Chapitre 2 - une lecture d'analphabète

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Tournant comme un lion en cage, Leyn n’arrêtait pas de se maudire. Qu’avait-il donc pu lui prendre pour qu’il accepte de faire ça !? Tôt ou tard, il y aurait été contraint, bien-sûr, mais cet alpha était pire que le premier. Il était énorme. Littéralement énorme. Et à présent, il était enfermé dans un local dédié à l’étage et lui, il était sensé aller le voir. Seulement si peu de temps avant il avait été accompagné des bêtas aux corps relativement forts et de leurs armes à présent, il était seul et il allait devoir rassembler tout son courage pour faire le nécessaire.

Soufflant, il saisit un livre, l’un de ceux qu’il avait trouvé le plus pertinent et intéressant au début de ses études et il monta les grands escaliers de marbres jusqu’aux chambres où séjournaient les étudiants et les enseignants qui le désiraient. Il n’eut pas de mal à trouver la pièce qu’ils avaient employés, laissant un grand nombre d’équipement juste devant. Il pourrait utiliser tout cela s’il en éprouvait le besoin. Hésitant, il finit par se saisir du boitier posé en évidence puis il ouvrit la porte sur un espace minuscule dans lequel l’alpha avait été attaché. Il portait toujours la totalité des liens et il avait été relié aux murs en trois points. Une laisse était accrochée entre son collier et le plafond, l’empêchant de se coucher alors que deux autres venaient attacher ses poignets.

Merwan était éclairé par un petit plafonnier et avant même qu’il ne regarde l’oméga, Leyn tendait le boitier devant lui en un geste menaçant.

- Je suis sûr que vous connaissez mieux son effet que moi, alors ne vous avisez pas de bouger !

L’alpha eut un mouvement de recul involontaire, se rencognant un peu plus profondément contre le mur derrière lui. Le bâillon dans sa bouche l’empêcha de répondre. Il avait testé ces méthodes plus d’une fois et il les craignait à juste titre.

Le petit oméga posa le livre entre eux et lui ordonna de se pencher en avant qu’il puisse lui libérer une main, sans quoi, il ne pourrait pas tourner les pages ! Aussitôt, Merwan se plia vers l’avant tout en poussant une espèce de grognement qui ne mit absolument pas l’érudit en confiance. Leyn siffla plus qu’autre chose :

- Si vous n’êtes capable de vous comporter que comme un animal autant s’arrêter immédiatement !

Il ne reçut aucune réponse, bien-sûr, mais l’alpha s’immobilisa complètement, tant et si bien, qu’il osa détacher son poignet le plus proche. Ce bras était toujours attaché, au niveau du coude, limitant sa mobilité, mais ça n’empêcha pas le jeune homme frêle de s’éloigner rapidement.

Merwan bougeait lentement, il semblait tout faire pour paraître d’un gabarit moins important : en vain. Lorsqu’il releva le visage, l’oméga put voir la salive qui s’accumulait le long du bâillon-boule. Il grimaça de dégoût en la voyant couler. Il souffla et se détourna sans le moindre commentaire, l’abandonnant là.

Il fit très attention à fermer la porte à double-tour, puis il enjamba les différents outils qui avaient été laissé là et partit en courant, fuyant, jusqu’à sa chambre. Elle était petite mais individuelle. Il ferma sa porte à clé et recula, l’observant, le cœur battant la chamade. Il n’avait accepté que temporairement, mais il se sentait coincé. Pourquoi avait-il cédé ? Il aurait dû refuser, encore et encore, jusqu’à ce que les bêtas lui assurent qu’il devait en accepter un car telle était sa charge. Mais cet alpha, cet animal… il avait demandé à lire. Il n’avait pas posé sa main sur son sexe sous ses vêtements. Il n’avait pas roulé les hanches. Il n’avait pas mordillé ses lèvres comme pour essayer de l’exciter. Non, au moment fatidique, il avait demandé à lire et ça comptait.

Le jeune oméga se demanda à quel point l’autre était satisfait de ce qu’il avait obtenu. S’il espérait pouvoir coucher avec lui, il était mal parti ! S’il avait envie d’un peu de confort également… La pièce resterait lumineuse et il était attaché. C’était une punition courante, mais la privation de sommeil n’était jamais agréable.

