décidée à me détacher du groupe, quand je suis revenue en cours. J’avais pourtant, à l’époque où nous étions cinq, le sentiment d’appartenir à quelque chose, de compter dans l’équation, d’être un membre important et indispensable, au même titre que les quatre autres. Mais je me suis dit que peu importait l’attitude que j’adopterais à la rentrée, les dés étaient déjà joués. Nous étions déjà dévastés, et l’équilibre était déjà brisé.

Comme cette sorte de déni des décisions m’a aidée à ne pas m’effondrer, j’ai pris l’habitude de l’utiliser tout le temps, pour tout. T-shirt jaune ou bleu, ce matin ? Peu importe, on meurt tous à la fin. C’est extrême, mais vrai. Parce que le fait que je mette une robe ou un jean, que je me dispute avec ma mère, que je mange trop de sucreries ou que je me coupe les cheveux avec des ciseaux scolaires ne change rien du tout : tous les atomes de toutes les molécules de tout ce qui compose l’univers, apparus on ne sait comment, s’évaporeront de la même manière, et à ce moment là, tout le monde oubliera, ou plutôt, plus personne ne sera là pour se souvenir. Et c’est ainsi que moi qui, avant, ne supportais pas l’idée d’être transparente et inutile, me suis faite à l’idée que je ne suis rien, et que j’ai le droit de ne rien savoir, de ne rien faire, de ne rien décider.

Je soupire et replie mes jambes nues contre ma poitrine, l’impression d’attendre un moment qui est trop surréaliste pour arriver. C’est une impression que j’avais souvent, petite. Quand mes parents m’annonçaient un voyage à l’étranger, ou quand nous prévoyions une soirée inoubliable des semaines à l’avance avec les Cinq. J’avais beau m’imaginer l’évènement tous les jours, je pensais toujours qu’un imprévu viendrait le gâcher. Sûrement mon côté pessimiste, ou rationnel. Toujours est-il que je ne peux me résoudre à affirmer que demain à la même heure, je serai à des kilomètres d’ici, dans une grande maison – dans laquelle nous avons toujours rêvé de partir – avec mes anciens meilleurs amis.

L’air est bon, la chaleur n’étouffe pas encore et il ne fait pas froid, le temps idéal pour aller courir, mais je ne me lève pas pour autant : cela doit faire un an que je n’ai pas couru ailleurs qu’au lycée. J’étais pourtant très sportive. Athlétisme, course à pieds, vélo. J’adorais faire bouger mes jambes, avant. Dépenser toute cette énergie qui ne cessait de grandir en moi, me donnant l’impression que je pouvais conquérir le monde. Mais cette dernière avait disparu aussi vite que notre ami, et j’avais dû prendre une décision entre essayer de la retrouver et la laisser partir. Alors je m’étais dit que les trophées, les médailles, les applaudissements se perdront un jour ou l’autre, comme tout le reste. Que dans des années, personne ne saurait que j’avais été une fille aussi dynamique et forte, et que même si cela se savait, ça ne changeait rien : on meurt tous à la fin. Alors j’ai arrêté de courir, et étouffé ma soif de vaincre.

Je caresse la tranche de mon carnet d’écriture distraitement, incapable de trouver les mots exacts pouvant définir ce que je ressens. Depuis que je sais le faire, j’écris dans un journal. Pas mes journées, pas les moments importants – bien qu’il m’arrive parfois de le faire – mais mes sentiments. La vision du néant quand je regarde ce qui m’entoure, l’impression d’avoir perdue l’étincelle, le manque… J’écris tout, comme pour ne pas oublier. Même si ce journal disparaitra aussi, comme tout le reste. Je le retourne dans ma main, sa couleur douce atténuant la souffrance des mots qu’il contient, et je repense au carnet que j’ai trouvé chez ma voisine, et que je n’ai toujours pas ouvert. J’y ai pensé, de nombreuses fois, mais l’image de mes amis venaient toujours s’interposer quand je me décider à le lire, et je finissais par abandonner.

J’entends la baie vitrée s’ouvrir derrière moi, me coupant dans mes réflexions, avant de sentir une main s’appuyer sur mon épaule et de voir ma sœur s’asseoir à côté de moi, nos bras se touchant, dans le silence. Elle me ressemble beaucoup, et rares sont ceux qui ne nous pensent pas jumelles, même si je suis de deux ans son aînée. Nous faisons quasiment la même taille, nos yeux sont du même bleu, nos cheveux du même blond – bien que les siens soient bien plus longs – et nous partageons le même épi à notre sourcil droit. La seule chose qui nous différenciait était notre caractère, mais même sur cela, nous avons fini par nous ressembler : bien qu’elle ait tout pour être sûre d’elle et affirmée, Claire a toujours était timide et réservée, du genre à laisser sa place dans le bus et à baisser les yeux quand quelqu’un la bouscule, à mon opposé. Avant, je riais, j’étais révoltée et passionnée, mais j’ai perdu cela soudainement, me créant une nouvelle similitude avec ma petite sœur.

Je pose ma tête sur son épaule, et ses longs cheveux me chatouillent le visage. Même si nous ne sommes pas très proches, elle reste la petite sœur idéale : discrète, sincère, à l’écoute et absolument pas fouineuse. J’aimerais parfois qu’elle s’affirme plus, autant que je chéris sa transparence, égoïstement.

Après quelques minutes, le chien nous rejoint, et ses halètements rompent la bulle silencieuse que nous avions tissée.

_ Tu es nerveuse ?

Sa voix est à son image, douce et délicate. Je réfléchis un instant à sa question, fixant la balancelle en bois au fond du jardin.

_ Oui. Mais j’en ai envie.

_ Tant mieux.

Je ne fais aucun commentaire, pensant que la conversation et finie, mais je la sens bouger sous ma tête, se positionnant pour mieux me regarder, l’air sérieux :

_ Tu as l’occasion de redevenir toi-même, Constance. Ne loupe pas ça. Ce n’est pas parce qu’il est parti que tu n’as plus le droit de vivre comme avant.

Je fronce les sourcils, étonnée de l’entendre me parler de cette histoire, elle qui a toujours préféré éviter les sujets fâcheux. Mais je hoche la tête, ses mots résonnant dans la mienne comme un mantra. Elle me sourit et se relève, et je reste un instant seule sur la terrasse, l’esprit encore embrouillé, mais plus reposé, avant de la suivre à l’intérieur.

Le temps parait s’écouler lentement, mais il finit par me conduire au moment redouté : le corps sous tension, j’entends une porte claquer dans la rue, et je cours à la fenêtre pour apercevoir Clément devant sa voiture, saluant un Alexis tout de noir vêtu, un sac de voyage entre les mains. Avec une grande inspiration, je descends les escaliers et rejoins ma porte d’entrée, le cœur battant à mille à l’heure.

Que la fête commence.

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