Chapitre 3 - une fracture qui en dit long

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Durant la journée Leyn avait eu bien du mal à se concentrer. Ses pensées revenaient sans cesse à l’alpha. Il n’avait pas réussi réellement à travailler et donner son cours lui sembla si difficile, presque impossible, qu’il demanda à Reigan de le faire à sa place. C’était un oméga de confiance qui pourrait sans difficulté assurer le relais.

Au repas du midi, il eut bien du mal à manger, mais il fut heureux de gagner un espace serein du réfectoire et d’y retrouver quelques-uns de ses amis. C’était un lieu rempli de plantes et ouverts sur l’extérieur. Dehors, une pluie fine s’abattait sur les vitres produisant un fond sonore agréable. Personne ne l’embêta au sujet de son manque d’appétit. Au contraire, les autres omégas lui apportèrent un soutien discret mais réel.

Lorsque le soir arriva, Leyn aurait vraiment aimé retrouver l’ambiance paisible de ce repas pluvieux. Faute de parvenir à mieux se maîtriser, ce fut avec le cœur battant une peu trop vite à cause de l’angoisse qu’il alla jusqu’à la zone de collectivité dédiée aux alphas. Il détestait venir ici. Oh comme tous les omégas, il devait faire un certain nombre de concessions pour gérer ses chaleurs. Seulement, en dehors de ces périodes très particulières, il ne venait jamais ici. A l’entrée des locaux, un petit panneau d’avertissement l’invita à ne pas aller plus loin. Il n’avait jamais poussé cette porte, mais il devait le faire à présent. Déglutissant, tremblant légèrement, il découvrit l’arrière-cours de cet antre du plaisir.

A peine eut-il ouvert, qu’une odeur lourde et chargée le fit grimacer. Une odeur de sexe et de luxure. Le long de ce couloir, des deux côtés, des petites cellules confortables étaient installées. Chacune d’elles faisait six mètres carrés, au fond, une couchette de bonne taille leur permettait de se reposer. S’ils étaient peu habillés, ils portaient néanmoins des peignoirs lâches ne cachant pas grand-chose de leurs corps puissants. Leyn hésita un peu avant d’avancer, parfaitement conscient que pas un seul n’oserait s’approcher de lui et que les barreaux épais qui fermaient leurs chambres les en empêcheraient.

- Oh Leyn, par ici ! s’exclama son ami Saarf dès qu’il le vit.

Le jeune oméga marcha jusqu’à la zone visiblement centrale où plusieurs omégas et quelques bêtas s’affairaient.

- Tu es venu chercher ton alpha ?

Leyn grimaça. Il ne l’aurait sans doute pas appelé ainsi et malgré une première nuit et une journée entière, il n’avait toujours pas décidé ce qu’il voulait faire de lui.

- Je suppose oui…

Saarf lui indiqua l’un des fauteuils qui se trouvaient là et l’invita à s’asseoir. Leyn n’avait vraiment pas envie de rester là dans cette zone remplie d’alphas, mais il le fit sagement.

- Ecoute… On a eu quelques soucis avec Merwan. Rien de grave mais… Leyn… Tu ne devrais pas le garder.

Il le dit d’un ton grave et froid, mal à l’aise au possible. Accepter auprès de soi un alpha était toujours un moment délicat et pénible pour l’oméga. Se lier intimement à une brute, inculte et rude, pétrie par des hormones violentes, c’était comme se jeter dans le vide. Habituellement, il avait un rôle de conciliateur. Il aidait les autres omégas à affronter leurs peurs et leurs angoisses. C’était la première fois qu’il intervenait ainsi, déconseillant de poursuivre une relation avant même qu’elle ne débute réellement.

