Chapitre 18 - une franche injustice

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Dans la grande salle d’études, c’était l’effervescence. Ils n’étaient pas si nombreux que ça en définitive, mais la présence de deux alphas dans la pièce avait amené un grand nombre de bêtas à venir. Ils s’étaient installés entre les deux et travaillaient sur leurs propres études comme si de rien n’était. Ce n’était pourtant pas du tout une évidence pour eux.

De là où il était Perte les observait sans comprendre. Ils l’avaient emmené là et déposé dans un coin. C’était difficile d’en dire plus puisqu’il était enchainé comme il l’avait rarement été. Malheureusement, son petit oméga, ce petit oméga qui l’avait choisi, réclamé, qui était venu le chercher pour l’arracher à une vie qui lui convenait… celui-là même avait une peur panique de lui. C’était incompréhensible. Alors il se retrouvait fermement ligoté à observer une pièce où un autre alpha qu’il connaissait assez bien était libre de ses mouvements. Ce n’était pas seulement incompréhensible mais également particulièrement injuste.

Perte n’avait jamais levé la main sur un seul oméga avec la puissance tout à fait hors-norme qu’il avait, il aurait signé l’arrêt de mort du dit oméga. Atkins avait toujours pris garde, en le plaçant, à trouver des endroits où chacun serait en sécurité, néanmoins, il n’avait jamais été attaché aussi lourdement avant. Ses bras étaient menottés dans son dos, fermement accrochés l’un à l’autre, aussi serrés que possible. Il ne pouvait même pas les tordre pour protéger ses côtes de ses coudes si quelqu’un se prenait l’envie de le battre, il ne pourrait rien faire pour amoindrir les coups. Chacune de ses mains avaient été enfermées dans une espèce de moufle, l’empêchant de griffer ou de saisir n’importe quoi. Ses chevilles étaient liées, elles aussi, et une chaine épaisse les reliait à ses poignets et à son collier. Elle était si lourde qu’elle le tordait légèrement vers l’arrière. C’était désagréable et pénible. Cela appuyait sur sa glotte, le faisant légèrement suffoquer par moment.

Une fois qu’il avait été immobilisé dans un coin de la pièce, on lui avait fait la grâce du bandeau qui cachait ses yeux, mais il portait toujours une grosse muselière de métal. C’était humiliant et surtout, Merwan était de l’autre côté de la pièce, totalement libre. Même sa laisse n’était pas attachée. Pourquoi ? Il n’avait pas osé poser la question à l’oméga qui restait à côté de lui. Saarf travaillait sur un dossier et il ne jetait pas un seul coup d’œil au grand alpha. Fye n’avait pas supporté de rester dans la pièce, il était sorti. Le pauvre avait tellement peur des alphas que de rester ici, avec Merwan et Perte, lui était impossible.

Saarf se redressa, déposa son dossier sur une pile et discuta un instant avec un bêta. Ils étaient en train de réunir les bases nécessaires pour leur étude tout en essayant de définir la meilleure question possible. Fallait-il essayer de découvrir l’efficacité du système actuel ? Ou de définir le bien-être des alphas ? Et sur quels critères ? D’autres travaillaient à la recherche de bibliographie pour comprendre exactement ce qui avait déjà été fait. Lorsqu’il revint vers l’alpha, il soupira tristement de le voir ainsi.

- Perte ? Si vous avez soif ou si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à me le demander, d’accord ?
- Oui. Est-ce que… Fye… va revenir ?
- Oui, on mangera ensemble. Nous allons mettre quelques jours pour trouver un meilleur rythme en attendant, il faudrait que vous soyez patient.

Perte accepta sagement. Il avait l’habitude d’obéir à Atkins, ce ne serait pas beaucoup plus difficile. Il suffisait d’attendre. Mais attendre ainsi en regardant Merwan libre, frôler des omégas en se déplaçant dans la pièce comme si de rien n’était sous le regard tendre de Leyn… c’était horriblement difficile. Si cet alpha venait à vriller, à s’énerver, ce n’étaient pas les petits bêtas présents qui pourraient l’arrêter. Perte serait le seul à en avoir la puissance et on l’avait ligoté comme un chien dangereux. Il connaissait assez ces contentions pour savoir que lutter contre elles ne lui permettrait pas de s’en dégager. Donc si Merwan décidait d’attaquer, il pourrait sans doute tuer un grand nombre d’oméga, peut-être tous, certains bêtas, peut-être tous et puis il pourrait terminer tranquillement par lui. Perte était totalement impuissant.

