Chapitre 26 – douces conséquences

10 minutes de lecture

Pour la première fois depuis très longtemps, Saarf se sentit en colère. Ce n’était pas un sentiment habituel pour un oméga alors il contempla sa propre émotion froidement. C’était un courant chaud qui se déplaçait dans son ventre et faisait bouillonner son sang dans ses veines. La colère ne l’aiderait pas, il en avait parfaitement conscience alors il attendit qu’elle passe et froidement, il demanda :

- Est-ce que tu te sens plus en confiance ?

A côté de lui Fye tremblait comme une feuille. Lorsqu’ils lui avaient demandé de prendre Perte, ils savaient que ce serait compliqué. En faites, ils en avaient même discuté tous les trois et ils en étaient arrivés à la conclusion qu’il y aurait sans doute des dérapages. Fye pensait qu’il risquait de paniquer et de déclencher une crise de rut sans que ce ne soit strictement nécessaire. Mais il l’avait tout de même accepté en se jurant de toujours tenter de s’éloigner si la peur devenait trop forte.

- Je ne sais pas. Répondit doucement Fye.

Sans un mot, Saarf le ramena à la chambre. Devant eux, grelotant sans pouvoir le contrôler, l’alpha était toujours dans sa cage, les cheveux encore humides. Le matelas sous lui était détrempé. Et il respirait toujours un peu difficilement. Il s’était peut-être passé dix minutes entre la quasi-noyade et cet instant. Fye n’était pas plus calme, il était au bord d’une crise d’angoisse monstrueuse et Saarf se sentait toujours en colère.

- Je vais m’occuper de nettoyer, de changer le matelas et de tout ce qu’il faut.
- Merci Saarf.
- Et toi tu vas t’occuper de Perte.

Fye s’immobilisa tout à fait, son ami ne pouvait pas lui demander ça, il n’en était pas capable. Mais Saarf avait l’air on ne peut plus sérieux quand il se tourna vers lui pour lui dire :

- Tu as été capable de lui ordonner de se noyer. Tu es capable de lui ordonner de se mettre au piton et de crocheter ses menottes. Tu es capable de t’occuper de lui, Fye. Et je pense qu’il t’a prouvé qu’il était capable de t’obéir plus qu’il ne le devrait, non ?

Ce n’était pas une punition. Ce n’était pas pour lui faire du mal. Fye était simplement apte à le faire, même s’il ne le croyait pas vraiment. Le jeune oméga tremblait sans discontinuer lorsqu’il alla ouvrir la porte de la cage. A l’intérieur Perte resta immobile, refusant d’anticiper sur quoique ce soit de crainte de lui faire peur.

- Perte s’il-vous-plait, sortez.

L’alpha obéit trainant les longues chaines derrière lui provoquant milles fracas. Il ne pourrait pas les enlever seul. Il resta immobile debout, tout contre la cage. Son oméga tremblait presque autant que lui.

- Il faut que j’enlève les chaines. Est-ce que vous pourriez… tendre un bras derrière vous ?

C’était à peine un chuchotement, mais aussitôt Perte obéit. La chaine fit un tintamarre encore plus fort alors qu’elle était tirée sur la cage. La position deviendrait rapidement une torture, mais il fit de son mieux pour ne pas y penser. Rien ne serait pire que l’eau. Depuis qu’il avait commencé à être puni par des omégas, c’était la première fois qu’il avait autant souffert. Atkins aimait le faire souffrir, mais ça n’avait jamais été jusque-là. Pourtant, pour la première fois depuis qu’il était arrivé ici, il se sentait un peu mieux. Il avait réussi à obéir à son oméga. C’était ça qui comptait et bientôt, il reçut le prix de cette obéissance. Fye l’avait contourné lentement pour venir vers cette main tendue. Ses doigts, si fin et si froid, s’étaient posés sur sa peau dans un effleurement si doux que Perte crut l’avoir rêvé. Pourtant ils revinrent avec délicatesse et un instant plus tard, la lourde chaine retomba sur la cage.

- L’autre maintenant.

Perte obéit comme il obéissait toujours, prestement et sans attente, faisant s’éloigner Fye devant ce geste trop vif. Pourtant la main tendue resta aussi immobile que les tremblements le lui permettaient. Fye l’observa un instant et il se rendit compte que Perte était prêt à rester comme ça, malgré le froid et la douleur, juste parce qu’il l’avait demandé. Alors il se réavança plus vite qu’il ne l’aurait cru pour le libérer. Le vacarme fut assourdissant, une fois encore.

- Je voudrais que vous alliez jusqu’au piton.

Et il le fit tout aussi simplement que ça. A côté d’eux Saarf se mit en mouvement pour tout ranger sans plus s’occuper de son ami et de l’alpha. Il ne voulait pas interférer. Fye se débrouillait aussi bien qu’il le pouvait et il fallait que ça continue, qu’une bonne chose sorte de cette horreur.

