Lorsque j'ai rencontré cette petite fille c'était déjà une grande demoiselle, au regard un peu triste. Son coeur s'était arrêté de battre pour celui qu'elle avait aimé le plus au monde et un beau jour de printemps elle m'avait raconté son histoire. Je vous la raconte à mon tour, telle qu'elle me l'avait racontée à moi, celle qui aurait tant aimée être son amie...

Cette petite fille était née à l'époque où l'on apprenait aux petites filles à devenir de bonnes maîtresses de maison et à porter des robes qui conviennent à des petites filles bien comme il faut. Et en ce temps là, il n'était pas question, pour une petite fille bien comme il faut, de jouer à des jeux de garçon, ni même de faire des patouilles dans les flaques d'eau.
La mère de la petite fille, dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de tort, disait qu'elle avait failli mourir le jour de sa naissance et en vérité elle ne savait que faire de cette enfant trop brune qui l'empêchait de faire carrière. Quant à son père, il faisait toujours la guerre et n'avait pas beaucoup d'amour à lui donner.

Pourtant cette petite fille ne pouvait pas être malheureuse, puisqu'elle avait tout ce qu'une petite fille peut désirer... Un gentil petit frère qui lui tirait les cheveux de temps en temps, un papa et une maman bien comme il faut, et surtout, surtout, beaucoup de jouets. Chaque année cette petite fille commandait une panoplie de fée dans sa lettre adressée au Père Noël. Et plus les années passaient, plus les jouets venaient de tous les coins du royaume d'Italie, pour satisfaire cette enfant au regard si triste, mais point de panoplie de fée... Et la petite fille finit par ne plus croire au Père Noël. Mais comme elle ne voulait pas faire de peine à ses parents, elle fit semblant d'y croire encore un petit peu.

Cette année là elle venait d'avoir huit ans et sa grand-mère, qui était tombée gravement malade, n'avait pas pu lui envoyer son cadeau de Noël à temps. Et un beau matin d'hiver, c'était bien après la fonte des derniers bonhommes de neige, elle eut la bonne surprise de découvrir un énorme colis au pied de son lit.
Son coeur battait très fort dans sa poitrine, parce que la boîte de ce colis était bien plus grande que celle des autres cadeaux qu'elle avait reçus jusqu'à présent. Elle se disait que sa grand mère avait certainement fini par trouver la panoplie de fée qu'elle attendait depuis si longtemps. Pourtant elle hésitait à sortir de son lit et à déchirer l'emballage de papier brun et préférait rêver à tout ce qu'elle pourrait changer autour d'elle, lorsqu'elle deviendrait une fée. Mais comme les bonnes choses ont une fin et qu'elle avait tout de même très envie de découvrir le contenu de ce mystérieux cadeau, c'est avec les yeux encore embués de sommeil qu'elle plongea au coeur du secret.

Personne, non vraiment personne ne peut imaginer, ne serait ce qu'un seul instant, combien elle fut malheureuse de découvrir ce qui se cachait à l'intérieur de la grande boîte de carton. Sa grand mère, qu'elle aimait tant, lui avait envoyé une énorme cuisinière, pour jouer à la petite fille bien comme il faut. Et à l'intérieur du four de la cuisinière il y avait un horrible poulet rôti en celluloïd. La petite fille se mit à verser toutes les larmes qu'elle n'avait pas pu verser jusqu'à ce jour et elle décida, que puisqu'il en était ainsi et que personne ne l'aimait, elle s'en irait. Alors elle se réfugia dans ses rêves, jusqu'au jour où elle devint suffisamment grande pour se marier. Mais la petite fille qui était devenue grande ne voulait pas se marier et elle partit bien au delà de la frontière. Et comme elle n'avait pas un sou en poche, elle accepta un emploi de serveuse, dans une contrée si lointaine que personne n'en connaissait le nom.

Et un beau soir d'été alors qu'elle servait à la table de la grande duchesse Léonie, son regard croisa celui d'un bel officier tout d'or et de grenat vêtu. Il lui semblait qu'elle l'avait toujours connu et ils échangèrent quelques baisers et leurs adresses respectives. Elle se disait qu'elle ne le reverrai plus jamais, parce qu'elle était décidément bien trop pauvre et bien trop vilaine et que ce beau jeune homme était promu à un avenir meilleur. Elle finit par l'oublier et par se marier avec un jeune homme bien comme il faut et apprit à devenir une parfaite maîtresse de maison, qui cuisait à merveille le poulet rôti aux quatre épices.
Jusqu'au jour où elle reçu enfin la lettre qu'elle avait attendue pendant si longtemps. Le jeune homme tout d'or et de grenat vêtu lui demandait de le rejoindre plus loin que les étoiles. Mais hélas à cette époque là, les jeunes femmes bien comme il faut se devaient d'être tout de même raisonnables et de ne pas s'envoler avec le premier venu, même si c'était pour partir plus loin que les étoiles. Alors elle attendit bien après la fin de l'automne avant de le rejoindre. Elle avait même attendu si longtemps qu'elle avait perdu sa fraîcheur d'avoir été une jeune femme bien comme il faut et que lui était très malheureux d'avoir connu tant de batailles. Aussi il ne la reconnut plus guère et elle comprit qu'elle avait beaucoup trop attendu et que si les rêves sont faits pour être réalisés il vaut mieux éviter de leur tourner le dos, car sinon ils risquent de disparaître à tout jamais...

Pourtant ce n'est que bien des années plus tard, alors qu'elle regardait cette drôle de photo que son père avait prise à l'époque où elle était haute comme trois pommes et posait à côté du grand bonhomme de neige, qu'elle se souvint qu'elle avait été une petite fille qui voulait devenir une fée. Elle avait atteint l'âge de raison et savait que la vie offre toujours une seconde chance à ceux et celles qui acceptent d'ouvrir leur porte au bonheur. Elle était bien décidée à saisir cette chance et mit tant de coeur à l'ouvrage qu'avec une grande pièce de drap bleu et de simples rubans de coton elle cousît une merveilleuse robe aux couleurs de l'aube et elle confectionna aussi une baguette magique qui scintillait comme mille étoiles de diamants.

Et depuis ce beau jour de décembre elle parcourt le monde pour réaliser les rêves des petites filles et des petits garçons. D'ailleurs il se pourrait  fort bien qu'à votre tour vous rencontriez la bonne fée... Alors si tout au fond de votre coeur se cache toujours une petite fille ou un petit garçon, je vous en supplie, faites un voeu.