Leyn s’installa sur son petit lit à la couverture verte et il observa la porte, de plus en plus perdu. Que devait-il faire ? Il finit par retirer ses lunettes un instant pour se masser les yeux. Une bonne méthodologie aurait pu être de faire une balance des intérêts et des risques pensa-t-il. Cet alpha n’était sans doute pas quelqu’un de cultivé ou en tout cas, il n’avait rien montré qui puisse lui indiquer le contraire, mais ça aurait été étonnant après tout… Aucun alpha n’était réellement cultivé. Certains d’entre eux, tout au plus, avaient eu le contrôle nécessaire pour suivre de courtes études. Cependant il avait demandé à lire, il avait donc compris ses exigences, sa sensibilité et ce qui pourrait le toucher… A moins que ce ne soit qu’un coup de bluff, une tentative désespérée. Attrapant un papier, il gribouilla la balance en essayant d’inclure l’idée qu’il ne pourrait peut-être pas trouver mieux. Malheureusement cet alpha avait un point plus qu’ennuyant, un point effrayant : il était terriblement énorme de son point de vue. Grand. Musclé. Large. Imposant.

S’il le refusait, il pourrait sans doute trouver un alpha d’un gabarit plus simple à gérer… il devait donc soupeser ce problème de taille face à la composante psychologique. Si seulement ce n’était pas juste un pari sur ce qu’il pourrait trouver le lendemain. Si seulement il avait pu quantifier réellement les qualités des uns et des autres pour choisir le meilleur candidat.

L’oméga déposa ses lunettes sur sa table de nuit en bois sombre. Il retira ses vêtements et sauta rapidement dans un pyjama couvrant pour cacher son corps fragile. Glissant entre les couvertures, le petit corps se blottit à la recherche d’un peu plus de chaleur et de sécurité. Il n’y avait pas de bonne réponse à l’étrange énigme qu’il venait de se poser et il manquait dramatiquement de données. Il finit par se dire, aux portes du sommeil, qu’il pourrait en savoir plus le lendemain, en voyant ce que l’alpha avait décidé de faire de sa nuit.

Au petit matin, il s’éveilla sans que la moindre machine n’ait besoin de le prévenir. Leyn était étrangement réglé et il possédait un de ces sommeils faciles. Il était sept heure trente puisqu’il était éveillé et il prit le temps de faire son rituel habituel allant jusqu’à la salle de bain pour se laver consciencieusement. Il n’était pas le seul, mais à cette heure-là, il n’y avait aucune autre personne. Les omégas étaient ainsi, arrangeants dès qu’ils le pouvaient, rapides aux compromis. Il n’y avait quasiment aucune compétition entre eux mais plutôt de l’entraide.

Encore humide de sa douche, il retourna s’asseoir sur son lit. Lorsque les omégas étaient liés à un alpha, ils devaient les garder avec eux aussi souvent que possible pour alléger le reste de la communauté de leur présence. Il tenta d’imaginer l’immense corps de Merwan ou d’un autre alpha dans cette pièce mais il n’y parvient pas réellement. Cette vision lui paraissait totalement incongrue. Il ne voulait pas de ça, mais il ne pouvait pas y échapper.

- Bon… souffla-t-il pour s’offrir un peu de courage.

Il ne pouvait pas repousser encore et encore indéfiniment, alors il se leva et marcha jusqu’à cette zone dédiée aux alphas des visiteurs. Rien n’avait bougé. Leyn hésita un moment avant d’ouvrir la porte, mais avant cela, il reprit la petite télécommande pour la brandir devant lui.

A l’intérieur de la pièce, l’alpha était toujours là. Sa tête reposait légèrement sur le côté, il s’était endormi sur sa propre épaule. Il n’avait pas pu se coucher et le collier qui l’étranglait légèrement provoquait une respiration rauque et sifflante. Quelques mèches brunes rayaient son visage, dissimulant la majorité de ses traits sans parvenir, pour autant, à cacher la boule qui avait été placée dans sa bouche. La bave avait coulé le long de son menton et en le voyant Leyn recula un peu, mal à l’aise et rebuté. Il tenta de se raisonner, cet individu n’y pouvait rien ! Il avait été attaché, ligoté, mit à genoux, bloqué, … mais c’était néanmoins dégoutant.

