9- Arnaud

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Le week-end fut aussi intense qu’imprévisible. Du lever à l’aube aux insomnies nocturnes, les deux jours furent bien occupés. Depuis longtemps les garçons faisaient leurs nuits, mais moi je n’avais toujours pas récupéré les miennes. Il n’était donc pas rare que je me retrouve à faire des devis ou de la compta au clair de lune. Ceci dit, les pauses clopes nocturnes étaient les meilleures. Quand tout était calme, figé hors du temps, j’avais enfin l’impression de respirer. J’étais bien conscient de trop fumer. Et d’abuser du café. Les deux sournois me rongeant assurément les poumons autant que l’estomac, mais comment se passer des deux piliers de ma vie actuelle ?

Mes premières passes d’armes de papa fraîchement divorcé, seul responsable de ses mômes pendant toute une semaine, avaient été plus que rocambolesques. J’avais enfin mesuré tout ce qu’Hélène accomplissait jour après jour avec un talent et une endurance inégalés. Pour préserver la santé mentale de tout le monde, je m’étais donc amélioré. J’avais de toute façon une bonne marge de progression. Je me surpris rapidement à copier Hélène et mettre en place certains de ses petits rituels pour lesquels je l’avais tant charriée : jours dédiés aux courses ou au ménage ; heures de repas, de bain et de coucher ; vérification des tenues vestimentaires ou des sacs de voyage ; listes des achats et celles des choses à faire. Bon, les garçons n’étaient toujours pas coiffés, ils pouvaient partir sans blouson alors qu’il pleuvait, je jurais beaucoup trop et la maison ne figurerait jamais dans un catalogue de déco et rangement. Mais j’assurais la base et nous avions trouvé notre rythme de croisière à tous les quatre, même si c’était éprouvant. Comment disait-on ? Etre parent, c’est le seul métier pour lequel tu travailles H24, sans pause ni congé ni rémunération. Ce n’était pas un métier, c’était un sacerdoce ! Même si je râlais beaucoup, j’adorais être avec mes gosses. Je bossais comme un fou les semaines impaires pour pouvoir être un tant soit peu disponible les semaines paires. Il fallait juste que je trouve le moyen de me préserver un peu pour tenir dans la durée. Eux tenaient plus d’un croisement entre des pneus increvables et les piles Duracell, moi pas. Ou bien j’avais perdu cette faculté en grandissant, et comme j’étais très grand…

Je passai donc ce week-end à jongler entre les choses à faire, les imprévus et trouver des activités pour les occuper. Hélène aurait dit stimuler ou éveiller, je n’avais pas cette prétention. D’autant qu’avec le plâtre et le fauteuil, toute activité sportive ou extérieure était plus que limitée. Nous avions quand même tenté une sortie à la supérette du coin qui nous demanda le double du temps habituel. Je passerai rapidement sur l’accessibilité des trottoirs et des lieux publics aux fauteuils roulants, je retrouvai le même agacement qu’à l’époque où je maniais la poussette double, le troisième lardon calé dans le porte-bébé.

Le samedi, après quelques courses, des dessins de super robots, une tentative de cookies genre rations militaire mais faits-maison, un repas de spaghetti bolognaise, une séance de chatouilles qui dégénéra en bagarre générale (attention au plâtre !), la lecture et la relecture de Yakari qui déboucha sur une course à cheval (attention, y a toujours le plâtre !), il était à peine 14h30 et nous nous étions lancés dans le tri de mes vieux Lego Technic avec l’intention de construire un petit véhicule à chacun, quand mon téléphone portable déclencha les premiers accords d’’In the Mood’. Sam, mon bras droit au garage, appelait pour me dire qu’il se sentait trop malade pour assurer la fin de journée. Le garage ne fermait que le dimanche et nous alternions chaque semaine pour bosser soit le lundi soit le samedi. Et merde ! J’allais être des deux. C’était ça aussi d’être le patron.

Sam n’était jamais malade, il était l’archétype du cinquantenaire fiable, bosseur, efficace, minutieux et taciturne. C’est sûr que ce n’est pas lui qui allait booster notre relation clients. Mais bon, les gens attendaient avant tout une bonne réparation, une rapidité d’exécution… et des prix attractifs. Alors Sam était l’employé idéal, et aussi l’unique. Notre tandem avait été parfois complété par un apprenti à l’essai. Seul le dernier en place se révélait assez endurant et débrouillard pour suivre la cadence et apprendre assez vite. Par conséquent, si Sam appelait pour dire qu’il était malade et ne pouvait plus assurer, c’est qu’il devait être au bord de l’agonie. Je fis donc monter les loustics dans la camionnette, chargeai le fauteuil, direction le garage.

Certes, ce n’était pas la première fois que je les emmenais là-bas, mais je m’arrangeais d’ordinaire pour qu’ils viennent à des heures de fermeture. Trois loulous d'environ six ans lâchés dans un entrepôt avec autant d’opportunités, c’était un coup à faire frôler la crise cardiaque à mon assureur. Si je ne succombais pas avant lui. Je copiais une fois de plus Hélène en exposant les règles de sécurité. Puis je leur trouvai à chacun un espace et une occupation espérant une première demi-heure de disponibilité pour finir de changer une courroie de distribution.

Enfin, je me sentis vraiment bien. Les mains dans le cambouis, Sidney Bechett en fond sonore, les garçons intensément concentrés : Bastien à trier les clés anglaises par taille, Valentin à transformer un carton en voiture de course et Sylvestre à tester toutes sortes d’objets dans l’étau de l’établi. Je fus envahi par une bouffée mêlant angoisse, amour et fierté. Il était étrange de se voir en version miniature, entrevoyant leur futur plein de possibilités mais également d’embûches. Trois mini-moi en bleus de travail. Je focalisai un instant sur la jambe de Bastien, même le plâtre avait eu droit à un emballage dans un sac plastique bien scotché. Finalement, j’apprenais aussi avec le temps et mes enfants y étaient pour beaucoup.

Deux heures plus tard, il était l'heure de fermer. J’étais vanné d’être sur tous les fronts. J’avais paré au plus pressé, les clients avaient été assez conciliants et les garçons ne m’avaient pas interrompu plus que d’habitude. Ils avaient même passé un long moment à essayer d'empiler des pneus de scooter, Bastien jouant le rôle de l’architecte avec force dessins. J’avais dû les arrêter quand les constructions s’étaient transformées en lancer de pneus contre les murs tôlés du garage.

Sur le chemin du retour, je m’arrêtai chez mon pote Alexandre, marié et père de deux pré-ados, pour nous offrir un sas de décompression avant le marathon de fin de journée. Une bière et une clope pour moi, des jeux vidéo pour eux - après vérification du contenu bien sûr, j’étais aussi à cheval qu’Hélène sur cette question-là.

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