Chapitre 6 - l'horrible normalité

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Leyn rassembla une série de livre qu’il consulta rapidement, avant de relire ses notes. Le système mit en place par les omégas, il y a déjà neuf générations de ça, était excessivement simple. Il se basait sur l’entraide et le partage avant tout. Ainsi, pour avoir accès à des études supérieurs, pour pouvoir loger dans ces locaux ou d’autres, pour avoir accès une multitude de choses, il fallait offrir quelque chose en retour. Oh ce n’était pas forcément un échange équivalent, mais les omégas aimaient tellement rendre service que ça n’avait jamais réellement posé de problèmes. On disait ici et là que c’était un peu plus dur pour les bêtas qui avaient demandé des règles plus strictes et qui avaient fini par obtenir un tableau d’équivalence indicatif.

Pour ce que Leyn recevait, il offrait plusieurs services, tout d’abord, un service de recherche et chacune de ses découvertes avait une chance d’aider l’entièreté de la communauté. Ensuite, un service d’enseignement et c’était ceci qui allait l’occuper durant les deux prochaines heures. Lentement, les omégas apparurent dans la pièce, certains venaient de l’université où le programme établi de longues dates était complété par ceux des maisons de recherches environnantes. Puis quelques bêtas les rejoignirent, ils étaient bien moins nombreux à poursuivre dans cette voie, sans que Leyn ne sache exactement pourquoi.

- Salut tout le monde, je vous demande encore un instant et je commence. Vous avez pris de quoi noter ? Parfait. Aujourd’hui, j’aimerai vous parler d’une hypothèse irrésolue selon laquelle le désordre complet n’existe pas.

Il poussa ses livres sur le côté, observa ses élèves du jour qui s’étaient assis à priori dans un ordre bien aléatoire et qui pourtant répondait à une logique implacable. Les choses étaient si simples à comprendre avec les omégas.

Reigan s’était installé tout au fond de la pièce, il n’écouterait sans doute que d’une oreille ce cours qu’il aurait pu lui-même donner. Il aimait venir, suivre les leçons et entendre une autre manière de les présenter. Il disait souvent qu’en changeant ainsi de point de vue, il parvenait à mieux réfléchir. Mais il ne voulait pas déranger et il s’installait toujours au fond.

A côté de lui, il y avait plusieurs bêtas. Leurs grands corps leurs permettaient de dépasser tout le reste de l’assistance alors ils préféraient se reculer. Seul l’un d’entre eux, Faendy, qui portait de grosses lunettes et qui peinait à voir les écritures les plus fines de Leyn s’avançait. Il s’était mis le plus sur le côté possible pour ne déranger personne.

Ensuite, les omégas se tenaient par petits groupes d’affinités et pas un seul d’entre eux n’était isolé. Si ça s’était produit, très naturellement, d’autres l’auraient rejoint et auraient particulièrement veillé sur lui. Et même en observant ces groupes, il pouvait deviner leur logique interne. Depuis son traumatisme, Fye était très sensible et il avait besoin de soutien. Ainsi, il était toujours entouré de plusieurs autres personnes et sans même y faire attention, la quasi-totalité des omégas présents s’étaient placés entre lui et la porte…

Leyn secoua la tête un instant, pris ses lunettes pour les nettoyer comme pour se redonner un peu de contenance alors qu’il débutait réellement son cours. Durant tout son exposé, il parvint à une telle concentration qu’il en oublia Merwan, la préparation, le caisson dans lequel il avait dû se coucher, son sexe qui s’était sans doute tendu d’une manière si lubrique et ses pulsions qu’il devait être en train d’assouvir en ce moment-même. Pauvres alphas, prit par leurs hormones et incapables de contrôle… Ce n’était qu’un service à leur rendre que de les soulager, se dirait Leyn, quelques dizaines de minutes après la fin de son cours, alors qu’il était temps de rendre visite à son alpha. La boite huit était mise dans la salle numéro huit et une grille des alphas était affichée pour que les omégas qui le désiraient puissent continuer à avoir des contacts sexuels avec le même alpha.