Le jeune oméga hésita, il ne savait pas vraiment ce qu’il devrait faire, mais il avait bien vu que le livre avait été ouvert. Il finit par toussoter, réveillant immédiatement l’alpha endormi.

Merwan ouvrit de grands yeux en sursautant et l’instant d’après, il lâcha un grognement sourd qu’il tenta de ravaler. C’était pourtant trop tard, l’oméga, l’oméga à qui il avait été livré avait déjà levé la main pour le menacer tout en reculant vivement. Il baissa les yeux et tenta de se courber légèrement pour l’apaiser.

- Retirez votre bâillon. ordonna Leyn, le cœur battant encore la chamade.

Le jeune homme ne voyait pas comment communiquer sans en passer par là. L’alpha mit un long moment avant d’obéir, mais ce n’était pas vraiment surprenant. Les alphas avaient toujours du mal à s’exécuter, d’ailleurs lorsqu’il le fit, ce fut à nouveau en grognant ses menaces.

- Avez-vous lu alors ?
- Oui.

Il y avait une légère hésitation dans le ton qui mit le doute dans l’esprit de Leyn. Les autres omégas et lui-même n’éprouvaient aucun besoin de mentir et cela était rare. C’était pour ça et pour pleins d’autres raisons encore qu’il ne se sentait pas capable de s’occuper d’un alpha. Ils étaient ingérables, désobéissants, violents, difficiles à canaliser, … et avec une libido affreuse par-dessus le marché.

- Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que vous me mentez ?
- Je ne sais pas. J’ai vraiment lu.
- Très bien, alors dites-moi, qu’avez-vous appris ?

L’alpha baissa un peu plus la tête, malgré le collier qui le tirait vers le haut, incapable de répondre à la question. Il allait être rejeté parce qu’il ne pourrait pas dire ce que cet oméga voulait entendre. Il regarda désespérément l’ouvrage, cherchant quelque chose, n’importe quoi qui pourrait convaincre l’autre qu’il l’avait lu. Qu’avait-il appris ?

- Le livre… était difficile.
- C’est un livre de première année. Il est des plus basiques. Je suppose donc que vous ne l’avez simplement pas lu sinon vous pourriez en dire quelque chose. Je… Ça ne sert à rien. Je vais vous renvoyer, ce sera plus simple ainsi.
- Non ! Non… S’il-vous-plait… Je veux lire, s’il-vous-plait.

Leyn se détourna en soupirant. Cet alpha se croyait sans doute malin et lui-même avait sans doute était un peu idiot après tout… Oui, il avait envie d’avoir quelque chose d’introuvable. Il aurait aimé avoir un partenaire, un véritable partenaire et pas un idiot sans cervelle incapable de tenir la moindre discussion. La veille, devant la supplique, il avait été touché et il s’était dit que si cet homme avait envie de lire alors peut-être, peut-être qu’il pourrait apprendre, peut-être qu’il pourrait être un peu comme lui ? Il s’était trompé, voilà tout.

D’ici quelques minutes, l’un de ses amis, Saarf, viendrait vérifier les alphas de la zone d’invité. Il gérait tous les alphas du collectif avec quelques autres. Leyn pourrait lui demander de le renvoyer pour lui et il s’en occuperait sans mal. Ce serait le plus sûr à faire, se dit-il, tout en s’éloignant.

- Blanche ! Deux pages blanches.

Le jeune oméga s’arrêta et regarda le grand corps agenouillé de l’autre côté de la pièce.

- Quoi ?
- Deux pages blanches. Une page écrite avec des dessins. Une page blanche. Une… Une liste. Deux pages d’écritures noires. Un dessin. J’ai lu. Je jure que j’ai lu jusqu’à la page où le dessin est en couleur… rouge… orange… noir…
- Mais voyons… lire, ce n’est pas regarder les images.

Merwan leva les yeux jusqu’à lui, durant un instant il l’observa. Cet oméga avait l’air plus sévère que d’autres, mais il n’avait pas encore activé la télécommande et il prenait le temps de lui parler comme s’il était quelqu’un. Il détourna les yeux à cette pensée. S’il était encore quelqu’un, alors il devait lui sembler bien décevant. Un imbécile. Un idiot, incapable de lire quelques lignes et de raconter quoique ce soit dessus. La mâchoire de l’alpha se contracta. Il allait être renvoyé, bien-sûr et il allait devoir retourner avec Atkins.