- Pourquoi ?
- Les alphas… ils font ce qu’ils peuvent tu sais ? Ils gèrent de leurs mieux. On a souvent… on a souvent peur d’eux parce qu’on sait ce qu’ils ont pu faire dans le passé, mais à présent…

Saarf se mordilla la lèvre sans savoir comment exprimer cette idée, cette pensée. Il n’avait absolument plus peur des alphas depuis des années déjà, au-delà des équipements de sécurité qui pouvaient intervenir en cas de danger, c’étaient aux alphas en eux-mêmes qu’il avait appris à faire confiance. Pourtant, il admit à voix basse :

- Mais certains alphas restent dangereux.
- Il a été agressif ?
- Non. Il s’est montré relativement obéissant même s’il a résisté, mais il porte certaines traces… Il a été discipliné avec beaucoup de violence. C’est un très mauvais signe. Pour qu’il faille en arriver là…

Leyn se tassa un peu plus dans le fauteuil. Il n’avait pas remarqué la moindre blessure sur le visage de l’alpha, mais il ne l’avait vu que correctement habillé.

- Est-ce qu’il a besoin de soin ?
- Oh, les alphas sont forts, dans quelques jours, tout devrait avoir disparu. Mais… Tu dois comprendre. Entre les signes de coups et sa demande, je pense que cet alpha est tout à fait intelligent et retord. Il est dangereux Leyn.

Dangereux. C’était la première fois de sa carrière que Saarf désignait ainsi un alpha et il ne l’avait pas fait de gaieté de cœur ou avec légèreté. Il avait obtenu le résumé du dossier de Merwan et l’avait fait analyser par certains de ses propres professeurs. Le verdict était unanime et le conseil identique : rendre l’alpha jusqu’à ce qu’il soit envoyé dans une zone commune spécialisée dans ce type de problèmes.

- Tu penses qu’il a demandé à lire pour… pour m’amadouer ?
- Oui, sans doute.
- D’accord… D’accord… Je… Tu…

Leyn soupira bruyamment avant de retirer ses lunettes et de se masser l’arête du nez en essayant de rassembler ses idées.

- Il est donc intelligent et capable d’apprendre, n’est-ce pas ?
- Oui… mais ce n’est pas une bonne idée.
- Ah bon ? Tu me l’as dit toi-même. Je rêve d’un érudit, d’un compagnon digne de ce nom et c’est ce qu’il a l’air d’être.

Saarf se leva d’un bond et se mit à faire les cent pas tout en soufflant. Son ami allait se mettre en danger dans l’espoir de répondre à un rêve impossible. Comment le lui faire comprendre ? Il se retourna vers le plus jeune et s’accroupit face à lui, posant ses mains sur ses genoux en cherchant son regard noisette. Lorsqu’il le trouva, il tenta de faire passer toute son inquiétude dans ses mots.

- Leyn… Pour le faire obéir, ils ont dû lui briser les côtes. Ce n’est pas un compagnon. Ce n’est pas un apprenant. C’est une brute idiote qui ne comprend visiblement que la douleur.

S’accrochant à son fauteuil, le blond se sentit se liquéfier de l’intérieur. Lui briser les côtes ? Il l’avait laissé attacher durant toute la nuit dans une position inconfortable au possible alors qu’il avait les côtes brisées ? Son souffle se coupa sous l’horreur. Il n’avait jamais voulu participer à une telle chose. Les mains se serrèrent doucement sur ses genoux comme pour lui apporter du soutien, mais ça n’aida pas.

- Et si c’était ma seule chance ? Je ne veux pas d’un mâle lubrique. Le premier qu’ils m’ont envoyé… Qu’est-ce que je ferais si les suivants sont ainsi ?

Il y avait du désespoir dans sa voix car il savait bien comment les choses se passaient. Plusieurs de ses amis s’étaient retrouvés à gérer des mâles si inconvenants et sexuellement actifs qu’ils en avaient régulièrement hontes. Les autres les avaient rassurés en leur disant que ce n’était pas de leurs fautes et en leur assurant tous leurs soutiens. Leyn lui-même l’avait dit tout en prenant Fye dans ses bras pour le calmer après qu’il ait du déclencher une crise de rut choquant bon nombre d’entre eux.

Mais s’il n’avait pas supporté de voir l’humiliation, la peine et le dégoût sur leurs visages, il ne voulait pas vivre directement tout cela. Il ne voulait pas se retrouver avec… n’importe qui. En l’observant, Saarf vit qu’il était aux bords des larmes et il comprit que le laisser essayer malgré tout serait sans doute la meilleure des choses pour lui éviter ensuite bien des regrets. Il pensa que le jour où il accueillerait un alpha des plus classiques pour remplacer celui-ci, ce serait tout simplement plus simple.