Arrivé devant la porte, il hésita néanmoins à rentrer. Il observa la liste, la retraça du bout de l’index pour vérifier qu’il ne se trompait pas. Il y avait écrit :

Chambre 7 – Eiro – alpha non lié – boite – bouche et sexe disponible
Chambre 8 – Merwan – alpha lié – boite – mains, bouche et sexe disponible
Chambre 9 – Jark – alpha non lié – contact complet disponible

La liste se poursuivait ainsi un moment, mais tout en soufflant doucement pour ne pas être assailli trop violement par les odeurs, Leyn pénétra dans la chambre. C’était un dispositif collectif, alors il ne fut pas surpris de trouver certains de ses amis ici. La sexualité des omégas était très libre et il n’était pas malvenu d’en parler ou de la pratiquer devant d’autres. Les alphas avaient beaucoup plus de mal, bien-sûr et c’était l’une des raisons qui conduisait à leur imposer un bandeau ou un dispositif pour leur cacher la vue. Ça rendait les choses un peu plus faciles pour eux.

Sur la boite de son alpha, il y avait un oméga en train de préparer son sexe. Il l’avait lubrifié et pour lui faire prendre un peu de volume, il appliquait une masturbation dynamique et régulière. De l’autre côté du caisson, un autre oméga se laissait aller dans la bouche de l’alpha. La scène était somme toute habituelle. La pièce puait la luxure et l’envie et dès que le sexe fut correctement bandé, il fut enfourché. L’oméga l’accueillit en lui avec le soupir de soulagement qui indiquait à quel point ses chaleurs étaient proches. L’envie de sexe devenait de plus en plus importante, ingérable.

Leyn hésita un moment avant de s’approcher. Il ne savait pas ce que Saarf voulait qu’il voit. Tout ceci était horriblement banal, il n’y avait rien qu’il ne connaisse pas personnellement et intimement. Durant des années, il avait géré ses propres chaleurs ainsi et il le ferait sans doute encore.

Il ne fallut que quelques mouvements de hanches pour que l’alpha n’éjacule. Le produit qui était injecté au préalable rendait sa semence stérile et le petit matériel discret et douloureux à la fois évitait le nouage. Leyn l’observa froidement. Le caisson était si couvrant que c’était difficile de se dire que c’était Merwan là-dedans. C’était son alpha qui était en train de prendre du plaisir. L’oméga n’attendit pas un seul instant pour recommencer à bouger.

Il attendit un moment avant d’avoir accès, à son tour, au visage de l’alpha. Habituellement, il en avait peur. Il avait peur de ses mains trop fortes qui pouvaient devenir des poings meurtriers. Il avait peur de ses dents. Il avait peur de son regard et de son attitude. Là, totalement attaché et recouvert, il n’avait plus l’air humain. Il faisait partie d’une machine et il ne pouvait plus se faire dangereux, alors, Leyn passa ses doigts le long de sa joue, surpris d’en découvrir la texture. Elle était légèrement rêche, les préparateurs avaient dû le raser pendant sa toilette. Sa mâchoire était largement ouverte par l’écarteur et ses narines frémissaient sous ses inspirations brutales. L’alpha tremblait.

Perdu dans sa contemplation, Leyn ne remarqua pas les autres qui partaient et il fut surpris lorsque Saarf apparu.

- Ah ! Tu es encore là ! Parfait. Est-ce que tu veux bien m’aider ?
- Oui, bien-sûr. Que dois-je faire ?
- On va l’amener en salle de repos.

Tranquillement, l’oméga s’approcha et avec la force de l’habitude, il retira les petites attaches qui maintenaient le caisson bien en place. Il était fiché sur des roulettes pour le rendre beaucoup plus facile à transporter et à deux, ils le conduisirent vers l’arrière de la chambre, dans l’un des petits couloirs de services, si discrets. Les salles de repos étaient peu nombreuses et il fallait jongler pour ne pas mettre deux alphas ensemble pour des raisons de sécurités, ils étaient isolés les uns des autres. Saarf les conduisit à celle qui était la plus proche de la chambre de son propre alpha. Il guida la caisse jusqu’à la bloquer dans l’espace prévu à cet effet, puis, il s’arrêta et recula, légèrement hésitant. Leyn dut le remarquer parce qu’il demanda :

- Comment ça s’est passé ce matin ?
- Pas très bien, j’avoue…
- Il a été puni ?
- Oui…

Saarf soupira et s’assit devant le caisson.

- Qu’est-ce que tu espères, dis-moi ?
- Je ne sais pas… J’aimerai qu’il soit… qu’il… Je ne sais pas.