- A quel âge avez-vous… terminé l’école ?
- Douze ans.

Leyn se tut, mal-à-l’aise. C’était arrivé si jeune. Ce n’était pas étonnant qu’il ne parvienne pas à comprendre ce livre. Il n’avait pas dû avoir accès au moindre ouvrage depuis des années maintenant. Derrière lui, son ami apparut, coupant court à ses réflexions. Saarf était un homme d’un peu plus d’une trentaine d’année, fin et délicat comme tous les omégas. Il s’approcha d’un pas presque dansant, un sourire aux lèvres.

- Salut ! Et bien… je ne pensais pas te trouver avec un alpha ! Tu as craqué ?

Il passa la tête par l’ouverture et observa l’homme qui était attaché au fond de la pièce.

- Ouahou ! Belle prise ! Tu avais un rêve secret de grandeur ?

Saarf entra dans la pièce sans aucune hésitation, s’approchant malgré le risque de se faire saisir par le bras libre ou de se faire mordre. Il avait l’habitude de travailler avec les alphas et il n’en éprouvait pas la moindre crainte.

- Ce n’est pas ce que tu crois. Ce n’était qu’un essai…
- Hum... Qu’est-ce qui t’as décidé ?
- Il a demandé à lire.
- Oh… Et il n’a pas réussi hein ? Je pourrais le parier.

Leyn observa son ami sans comprendre et voyant son trouble, le blondinet lui répondit avec un sourire indulgent tout en tournant autour de l’alpha.

- Leyn… Tu rêves d’un érudit, je le sais, on le sait tous… Si je n’ai pas un seul alpha du collectif à te proposer, c’est parce qu’il n’y en a pas un seul qui t’irait. Il te faudrait un alpha qui ait pu finir ses études et ça, ça se verrait immédiatement. Ton alpha de rêve sera petit, oh plus grand que toi et moi, mais minuscule par rapport à lui.

Saarf désigna Merwan de la main sans même se préoccuper de ce qu’il pouvait penser.

- Il aura eu une montée d’hormone tardive et faible. Il n’aura pas passé énormément de temps en salle d’entraînement, donc il sera peu musclé et plus jeune que celui-là. Il aura dix-huit ans, pas plus. Tu seras le premier oméga à qui ils le présenteront car il n’aura pas été renvoyé par un autre. Personne ne laisserait passer ce genre d’alpha.
- Et j’ai une chance de le trouver ?
- … aucune idée. Je n’en ai vu qu’un seul de toute ma vie, lors d’une conférence. Une rareté.

Merwan se tassa un peu plus, il savait qu’il était trop grand, trop fort, trop musclé, trop… trop alpha pour plaire à qui que ce soit. Il en avait parfaitement conscience, mais ça faisait mal de l’entendre dire par un autre. Il ne répondit pas, sachant que s’il le faisait, il serait jugé impertinent par cet oméga qui semblait travailler avec les alphas. S’il obtenait une appréciation négative de sa part, il serait sans doute renvoyé immédiatement.

- Autant dire que je ne le trouverais jamais…
- C’est possible oui, mais Leyn… Tu le savais non ?

Leyn ferma les yeux, douloureusement. Oui, il le savait. Il l’avait toujours su. Lorsqu’il les rouvrit, il observa Merwan, l’affreux alpha aux muscles trop rond qui patientait toujours à genoux. C’était peut-être le meilleur choix qui s’offrirait à lui. Faute de mieux il se tourna vers son ami et lui demanda :

- Est-ce que tu veux bien le prendre dans le système commun pour la journée ?

Alors que son ami acceptait, l’alpha sembla se répandre entre les liens, complètement immobile, sans doute soulagé. Sans attendre, Leyn s’éloigna, laissant Saarf gérer la situation. Il marcha d’un pas vif à travers les couloirs et retourna dans cette salle de travail qu’il affectionnait tout particulièrement. Il s’installa dans son fauteuil favori et observa le vide, un peu choqué. Que venait-il de faire ? Pourquoi ne l’avait-il pas simplement renvoyé ?

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