25 - Paul

4 minutes de lecture

Deux mois plus tard, fin août

Dong, dong, dong. « Le train n°889759 en provenance de Paris gare de Lyon va entrer en gare quai n°2. Nous demandons aux personnes accompagnant les voyageurs de ne pas monter dans le train. »

« Pardon, Madame, c’est le train qui va à Lyon ou qui vient de Lyon ? Je n’ai pas bien compris, demandai-je à ma voisine de quai.

- C’est le train qui vient de Paris, s’égosilla-t-elle pour couvrir le bruit dudit véhicule freinant juste devant nous dans un grand crissement.

- Ah bien, parfait, je vous remercie.

Très bien, pile à l’heure, pas comme celui de Bordeaux qui était annoncé avec plus de quinze minutes de retard.

Un flot de voyageurs se déversa des wagons, jouant des coudes et des valises pour se frayer un chemin parmi ceux en contre sens qui souhaitaient monter. Je restai statique, appuyé sur ma canne, laissant passer le mouvement de foule. Tout au bout du quai, je vis enfin sa silhouette apparaître : petite femme menue transportant vaillamment son cabas et sa valise à roulettes. Cette vision me fit monter une bouffée d’émotions m’emportant dans une flopée de souvenirs. La gare, croisement des chemins, lieu de séparation par excellence. Combien d’au-revoir et de retrouvailles avions nous vécus ici ? Service militaire, études, travail sur Paris. Combien de fois Simone m’avait-elle accompagné sur ses quais, digne et courageuse, alors qu’elle était si affectée par mes départs ? Et combien de retrouvailles impatientes à guetter l’autre, se presser à sa rencontre et pouvoir fusionner à nouveau ?... Une multitude !

Et aujourd’hui, c’était mon tour. Moi, l’impatient, celui resté à quai, la laissant partir retrouver notre fille et nos petits-enfants pour les vacances, pour mieux la voir revenir. Nous ne pouvions plus galoper comme de jeunes tourtereaux, mais au fur et à mesure que nos pas se rapprochaient, je sentis un élan grandir et nos sourires s’épanouir.

« Bonjour Paul.

- Bonjour ma douce.

Je déposai un baiser furtif dans ses cheveux et pris sa valise.

- Et comment vas-tu faire, gros malin, avec les escaliers et ta canne, me taquina-t-elle d’emblée.

- Laisse-moi te montrer que je peux t’être utile encore un petit peu, la suppliai-je gentiment, et puis nous allons prendre l’ascenseur très chère.

A nos âges, nous avions fini de courir après le temps, profitant pleinement de chaque instant comme de petites pépites précieuses. Attendre l’ouverture des portes et savoir comment s’était déroulé son voyage. Descendre d’un niveau et échanger des nouvelles de notre fille. Traverser le couloir, attendre l’autre ascenseur et découvrir comment grandissaient mes petits-enfants. Remonter d’un niveau, la regarder et prendre pleinement conscience de la chance d’être encore tous les deux, ensemble.

Simone était rayonnante. Son séjour l’avait redynamisé. Je savais combien elle souffrait d’être loin de ses ouailles. Elle aimait être entourée de son petit monde, œuvrant au bien être de chacun. La retraite avait également été une étape difficile à accepter pour elle. Je l’avais vu dépérir à petit feu ne parvenant plus à trouver sa place et l’utilité qu’elle aimait avoir. Heureusement depuis cet été, elle avait eu un déclic et repris du poil de la bête. Je retrouvais peu à peu la Simone que je connaissais : enjouée et pleine de projets, allant de l’avant malgré les aléas. Elle avait repris plus assidument le jardinage et, après l’avoir aidé dans ses recherches sur internet pour trouver ce qui lui correspondait, elle avait poussé les portes de la Maison des associations. Elle s’était inscrite au R.E.R.S : Réseau d’Echanges Réciproques de Savoir. Un lieu cosmopolite permettant à chacun de proposer ses compétences aux autres et d’en apprendre de nouvelles par ailleurs. C’est ainsi que Simone participait à un atelier collectif de cuisine, étant tour à tour professeur pour « faire ses bocaux de sauce tomate », « utiliser les herbes aromatiques », puis élève pour « découverte de la cuisine médiévale » ou « tajines aux multiples saveurs ». Ce n’était pas pour déplaire à mes papilles, bien que je n’aie jamais eu à me plaindre !

Un étudiant venait également depuis peu à la maison lui donner des ‘cours’ d’informatique. J’en avais profité pour lui demander discrètement d’initier ma douce à l’utilisation du téléphone portable. En échange, Simone accueillait deux jeunes femmes pour leurs transmettre son savoir-faire en jardinage. Tout cela la stimulait bien plus que mes piètres tentatives auprès du club de l’âge d’or ou de Mme Vignol. Il allait falloir d’ailleurs que je veille au grain et nous réserve quelques moments ensemble tellement elle fourmillait d’idées pour cette rentrée de septembre : apprentissage de l’anglais, danses de salon, yoga… « Pas tout d’un coup » me rassurait-elle. Voilà qui promettait en tout cas.

Ding, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent.

- C’est bon, Monsieur a suffisamment joué au chevalier servant, dit-elle en reprenant d’office sa valise en y ajoutant son cabas par-dessus, donne-moi plutôt le bras. Tu m’as manqué, Paul, chuchota-t-elle à mon oreille en venant se coller à mon flanc.

- De quoi ? Qu’as-tu dit ? mentis-je effrontément.

- Tu m’as très bien entendu, souligna-t-elle en souriant, raffermissant sa main à mon contact.

- Toi aussi ma douce.

Alors que le train de Bordeaux entrait en gare, nous traversâmes le hall et sortîmes bras dessus bras dessous, clopin-clopant, continuant de deviser gaiement.

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