L’oméga hésita, Saarf avait proposé de le faire crocheter ses menottes au piton mais alors il ne pourrait ni s’asseoir, ni remuer les bras. C’était assurément la meilleure position pour le rassurer, mais ce n’était pas la meilleure pour l’alpha.

- Asseyez-vous et attendez-là… d’accord ?

Perte acquiesça sans dire un mot, heureux de pouvoir s’asseoir réellement. Il était épuisé. Ses poumons lui faisaient toujours mal et son corps flageolait. S’il lui avait demandé d’attacher ses menottes lui-même, il aurait eu énormément de mal à le faire alors ça le soulageait. Il ne voulait pas que l’oméga puisse croire qu’il refusait d’obéir. Ce fut sa laisse qui fut mollement attachée au mur.

Il y eut un instant de flottement, puis Fye récupéra une serviette dans ses affaires. Assis, Perte le suivait discrètement du regard. Il avait beaucoup de mal à reprendre sa respiration et à chaque fois que l’oméga se rapprochait, il avait tendance à la bloquer et à se recroqueviller pour ne pas lui faire peur. Ça n’aidait pas. Lorsqu’il revint avec le bout de tissu, Perte crut d’abord qu’il allait lui donner avec l’ordre de se sécher. Mais à la place, il s’en occupa lui-même. Ses petits pieds fins étaient à quelques millimètres de ses jambes et son corps était un peu plié vers l’avant pour essuyer délicatement ses cheveux. Enfouie sous la serviette, il ne voyait presque plus rien, mais les frottements étaient si faibles qu’ils ressemblaient à de douces caresses et ça lui fit du bien. Pour la première fois, il se rendit compte à quel point il avait eu peur de mourir comme ça. Il se laissa un peu aller vers l’avant, rêvant de pouvoir se blottir contre un corps chaud, mais Fye était définitivement trop loin. De toute manière ce n’était pas une bonne idée d’instaurer de lui-même un contact.

- Votre haut est trempé. Enlevez-le s’il-vous-plait.

Et Perte obéit, glissant le tissu lourd sur son corps, jusqu’à le laisser pendre à la laisse derrière lui. Pour le retirer, Fye du le détacher et le réattacher. C’était autant de manipulation qu’il n’avait pas été capable de faire seul jusque-là. Mais tourner autour de Perte à moitié dénudé, c’était encore plus dur. Sans les vêtements pour le cacher, il pouvait maintenant voir chaque muscle ressortir sous sa peau. Alors qu’il observait cette puissance à l’état brut, il nota également les frissons, l’humidité et les tremblements réguliers. Ce fut ce qui l’aida à revenir essuyer son alpha, lentement, avec soin et application.

- Je vous laisse la serviette, finissez de vous déshabiller et essuyez-vous, je vais vous chercher des affaires sèches.

Il n’était pas capable de se pencher pour finir le travail. Le matelas s’était détrempé et son pantalon portait de grandes auréoles humides au niveau des genoux et des chevilles. Il le laissa se débrouiller et fouilla dans la petite commode où il avait plié quelques vêtements à la taille de son alpha pour lui trouver quelque chose de confortable pour le reste de la nuit. Confortable et chaud, idéalement. Lorsqu’il se retourna, Perte était nu comme un ver, ce qui le choqua et le fit reculer en criant. A côté d’eux, Saarf avait déjà fait un certain nombre d’aller-retour en silence, et il s’arrêta pour observer la scène un instant avant de se remettre à la tâche comme si l’immense alpha nu ne représentait rien d’ingérable.

- Pourquoi ? Vous…

Fye se retourna à nouveau pour saisir un caleçon, tout en fermant à moitié les yeux, atrocement gêné. Même lors de ses chaleurs, il n’approchait pas autant le sexe d’un alpha avec aussi peu de monde pour l’aider. Il n’arriverait jamais à lui donner en main propre. Faute de mieux, il les posa au sol et les poussa un peu du pied dans sa direction avant de reculer et de se détourner.

- Habillez-vous maintenant.

Il attendit un long moment avant que Saarf ne vienne le voir. L’autre oméga le prit simplement dans ses bras et Fye s’effondra en pleurs, incapable de gérer davantage ses émotions. Entre deux hoquets, il parvient à dire qu’il était désolé, qu’il ne savait pas ce qui lui avait pris, qu’il n’avait jamais voulu lui faire du mal. Saarf le savait parfaitement et il le garda, fermement serré dans ses bras jusqu’à ce qu’il se soit un peu calmé.

- Ecoute moi, j’aimerais que tu finisses de t’occuper de Perte. Regarde-le. Vas-y.

L’oméga le plus âgé attendit que l’autre obéisse et observe le grand corps encore à moitié dénudé pour ajouter.

- Il faut détacher sa laisse pour qu’il puisse enfiler le haut, puis j’aimerai que tu le conduises à l’endroit où tu veux le faire dormir. C’est à toi de décider s’il est digne de confiance ou pas. Ce que tu vas choisir est très important, Fye.