Leyn s’assit à côté de son ami tout en haussant d’une épaule. Il ne savait pas vers quoi se diriger ou comment faire avec Merwan. Il avait la sensation qu’il se fourvoyait totalement, mais l’alpha était là depuis peu. Saarf se redressa lentement et marcha jusqu’à la caisse qu’il ouvrit tranquillement. Il dévoila ainsi le corps tremblant de l’alpha. Il luttait activement contre les liens et Leyn fut véritablement choqué devant son regard fou qui roulait sous ses paupières. Saarf ne parut pas surpris, il caressa doucement son bras tout en lui murmurant des mots apaisants qui n’eurent pas le moindre effet.

- Allez… Doucement… Tout va bien… Tu l’as déjà fait… Tu connais la règle… Rappelle-toi. Tu dois détendre tes muscles pour que je te détache. C’est toi qui gères.

Merwan se tendit un peu plus entre les liens, se révulsant. Son ventre se creusait au rythme de ses respirations paniquées et en le voyant, Leyn se sentit de plus en plus mal. Les alphas aimaient les contacts sexuels ! Alors pourquoi réagissait-il aussi mal ? Les mots doux de Saarf lui rappelèrent à quel point se soumettre aux liens pouvaient leur être pénible. Ça devait simplement être ça.

Lentement, l’alpha sembla parvenir à s’immobiliser, mais son visage continuait à se contracter dans un éclat de panique très surprenant.

- Je vais te détacher, mais si tu te lèves avant que j’ai terminé ou si tu fais le moindre geste brusque, je te punirais. Je ne veux pas que ce qu’il s’est produit hier recommence. Tu as compris ?

Il attendit que l’alpha hoche la tête pour commencer à détacher les liens et Leyn fut surpris de découvrir qu’ils étaient plus nombreux que ceux qui avaient été installé sur l’autre alpha, le matin même. Lentement, il s’approcha, le cœur serré en se rendant compte qu’il faisait attention pour ne pas lui faire peur. Cet alpha, son alpha, avait peur. Il fit le tour du caisson et s’approcha du visage de Merwan. Il l’avait touché, quelques minutes avant, mais il n’osa pas le refaire.

Il fallut près de vingt minutes de patience pour qu’ils arrivent à le détacher entièrement et l’instant d’après, malgré les avertissements, Merwan se jeta hors du caisson, dérapant à moitié sur le sol pour se reculer jusqu’à l’angle opposé de la pièce. Saarf souffla, il avait l’air étrangement soulagé et Leyn ne put que se demander ce qui s’était passé la veille.

Trois plateaux repas furent installés sur la table centrale et Saarf s’installa sans attendre et il invita son ami à faire de même, mais Leyn eut du mal à se détourner de son alpha. Il avait l’air tellement perdu blotti contre le mur…

- Viens manger, laisse-lui un peu de temps.
- Pourquoi est-il …
- C’est la punition de ce matin. Ça le rend extrêmement sensible…

Ce fut le repas le plus silencieux et pénible que Leyn n’ait jamais mangé. Il se posait énormément de questions et il n’était pas sûr de ce qu’il pourrait faire pour améliorer les choses et en même temps, il avait parfaitement conscience d’être le mieux placé pour faire quelque chose. C’était à lui de prendre des décisions. Ce fut pour cela qu’il se leva et apporta le plateau à Merwan. Il était appuyé dans un angle, les yeux fermement clos, le visage crispé. Il refusait de se laisser aller au sol, mais il tanguait à moitié et s’accrochait aux murs autour de lui pour conserver un semblant d’équilibre.

- Ce serait bien que tu manges…

Merwan haleta un instant et ouvrit les yeux en fixant son oméga. Il eut envie de saisir sa main avec force et de lui ordonner de ne plus jamais le laisser ici, mais s’il le faisait, il serait puni. Il n’avait pas la moindre idée de comment sortir de cette situation. Faute de mieux, le brun referma les yeux en se recroquevillant un peu plus sur lui-même pour ne pas faire peur à l’oméga.

Ils restèrent dans cette situation bloquée jusqu’à ce que Saarf intervienne pour annoncer qu’il était temps que Merwan retourne dans le caisson. Presque aussitôt, un grognement monta dans la gorge de l’alpha qui leva le visage dévoilant à la fois son regard fou et ses crocs.

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