Chapitre 23 - un lot d'angoisses

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Perte s’était de nouveau retrouvé assis, enchainé dans un coin de la salle d’étude, loin de son oméga qui ne s’était pas montré. Il ne se sentait pas très bien sans doute à cause du manque de sommeil et des courbatures qui courraient dans tout son corps. Il ne faisait pas spécialement attention à ce qu’il y avait autour de lui. Merwan était en liberté ce qui était toujours aussi dangereux, mais il n’y pouvait strictement rien. Alors à quoi bon y faire attention ? Il s’était reculé assez loin dans ses pensées, rêvassant de la petite chambre douillette qu’il occupait dans sa zone commune, lorsque la voix de Merwan retentit bien trop près, le faisant sursauter.

Ce n’était presque rien, il avait juste dit « Salut » et un silence de glace lui avait répondu. Le léger brouhaha qui constituait le fond sonore habituel de la pièce s’était arrêté net alors que tous les observaient. Les omégas restaient globalement immobiles et parmi les bêtas, certains s’étaient vaguement rapprochés. La règle indiquant que les alphas ne devaient pas être en contact était plus implicite qu’autre chose et ce qui était en train de se produire était hautement inhabituel. C’était bizarre.

Perte hésita et jeta un coup d’œil à celui qui lui servait de référent en l’absence de son oméga. Saarf avait l’air un peu plus tendu qu’en temps normal alors en alpha bien obéissant, il se détourna un peu sans répondre à Merwan. Ça n’en valait pas la peine. Il n’avait aucune chance d’apprivoiser Fye, mais il parviendrait peut-être à obtenir quelques avantages de Saarf s’il se montrait des plus obéissants. Cette stratégie l’avait toujours aidé et il ne comptait pas en changer.

- Je me suis dit que tu devais t’ennuyer…
- …
- Alors si tu veux, je peux t’apporter quelque chose. Un livre ?

Un livre ? Perte ne comprit pas vraiment. Il avait déjà vu Merwan faire semblant de lire, -car il ne pouvait pas vraiment savoir lire n’est-ce pas ?- mais il n’avait pas compris quel était son intérêt là-dedans et lui, il n’en avait aucun.

- Ou de quoi dessiner ?

Une activité d’enfant pour attirer la pitié, supposa Perte, sans comprendre réellement.

- Ou alors tu peux m’aider ? Il y a une étude, tu te souviens, ils en ont parlé au procès… Une étude sur les alphas… J’aimerai trouver des personnes pour témoigner et pour répondre à des questions mais tu pourrais peut-être m’aider à prévoir plus de questions ? … Ou de meilleures questions ? Je ne pense sans doute pas à tout.

Merwan se frotta la nuque mal-à-l’aise du silence de l’autre. Il savait bien que Perte parlait rarement, mais ce qu’il faisait était plus qu’osé et si l’autre ne répondait pas, ça ne servirait pas à grand-chose. Devant son air fermé, il tenta autre chose.

- Si j’obtiens la permission de Saarf… ou de ton oméga, Fye, est-ce que tu accepterais de m’aider ?

Il y eut un moment de silence, puis Perte marmonna si doucement que peu de personnes dans la pièce ne parvinrent à distinguer ses mots.

- Mon oméga ne te parlera pas.
- Je prends ça pour un oui. Merci.

Maintenant, il fallait qu’il négocie pour avoir le droit de parler à Fye… C’était moins évident qu’il n’y paraissait. En soit, il aurait pu s’adresser à n’importe quel oméga présent ici. Ils auraient peut-être reculé, mais ils auraient sans doute écouté et peut-être même répondu ou transmit leurs réponses à Leyn pour autant qu’il en savait. Seulement Fye n’était pas là. S’il avait bien compris, le garçon était traumatisé et terrorisé des alphas… Accepterait-il de le voir ? Sans doute pas. Il décida néanmoins d’exposer sa demande à Leyn, c’était particulièrement pénible et même ridicule. Il se retrouvait à devoir demander à Leyn, pour demander à Fye, pour discuter avec Perte. Mais il le ferait, il se plierait à cette réalité absurde pour en arracher le plus petit espace de liberté supplémentaire. Heureusement, il n’était pas seul dans ce combat, son compagnon, son oméga, avait décidé de l’aider de son mieux.

Ce fut ainsi que Leyn partit pour une négociation épineuse. Il revient plusieurs heures plus tard pour emmener son alpha faire cette rencontre. Sur le trajet il lui expliqua que personne ne voulait que Fye souffre davantage, alors, plusieurs bêtas seraient présents entre eux pour le rassurer. Mais s’il voulait aider, Merwan pouvait également faire certaines choses comme se tasser sur lui-même, ce qu’il faisait très régulièrement pour se rendre moins inquiétant, mais également éviter de le regarder, adopter un ton très doux, laisser du temps entre deux phrases et être aussi délicat que possible dans ses propos. Il ne lui dit pas que si la rencontre avait bel et bien lieu, c’était grâce à Saarf qui était intervenu et qui espérait qu’il en sortirait quelque chose de bien pour Perte… Il hésita également un moment avant de lui demander s’il acceptait d’être enchaîné à un siège. Merwan eut envie de dire « non », mais il prit sur lui et répondit, fataliste :

- Tant que je ne suis pas bâillonné…

Quelques instants plus tard, Merwan observa autour de lui en se disant que la situation était risible mais ça ne l’était pas vraiment. Fye avait juste peur. Il était terrorisé et en train d’affronter ce qui semblait être un traumatisme particulièrement violent.