S’il n’arrivait pas à lui faire confiance après un tel moment, il ne le ferait sans doute jamais. De son côté, il n’avait jamais entendu parler d’une telle obéissance. Quand Fye était venu le chercher, il pleurait sans discontinuer et il disait que Perte avait failli mourir. Il disait qu’il s’était mis en colère et qu’il lui avait demandé un truc impossible juste pour qu’il arrête de mentir… mais Perte ne mentait pas. Fye avait crié cette phrase plusieurs fois. « Il ne mentait pas ! ». Tout était dit. Soit il le pensait réellement et il n’avait plus de raison d’en avoir peur, soit il valait mieux tout arrêter là. Saarf lui promit qu’il était capable de le faire et il partit, les laissant régler ça ensemble. Il avait assez de connaissances dans les comportements alphas pour faire confiance à Perte et ses yeux explosés de rouge achevaient de le convaincre.

Seuls dans la pièce avec Fye, Perte se ratatina un peu plus encore, coinçant le tee-shirt entre son torse et ses cuisses dans une quête de chaleur impossible à assouvir. Le froid semblait venir de l’intérieur. Il connaissait ce type de froid, des froids de chocs, des froids de fatigues. Rien ne l’aiderait vraiment. Saarf se trompait, Fye n’allait pas y arriver et il passerait la nuit ici. Ce n’était pas une mauvaise chose. Ce serait toujours plus confortable que la cage et même si la laisse était trop courte pour lui permettre de se coucher, il pourrait au moins remuer assez pour ne pas souffrir de l’engourdissement. Peut-être même qu’en se collant correctement au mur, il arriverait à dormir. Il l’avait déjà fait, parfois plusieurs nuits d’affilés.

Pourtant contre toute attente, Fye finit par s’approcher. Il ne le détacha pas immédiatement à la place, il s’assit juste un peu plus loin, hors de sa portée.

- Je suis désolé. Je n’aurais pas dû vous demander de mettre la tête dans l’eau… et j’aurais dû vous libérer ce matin. En faites, je n’aurais pas dû demander ce genre de contention. Je n’avais pas pensé qu’elles puissent vous faire aussi mal.

La voix de l’oméga n’était pas beaucoup plus haute qu’un murmure, mais il entendait distinctement ses mots. C’était la première fois qu’on s’excusait auprès de lui et Perte n’était pas à l’aise avec ça. Était-il censé répondre ? Il ferma les yeux douloureusement.

- Je… J’ai souvent juste… trop peur pour faire les choses bien. Je ne sais pas ce que nous pourrions faire contre ça…

Fye attendit un moment avant de se rendre compte que Perte ne répondait pas s’il n’y avait pas de questions directes. Ce n’était qu’un détail et pourtant, cela finit de le glacer.

- Vous avez le droit de parler, de répondre, de dire ce que vous pensez. S’il-vous-plait Perte…

L’alpha baissa un peu plus la tête. On lui demandait une solution, une solution pour qu’il fasse moins peur. Ce n’était pas quelque chose d’évidents. Il finit par murmurer, tout doucement :

- Vous pourriez décider d’une posture de soumission. Quand vous n’êtes pas sûr, vous la réclamez.

Perte se tut, cet exercice l’avait tellement fait souffrir à l’époque. C’était comme ça qu’on l’avait brisé dans un premier temps. C’était souvent humiliant, parfois douloureux et cela demandait de ne penser à rien d’autres qu’à son oméga. Mais aujourd’hui, ce serait un jeu d’enfant pour lui. Il avait appris à obéir.

- Vous avez déjà fait ça ?
- Oui.
- Montrez-moi.

Avec une lenteur qui venait de la douleur dans ses muscles, il fit l’une des positions qu’on lui avait le plus demandé, celle qui avait le plus plu à sa connaissance. A genoux, la tête courbée vers le sol autant qu’il le pouvait, les bras liés dans le dos, les mains crochetées l’une à l’autre. Il suffisait de les saisir pour les tirer vers le haut et provoquer d’intenses douleurs, alors pendant longtemps, il s’était révolté. Aujourd’hui, ça n’avait plus la moindre importance. Tout ce qui comptait c’était cet oméga et sa peur.

Sans un mot Fye se releva et le contourna pour détacher la laisse.

- Allez sur le lit, s’il-vous-plait.

Perte obéit silencieusement, se figeant juste lorsque l’oméga lui ouvrit les draps avant de lui indiquer de se mettre là. Il l’observa attacher la laisse aussi courte que possible entre les barreaux de la tête de lit, dans l’espace prévu à cet effet. Ici ? Il allait le faire dormir ici ? Sous une couverture ? Sur un vrai matelas ? A côté de lui ?

- Crochetez vos menottes s’il vous plait, devant vous. Je suis désolé, mais je vais les attacher également.

Fye ne pourrait pas dormir pour autant, mais il pourrait peut-être essayer se dit-il finalement en se glissant sous les draps. C’était ça qu’il voulait, être capable d’une réelle proximité, ne pas paniquer et surtout ne plus jamais le blesser.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Hendysen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0