- D’accord, d’accord… Comme tu le veux. Je t’aiderais. Nous t’aiderons tous si c’est ce que tu désires.

Leyn attrapa la main de son ami qu’il serra doucement en réponse. Il était temps qu’il revoit son alpha et qu’il l’emmène. Il était temps qu’il prenne ses responsabilités. Il blêmit en comprenant qu’il s’était bercé d’illusions jusqu’ici en pensant pouvoir avoir le choix. Il ne l’avait pas réellement, il ne l’avait jamais eu, mais il ferait de son mieux.

Il demanda à voir Merwan et suivi son ami à travers le complexe. Il y avait quatorze alphas collectifs qui servaient les jeunes omégas avant leurs vingt-cinquièmes anniversaires. Régulièrement, les étudiants préféraient en choisir un d’entre eux et alors leur nombre variait légèrement. Saarf avait la lourde charge de recruter les nouveaux afin de garder un nombre à peu près stable pour subvenir aux besoins de l’université.

Dans cette zone, ils avaient chacun une chambre individuelle où ils pouvaient se reposer. Il n’y avait aucune salle commune, bien-entendu, mais plusieurs espaces de sanitaires. Il avait installé Merwan dans l’une des quelques chambres vacantes. Il avait refusé de s’allonger sur la couchette et il se trouvait donc à mi-chemin appuyé contre un mur. Son regard brumeux, ses joues rouges et sa mâchoire entrouverte dans une expression de luxure furent les premières choses que Leyn remarqua en le voyant. Instinctivement, il recula d’un pas.

- Nous avons dû le punir deux fois, donc il n’a pas pu manger ce midi. Il n’était pas en état. Ce serait bien qu’il avale quelque chose ce soir, ne serait-ce qu’un peu d’eau. S’il n’y arrive pas, il faudra le mettre sous perfusion demain pour éviter qu’il ne se déshydrate trop.
- Est-ce que je peux demander qu’il soit mis sous cage ?
- Bien-sûr… mais tu sais, il n’est pas en état de te faire quoique ce soit, même si tu le voulais, ce serait dur à obtenir. Après tout, il a déjà éjaculé six fois aujourd’hui.
- Alors pourquoi … il est comme ça ?
- Il a été puni une fois dans la matinée et une fois dans l’après-midi. Ça met un certain temps avant de ne plus faire effet. Attends, tu vas voir.

Sans aucune hésitation, Saarf entra dans la pièce et avança vers Merwan qui vacilla sur ses jambes, avant que l’oméga ne puisse le toucher, il tenta d’atteindre l’autre paroi, mais il s’effondra avant dans un grognement sourd. Saarf continua à avancer vers lui, l’amenant à ramper pour s’éloigner.

- Tu vois ? Tu ne risques rien pour ce soir. Merwan va rejoindre ton oméga et met-toi à genoux devant lui qu’il puisse te mettre ta laisse.

L’immense corps lutta un moment pour obéir, il voyait flou et il peinait vraiment à se concentrer, mais il avait compris le plus important. Son oméga était revenu. Il allait le sortir du collectif, il était là pour lui.

L’alpha fit de son mieux pour rejoindre la silhouette qui se trouvait un peu plus loin et il s’écrasa contre ses jambes plus qu’autre chose, enserrant le pan de son pantalon d’une main tremblante. Le collier qu’il portait toujours fut manipulé mais pour une fois, la laisse ne se tendit pas, lui permettant de respirer normalement.

Autour de lui les omégas parlèrent encore un moment sans qu’il ne saisisse beaucoup de mots. Il ne parvenait pas à se concentrer. Son grand corps était secoué de frissons et son sexe, tendu au possible dans son pantalon lui faisait mal.

- Je peux le reprendre demain pour tes cours, mais je veux que tu assistes à la totalité des préparations avant. C’est important je pense…
- D’accord, merci.

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