Chapitre 4

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Alors que je me mets en position de défense, nous sommes interrompus par monsieur Horribilus. Celui-ci darde sur moi un regard rieur, mais que je devine faux.

– Alors, alors Ezekiel, on se montre trop curieux visiblement.

– Je n’avais pas l’intention de l’être. Je visite simplement les coulisses du cirque. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça.

– Vous avez raison.

Son regard s’arrête sur le gobelet que j’ai posé sur la table.

– Vous n’avez pas aimé notre cocktail maison ?

– Il y a à peine trempé les lèvres, constate Ginny avec une petite moue.

– Hum.

Horribilus a presque l’air déçu.

– Il faut boire, vous savez.

J’ai alors un éclair de lucidité.

– Oui pour devenir amorphe comme les spectateurs qui contemplent vos numéros. Finalement vous les retenez prisonniers…

– On peut voir les choses comme ça effectivement.

Je ne peux m’empêcher d’être ironique et riposte aussitôt :

– Comment voir ça autrement ?

– Je comprends votre point de vue.

Horribilus fait un geste à ses employés pour qu’ils s’éloignent. Le directeur passe un bras autour de mes épaules, je ne retiens pas ma grimace de dégoût, sans pour autant m’écarter. Il m’entraîne d’un pas tranquille à l’extérieur. Aveuglé par la lumière du soleil après la semi-obscurité du chapiteau, je cligne plusieurs fois des yeux.

– Vous êtes différents des autres Ezekiel. Tous ont bu ma préparation sans poser de questions, ils ont pourtant vu les animaux lacérés dehors, donner leur sang… tous ont accepté de jouer le jeu… contrairement à vous…

– Désolé, dis-je dans un sourire.

– Y pas de quoi. Je suis étonné que cela ne soit pas arrivé avant.

– Oui, moi aussi.

Nous faisons encore quelques pas, dépassant les bêtes en cage. Horribilus fixe l’horizon et prend la parole d’une voix grave. Je ne sais pas s’il s’adresse à moi, ou fait simplement un constat.

– Avant nous étions une troupe de forains tout ce qu’il y a de plus normal. Nous parcourions les villes, faisant la joie des enfants et de leurs parents. Le cirque a de tout temps attiré les gens. Mon équipe et moi avons toujours aimé notre vie de nomade. Et puis un jour…

Horribilus semble soudain gêné et toussote. Je reprends pour lui :

– Et puis est venue l’apocalypse.

– Oui, voilà. Le directeur parait soulagé que j’ai prononcé le mot. Nous avions établi notre campement en bord de route, au milieu de nulle part. Nous devions atteindre la prochaine ville le lendemain, pour une représentation. Durant la nuit nous avons était attaqué par ce qu’il nous a semblé au premier abord être des hommes, j’en doute cependant. Cela ressemblait plus à des bêtes qui se tenaient debout et grognaient.

Horribilus se tait, restant songeur, comme s’il revivait le moment. D’une voix douce, presque lasse, je lui dis :

– Ce n’était pas des animaux, non. C’était quelque chose de plus monstrueux, de contre nature. Je le sais, je les ai vus. J’ai eu la chance de réussir à les éviter… il s’agit d’hommes en état de décomposition.

Mon compagnon esquisse une grimace de dégoût. Je crois qu’il préférait penser à des bêtes, ça aide à faire moins de cauchemars. Le directeur continue son récit.

– Ils s’en sont pris à certains de nos animaux, les lions, tigres…

– Oui j’ai vu.

– C’est vrai. Je ne sais comment, mais ils ont survécu. Leur corps étaient lacéré, mais ils n’en souffraient pas. Leur état cependant ne nous permettait plus de nous servir d’eux pour nos numéros. Ils étaient devenus comme des zombies. Beaucoup de mes hommes sont presque morts, transformés en monstres. J’ai remarqué que lorsqu’ils léchaient le sang d’autres personnes ils paraissaient avoir comme un semblant de vie, alors…

– Alors, repris-je pour lui, vous avez réussi à piéger des malheureux qui pensaient voir un cirque normal, et leur avez fait payer l’entrée par une goutte de liquide écarlate.

– Oui, mélangée à de l’eau elle permet à ma troupe de continuer à faire ce pourquoi elle est la meilleure… des numéros. Et grâce à une concoction que j’ai inventé il y a plusieurs années, je peux les garder dans un état second, ponctionnant du sang quand j’en ai besoin afin de nourrir tout le monde. Horribilus ajoute avec un sourire, et puis cela fait des spectateurs.

– Que se passerait-il si vous cessiez de vous alimenter de cette façon ?

– Nous nous transformerions comme ceux qui nous ont attaqués, je suppose. Mais je ne laisserais pas cela arriver. Je préfèrerais tout brûler.

– Vous n’avez pas le droit de garder tous ces gens sous votre coupe. Ils ne sont pas de la nourriture. Il y a des enfants nom de dieu !

– Ça ne vous concerne pas. Partez ! Je ne vous retiendrais pas de force. Allez-vous-en !

– Je ne peux pas m’enfuir comme ça, sachant que vous détenez des innocents.

Horribilus émet un rire grinçant :

– Si vous le pouvez. Bienvenu dans le Nouveau Monde, celui de l’apocalypse. Si vous ne partez pas, je vous tue. Vous préférez ça ? Avoir la conscience tranquille et être mort ? Ou vivre en essayant d’oublier ce que vous avez vu ?

Je n’ai pas besoin de lui répondre. Évidemment que je préfère vivre.

(à suivre)

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