De son côté, Merwan était lui aussi inquiet malgré les apparences. Il avait eu espoir après une nuit de paix de retrouver la routine qu’il avait connu avec son oméga. A la place, il était dans une salle bondée, pleine de murmures et d’échanges de papiers, avec un autre alpha. Cette situation n’arrivait jamais à moins qu’on ne cherche à le punir sous les poings de Perte, mais ce dernier était attaché. Durant un moment il s’était demandé si Leyn pouvait être le genre de personne à lui demander d’inverser les rôles et de cogner à son tour. Il était arrivé rapidement à la conclusion que « non », ce n’était pas sa manière de penser, alors peut-être Saarf ? Après tout, il le connaissait moins et il gérait une zone commune ! Peut-être que ce qu’il avait pris pour une pratique rare était plus courante que ce qu’il aurait cru ? Il n’en savait rien, alors il avait simplement attendu tout en se demandant s’il céderait à ce type d’ordre. S’il fallait frapper, battre, briser les os d’un autre juste pour ne pas se retrouver à coucher encore et encore avec des omégas, le ferait-il ?

Merwan aurait préféré ne pas connaître la réponse, mais c’était oui. Pour échapper aux viols, il était prêt à devenir un bourreau. Depuis que cette constatation l’avait frappé, il coloriait doucement, cherchant à se concentrer au maximum pour chasser cette idée désagréable de sa tête. Régulièrement, Leyn venait le voir pour s’assurer que tout allait bien alors peu à peu, la sérénité revint. En écoutant les discussions douces autour de lui, il comprit ce que les personnes présentes comptaient faire et il s’en retrouva abasourdi. Ils voulaient découvrir comment se sentaient les alphas dans les zones communes sans prendre la peine de leur poser la question. Mais pourquoi ? Lorsque Leyn revint près de lui, presque trente minutes plus tard, il ne put s’empêcher de le lui demander.

- Je ne comprends pas. Si vous voulez savoir comment vont les alphas… pourquoi vous demandez pas ?
- Ce genre de réponses n’est pas fiable. Ils pourraient mentir… ou avoir une mauvaise appréciation de la situation… ou même espérer changer des choses grâce à leurs réponses et les orienter en fonction de ça.
- Ils auraient pas de raisons de mentir et c’est eux qui ont la meilleure… appréciation de la situation possible, ils sont dedans.

Leyn lui fit un pauvre sourire. Quoiqu’en dise Merwan, ce genre de procédé restait discutable à ses yeux et puis… Merwan avait menti sans vraiment de raison, alors pourquoi les autres ne le feraient-ils pas ?

- Leyn ?
- Oui ?
- Vous pouvez pas faire ça sans écouter les alphas… Vous pouvez pas juger du bien-être des gens sans leur parler. On n’est pas… bêtes. Et si certains mentent, ils auront de bonnes raisons.
- D’accord. Est-ce que tu veux participer ?

Merwan cligna des yeux sous la surprise. Participer à l’étude ? En répondant ou … en faisait ce travail préparatoire auquel il ne comprenait rien ?

- Comment ?
- On peut demander à certains omégas de travailler sur un questionnaire et tu pourrais les aider en proposant des questions ou en indiquant comment tu comprends les questions par exemple. Enfin, seulement si ça te plait.

L’alpha acquiesça, surprit devant cette offre inattendue. Lorsque Leyn repartit sur son ouvrage, Merwan resta là, à observer sa feuille avec le petit problème mathématiques qu’il tentait de résoudre. C’était encore l’une de ces énigmes bizarres que Leyn aimait lui donner. Lentement, il retourna la feuille et tout en mordillant son crayon, il se demanda ce qui pouvait bien définir le bien-être et comment le quantifier. Il n’était pas encore assez adroit pour écrire véritablement, mais il commença à tracer avec application des questions qu’il aurait aimé qu’on lui pose.

Où voudrais-tu être ?
Qu’aimerais-tu faire ?
Qu’est ce qui pourrait améliorer les choses ?
Est-ce que tu souffres ?
De quoi tu souffres ?

Il en nota patiemment un grand nombre et si Leyn le vit faire, il choisit de ne pas l’interrompre, le laissant à ses réflexions. Il avait cru, naïvement, que Merwan demanderait à faire du sport en permanence : il ne l’avait pas encore réclamé une seule fois. Il avait pensé qu’au bout du compte, s’il n’allait pas au champ, il rejoindrait des chantiers pour transporter des marchandises lourdes ou quelque chose comme ça. Mais jamais il n’aurait pu envisager que Merwan fasse un travail intellectuel. Ses muscles, sa stature, sa nature d’alpha, sa violence, … tout le prédestinait à autre chose. Perdu dans ses pensées, Leyn se demanda s’il ne s’était pas gravement trompé sur les alphas. Pourtant ce qu’il savait venait de fait scientifique ! C’était prouvé ! Enfin… il n’avait pas réellement lu les études en question, mais c’était sûr. Par acquis de conscience, il gribouilla quand même dans un coin de vérifier les connaissances réelles sur les alphas.