Il tremblait comme une feuille, tout en restant près de la porte pour pouvoir s’enfuir au plus vite. Lorsqu’on l’avait supplié de faire un essai avec Perte, il avait fini par accepter sans même trop savoir pourquoi. Il voulait juste aider. Et être différent aussi… Il ne voulait plus avoir peur en permanence, mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Il y avait quelques heures à peine, il avait fait du mal à son alpha, physiquement et moralement, sans pouvoir s’en empêcher. C’était pour cette raison qu’il avait accepté ce rendez-vous, pour essayer de se faire pardonner, pour faire un effort, un effort de plus, … Mais il avait envie de vomir tant il était stressé.

Cherchant à se débarrasser au plus vite de cette épreuve, il demanda, la gorge nouée :

- Que voulez-vous me dire ?

Merwan prit la plus petite inspiration possible, il fit de son mieux pour se faire non-imposant avant de prononcer doucement :

- J’aimerais que Perte ait l’autorisation de me parler et de participer au projet de recherche sur les alphas.

Il y eut un grand blanc dans la salle alors que bêtas et omégas se regardaient les uns les autres. Que ferait deux alphas ensemble ? A part se battre ? Fye eut l’air d’hésiter un moment, il tremblait tant et plus mais il finit par répondre :

- Non. C’est hors de question.

Merwan sursauta, incrédule et observa l’oméga s’éloignait sans comprendre. Non ? Les omégas cherchaient perpétuellement des compromis, ils essayaient d’être arrangeants. Juste avant que Fye ne sorte il demanda d’une voix plus forte et plus sèche qu’il ne l’aurait voulu :

- Pourquoi ?

Aussitôt plusieurs bêtas se mirent entre eux comme un seul homme, mais Fye arrêta de fuir. Il se retourna lentement et d’une voix montrant à quel point respirer était devenu dur pour lui dans ce climat anxiogène, il répondit :

- Perte vous a fait du mal. Je refuse que vous vous vengiez sur lui. Il n’a déjà pas beaucoup de chances… d’être avec moi. N’en rajoutons pas.
- Je ne veux pas me venger. Il n’a fait qu’obéir. Et s’il souhaite me parler ou m’aider, est-ce qu’il en aura le droit ?
- Perte parle à qui il veut.

Fye reprit sa route, le cœur battant à tout rompre. Est-ce qu’ils en étaient réellement là ? Son alpha était-il vraiment assez obéissant pour attendre l’autorisation de parler à quelqu’un ? Il n’osait pas vraiment le croire et au lieu de le rejoindre, il partit en direction de la chambre d’un ami. Il avait besoin de compagnie, de soutien et d’un long moment pour se calmer.

A peine fut-il hors de vue que Leyn commença à lui retirer ses contentions, il détestait de plus en plus cela et le voir attaché lui avait vraiment coûté. Doucement, il lui demanda si ça allait et Merwan acquiesça gentiment sans oser redresser pleinement le menton.

- Je ne veux vraiment pas me venger…
- D’accord.
- Je… Perte, il a toujours cogné fort. Et c’était angoissant… C’est angoissant d’être avec lui. Mais… ce n’est pas de sa faute. Même quand… Même quand il devait faire d’autres choses… Il n’était pas plus volontaire que moi.

Leyn acquiesça doucement une nouvelle fois, un peu ébranlé devant l’air perdu de son alpha.

- Je ne suis pas comme ça…
- Je sais Merwan. Je comprends. Tu n’as pas à te justifier, tout va bien.

Néanmoins l’alpha resta particulièrement agité. Incrédule face à l’idée qu’on puisse l’accuser d’une telle chose alors que ses intentions étaient louables. C’était pourtant souvent ainsi. Les omégas ne voyaient que le pire en eux. Mais si Leyn commençait à douter… Il frissonna un peu plus, à présent, il avait l’autorisation de parler à Perte, mais il n’était plus convaincu que ce soit une bonne chose. Peut-être qu’il y avait un passif trop important entre eux ?

En retournant dans la pièce cette après-midi-là, il observa l’autre alpha, enchaîné et immobile dans un coin. Il savait parfaitement ce que cela faisait pour l’avoir lui-même vécu un grand nombre de fois. Le monde qui s’agitait autour de vous se détachait peu à peu et l’impression de faire partie d’une autre réalité pouvait s’insinuer. C’était souvent la douleur, ces douleurs fourbes d’immobilités, qui le ramenait sur terre mais certains arrivaient à partir loin dans leurs esprits, s’évadant complètement.

Même si sa propre situation s’était grandement améliorée, elle restait précaire et tenter d’intervenir pour Perte, c’était peut-être bien trop dangereux. Les doutes l’assaillaient lorsque Leyn décida d’intervenir. Il était loin d’être sûr que cette voie étrange soit une bonne chose, mais elle était inédite et pleine de promesse. Quelque part, il avait envie de voir ce que ça donnerait et pouvoir soutenir son alpha dans de tel choix était une chose agréable.

Alors, sans montrer son inquiétude, il s’approcha du grand corps de Perte pour lui annoncer tranquillement :

- Votre oméga, Fye, a dit que vous étiez libre de parler à qui vous voulez. Vous pouvez répondre à Merwan.

Les bras épais et musculeux furent agités d’un soubresaut qui venait du tréfond de sa carcasse. Il ne comprenait pas. Fye avait accepté de parler avec l’autre alpha ? Alors qu’il ne supportait pas qu’il ouvre la bouche ? Perte se sentit un peu plus mal encore.

- Mais il faut que vous sachiez qu’il a d’abord refusé pour vous protéger. Fye est inquiet pour vous.

Perte ferma les yeux, tremblant légèrement.

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