Ménage-Magic

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"Vous révez d'une vie sans effort ? Ménage-Magic ! Ménage-Magic !

Avec l'appui d'un simple bouton, votre intérieur se rangera en une seconde chrono.

Fini les temps d'attentes interminables et les employés grincheux, nettoyer votre nid douillet n'aura jamais été aussi rapide !

Utilisez Ménage-Magic et la magie s'opère. "

D'un geste leste et avec peu d'entrain, Florian termine d'enfiler ses gants. "Ménage-Magic ! Ménage-Magic ! " Fredonne-t-il sans s'en rendre compte au premier abord.

- Et merde ! Encore cette putain de musique, dit-il après en avoir pris conscience.

- Tu devrais la chanter à voix haute jusqu'au bout, il parait que c'est le meilleur moyen de l'arrêter. S'exclame un de ses collègues.

- Remarque avec ta grosse tête, il doit s'en passer des choses là-haut ! Ricane un autre.

- Ne lui parlez pas sinon...

Florian grommelle avant d'ouvrir la porte et la claque derrière lui.

Il n'avait que faire de ce que les autres pensaient de lui : un ronchon, un gromelard, un casse-bonbon... Rien ne pourrait jamais effacer son badge qu'il arbore avec fierté : "Technicien de l'année ! "

- Ha ! Ils peuvent bien se les mettre où je pense leurs quolibets, dit-il.

Après avoir marché plusieurs kilomètres au sein d'un couloir blanc sans fin, il trouve enfin le numéro qui lui a été attribué.

- Chambre 10005.

L'arsenal du parfait petit technicien était disposé à côté de la porte : serpillère, produit décapant, lave-vitre... Tout un attirail qui n'a pas grandement bougé depuis 200 ans, à part quelques changements de couleurs et de poignées toujours plus ergonomiques. Mais tout ça l'importe peu car aujourd'hui encore il allait nettoyer et briquer cette chambre comme jamais personne auparavant !

- Oh bordel ! S'exclame-t-il juste après avoir ouvert la porte.

Le problème lorsqu'on est le numéro un dans son domaine, c'est que l'on donne régulièrement les tâches les plus compliquées.

La pièce est sans dessus-dessous : les meubles renversés, le contenu des armoires déversé par terre. Et par dessus tout, contre un des murs, le cadavre d'une personne. La victime devait être face au mur, le dos tourné à son agresseur, avant que la balle ne lui traverse la tête. Son visage est détruit, non reconnaissable, et une énorme giclée de sang est étalée sur le papier peint beige de la chambre.

Dans son métier Florian a tout vu, aussi cette scène ne lui fait ni chaud ni froid. La seule chose qui l'inquiéte c'est le temps pour s'occuper de cette pièce. Car chez Ménage-Magic le temps est précieux : plus le technicien est lent, plus bas est son salaire...

Le temps, c'est de l'argent en moins.

Affiché en filligrame sur un des murs de la pièce défile un minuteur. Quatre gros chiffres qui rendent fou l'ensemble de ses collègues. Mais pas lui.

- Douze heures pour ça ? Ha ! Ils ont dût payer une fortune. A moi la prime ! Dit-il en se mettant au travail sans relâche.

Six heures passent. Florian s'éponge le front, à bout de souffle mais satisfait : la pièce est comme neuve. Tous les meubles réparés, leur contenu rangé au bon endroit, la tapisserie étincellante et sans tâche ! Quand au corps... Il regarde un liquide bleuâtre dans un sceau avant de pousser un soupire triomphant. Même un grain de poussière ne peut passer au travers de ses mains expertes !

Après avoir tout rangé et vérifier à cent reprises qu'il n'a rien laissé - il ne se rappele que trop bien de son ancien collègue désintégré par faute d'un balai oublié - il pose les affaires en dehors de la pièce et appui sur le bouton. La porte se referme, clignotte puis disparait.

Après quelques dizaines de minutes de marche il retrouve la pièce principale, "le sas" comme ils l'appèlent.

-... il va vous mordre, répond un troisième.

Tous ses collègues se mettent à rire.

- Tiens tu as terminé ? Alors c'était comment cette fois ?

- La routine, grommelle Florian en se déchaussant.

Alors qu'il est en train de se changer, un de ses collègues habillé en blanc de la tête au pied passe par la porte, la referme et l'ouvre à nouveau. A son retour il est couvert de boue, le regard hagar.

- Ca va mec ? Demande quelqu'un.

- Huit heures... J'y ai passé huit putain d'heures à briquer toute cette merde pour que dalle !

- Merde. Il te restait combien avant de sortir ? Demande un troisième.

Son visage s'assombrit tandis qu'un agent de sécurité entre par la porte rouge et lui demande de le suivre.

Personne ne peut plus rien pour lui.

Lorsque la poignée se ferme, une femme en tailleur sort par une porte bleue. Elle s'approche de Florian qui termine de s'habiller :

- Bonjour monsieur Roter. Veuillez me suivre je vous prie.

- Bien sûr, répondit ce dernier sous le regard incrédule de ses semblables.

Alors qu'il s'échappe par la porte bleue, il entend derrière lui :

- La porte du magistrat ?

- Sérieux ?

- Quel couillu ce Roter...

Ca y est, enfin ! Deux ans de bons et loyaux services au sein de la compagnie donnent le droit à des avantages dont tout le monde rêve : argent, gloire, propriétés fabuleuses, festins dignes d'un roi... Il peut demander ce qu'il veut. C'est dans le contrat.

Ce qu'il a demandé ? Un appartement somptueux en plein coeur de la cité. Quelque-chose qu'il n'aurait jamais pu s'offir même s'il avait travaillé mille ans dans n'importe quelle autre entreprise.

"Ménage-Magic ! Ménage-Magic ! " Fredonne-t-il soudain, mais cette fois-ci avec gaieté de coeur.

Clés en main il ouvre enfin les portes de son appartement rêvé : des pièces immenses avec IA personnelle intégrée, plancher en bois auto-régénérant, piscine à vague dans le salon avec simple appuis sur un bouton... Il en a presque les larmes aux yeux. Et ces murs... ces meubles...

Quelque-chose d'étrange le saisit.

Pris d'un doute, il se rapproche d'un des murs de la pièce, orné d'une tappisserie beige. Il pose la main contre la paroi, là où...

- C'est là qu'était la tâche non ?

Soudain ses yeux s'écarquillent lorsqu'il sent la froideur du métal s'appuyer contre l'arrière de son crâne.

"Quelle ironie, le meilleur des techniciens effaçant la scène du crime de sa propre mort... " furent ses dernières pensées.

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