Lorsque l’heure du repas arriva, Leyn conduisit son alpha dans une salle un peu isolée des autres pour qu’ils puissent manger tranquillement. Ce serait leur nouveau rituel. De son côté Fye finit par montrer le bout de son nez. Il était particulièrement angoissé, après tout, il n’avait pas obtenu sa dérogation pour rien. Saarf avait promis de l’aider, mais il voulait qu’ils passent un certain temps ensemble malgré tout. Pour Saarf, l’important c’était de ne pas se substituer au petit rouquin car Perte n’était pas son alpha. Fye devait apprendre à le connaître au moins un peu… sinon comment une relation pourrait-elle naître ? Comment pourraient-ils apprendre à se faire confiance l’un l’autre ?

Saarf les conduisit dans une pièce de la zone commune pour qu’ils y mangent. Ce ne serait pas évident, c’était Fye qui avait demandé à ce que l’alpha soit ainsi restreint, mais pour manger, il aurait besoin d’une main et que l’on retire la muselière. Perte était certes très impressionnant, mais il était aussi relativement obéissant. Saarf trouvait ça injuste de l’attacher si lourdement mais en même temps il ne pouvait que remercier Fye. Sans lui, ils n’auraient pas pu le sortir de sa zone commune et des tas d’alphas auraient été battu encore et encore. C’était une pratique barbare qui devait disparaître, il en avait la plus intime des convictions.

En tant que gestionnaire d’une zone commune, il avait l’habitude de fréquenter des alphas. Il n’en avait pas peur, mais il pouvait admettre que le gabarit de Perte était impressionnant et inquiétant. Cependant, ce qui l’embêtait le plus, c’était de comprendre pourquoi Perte avait obéit à Atkins. Peut-être qu’il s’agissait juste d’une brute épaisse, cruelle et sadique, qui avait trouvé du plaisir dans ces actes ? Si c’était le cas, ils allaient aux devants de bien des problèmes.

- Asseyez-vous Perte.

Le fauteuil paraissait minuscule sous le corps démesuré de l’alpha. Tranquillement, comme s’il n’avait aucune crainte, Saarf passa dans son dos pour changer la disposition des liens. Il les relia à un piton situé sous la chaise. Puis, avec des mains douces et caressantes qui provoquèrent des frissons sur la peau de l’alpha, il dénoua la muselière et l’un de ses bras. Il ne lui rendit pas complètement sa mobilité, mais cela serait suffisant pour manger.

- Je ne connais pas encore vos goûts, alors j’espère que ça vous plaira. Fye ? Tu viens t’asseoir avec nous ?

L’oméga hésita, puis il avança lentement et s’installa sur le bord d’une chaise sans oser les regarder, le cœur au bord des lèvres. Tranquillement, comme s’il ne se rendait pas compte de la situation, Saarf fit la conversation. Il aurait aimé pouvoir accompagner Leyn et Fye de la même manière afin de les aider à franchir ces caps difficiles qui étaient devant eux, mais il ne pouvait pas se dédoubler et il y avait énormément de travail à faire.

- Fye, est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimerais savoir concernant Perte ?

Les deux autres se figèrent devant la question puis au bout d’un certain temps, Fye murmura :

- Je… le… nombre… de…

Il déglutit, fermant les yeux aussi forts que possible avant de lâcher brusquement :

- le nombre decontactsexuelminimal.
- Pour être bien tu veux dire ?
- … oui.

Comme si de rien n’était, Saarf se tourna vers le grand alpha pétrifié pour demander :

- Je crois que vous avez été évalué à zéro contact, c’est ça ?
- Oui…
- C’est amusant, c’est comme si vous aviez eu une dérogation vous aussi. Est-ce que vous en voudriez plus ?
- Non.
- Non ?
- Non, s’il-vous-plait, je ferais… je ferais ce que vous voulez. Je vous jure que je serais obéissant.

Perte ne savait pas vraiment à quel oméga s’adresser, mais l’idée que des mains reviennent se poser sur sa grande carcasse pour le forcer à jouir, encore et encore, lui donnait envie de vomir. Il ferait tout pour l’éviter, il devait juste trouver quelque chose qu’ils pourraient désirer. Ce n’était qu’un troc où il ne serait jamais gagnant mais où il pourrait être un peu moins perdant.

Il se tourna vers Fye pour lui assurer, avec conviction, qu’il resterait sage et immobile, mais le petit oméga fit un bond en arrière, faisant tomber sa chaise et il s’enfuit de la pièce sans plus attendre. Terrorisé. En un rien de temps, il atteint sa petite chambre, il claqua la porte derrière lui et la verrouilla à triple tour avant de s’effondrer au sol contre le battant. Il tremblait comme une feuille et tout en se recroquevillant sur lui-même, il éclata en sanglot.

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