3- Elisa

7 minutes de lecture

Carnet – Opération escargot

Jeudi 18 juin - J 2 :

12H 30. Je ne travaille pas le jeudi matin, j’en ai donc profité pour passer la matinée à surveiller ma boîte aux lettres. J’ai dû tout faire devant la fenêtre de ma cuisine pour ne rater aucun passant : petit dej’ et tous les trucs en ‘-age’. Ceux que j’aime : lavage, habillage, maquillage, coiffage (j’espère que les rideaux ne sont pas trop transparents), et ceux que j’évite au maximum d’habitude : repassage, ménage (pour le coup, uniquement la cuisine, mais la gazinière n’a jamais autant brillé), épluchage (j’ai un stock de légumes tout prêt pour un mois), désherbage le long de mon allée. J’ai mal à la tête à force de plisser les yeux et un torticolis à toujours regarder dans la même direction. Et j’ai très, très envie d’aller aux toilettes. Je n’ai pas osé m’accorder de pause-pipi de peur de rater ma personne mystère.

Chou blanc. Personne ne s’est arrêté devant ma boîte. Je crois que je vais ajouter l’espionnage dans ma liste noire en ‘-age’ et mettre ma voisine d’en face sur le coup. Elle passe déjà sa journée devant sa fenêtre et a une bien meilleure vue que moi sur ma boîte aux lettres.

14h45. SMS de Julianne. Elle demande si le Bernard-l’Hermite a réussi à changer de coquille. Je crois que je ne vais pas lui répondre.

21H. Je suis retournée à la Twingo après le boulot. J’avais prévu trois paquets de mouchoirs cette fois, mais même pas eu besoin de mon kit de survie ! Je suis restée plus d’une heure au volant et je m’y suis sentie bien. A vrai dire, je n’ai pas quitté la place de parking, mais j’ai quand même allumé le moteur un court instant, et j’ai fait semblant de conduire pour voir si je me souvenais de tout.

Ce soir dans la boîte, un Post-it jaune canari m’attendait, même écriture, feutre vert : Osez ! car le ’possible’ n’est en fait qu’un tout petit pas après l’impossible. Jacques Salomé

Je n’ai toujours aucune piste sur l’identité de mon expéditeur. Consulter une voyante ? Un graphologue ? Je prends goût à ses messages en tout cas, j’ai l’impression d’être incitée à poursuivre mes efforts dans cette nouvelle voie.

Vendredi 19 juin- J 3

13h. Fin de ma pause déjeuner. C’est définitif, je trouve davantage de soutien dans les Post-it mystérieux qu’auprès de ma copine.

SMS de Julianne : Où en est le pagure ?

Moi : ???

Jul : C’est de la famille des Bernard-l’Hermite :-)

Moi : Jul, je vais rester dans ma coquille si tu continues.

Jul : OK. Comment va l’opération escargot ? La Twingo n’a pas bougé.

Moi : C’est un cheminement intérieur.

Jul : Tu tiens plus de l’huitre alors ;-)

Moi : Mollusque toi-même !

Jul : Ouuh ! Tu travailles ta répartie en plus !

Moi : Et toi, tu prépares une soirée à thème sur la conchyliologie ?

Jul : Tricheuse, t’as cherché sur internet !

Moi : Seulement pour l’orthographe. :-p

Jul : Tu passes au salon ce soir ?

Moi : Non, le gastéropode que je suis va encore baver un peu dans ta voiture :D

Jul : C’est toi qui l’as dit. Bon courage !!!

20H15. Je l’ai fait ! AAAAaaaaaaaaahhhhh ! JE L’AI FAIT !!!!

Je suis retournée à la voiture après le boulot. J’avais pris un bouquin et deux-trois trucs à grignoter. J’étais bien installée, je me sentais vraiment tranquille : fenêtre entr’ouverte, lunettes de soleil, un bon polar. J’étais en train de siroter un thé glacé quand tout à coup le type a toqué à la portière. J’ai fait un de ces bonds ! Evidemment, j’en ai renversé partout !

Il m’a demandé (aboyé) si j’attendais quelqu’un. J’ai bafouillé que non. C’est seulement là que j’ai remarqué la casquette et la tenue bleu marine. Ma vue s’est brouillée mais j’étais sûre d’avoir vu marqué ‘POLICE’ sur son polo. Je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il me disait car je réfléchissais si j’avais encore mon permis de conduire sur moi. Depuis le temps, pas moyen de me rappeler ! Heureusement, il n’a pas exigé mes papiers. Pire ! Il m’a ordonné de déplacer la voiture et d’aller me garer ailleurs !!!!

Dans deux jours ce serait la Fête de la musique, il fallait vider le parking pour pouvoir installer une scène, des stands et des barrières de sécurité. La place devenait piétonne. La tuile ! Je ne pouvais pas lui dire que je ne conduisais plus depuis longtemps ou que ce n’était pas ma voiture ou que…. Bref, j’ai dégluti plusieurs fois, mes mains tremblaient mais j’essayais de ne pas y penser. J’ai mis le contact et j’ai adressé une prière muette à mes parents « Protégez-moi ! ». Puis, je me suis récitée les citations des Post-it en boucle dans ma tête comme un mantra. Je m’y suis reprise à plusieurs fois pour passer la marche arrière et j’ai enfin réussi dans un grand raclement de boîte de vitesse. J’ai fait un large sourire à l’agent pour le rassurer, il avait l’air de douter un peu, quand même, mais pas autant que moi. Cachée derrière mes lunettes de soleil, j’ai tenté de garder contenance. J’ai vérifié que la voie était libre, j’ai respiré un grand coup et je me suis lancée.

J’ai commencé par faire le tour de la place en première. Au bout de mon troisième passage, je devais prendre une décision car l’agent persistait à observer mon manège plus que bizarre. Le cerveau branché en mode panique, j’optai au plus simple pour rentrer chez moi.

L’opération escargot continuait de bien porter son nom, mais j’arrivai finalement à destination sans encombre. Et même sans avoir eu le temps de – trop - m’affoler, tant je m’étais concentrée sur la route à prendre, les vitesses à passer, les autres à éviter, faisant fi des klaxons à mon égard. Par contre, j’avais dû perdre dix kilos à force de transpirer. Une douche et une tarte m’apparaissaient plus que nécessaires.

Je n’en reviens toujours pas d’avoir conduit !!! Et je n’arrête pas de regarder par la fenêtre : la Twingo est garée devant mon portillon ! Faut que j’envoie un message à Julianne qu’elle ne s’inquiète pas de ne plus voir sa fidèle Titine.

Ah oui, et j’ai eu un Post-it orange fluo aujourd’hui, feutre violet. J’ai l’impression d’ouvrir un calendrier de l’Avent maintenant quand je vais chercher le courrier : "Il ne s’agit pas d’être parfait, il s’agit de faire des efforts. Si tu persévères chaque jour, c’est ainsi qu’il se produira un changement. Un pas après l’autre, un jour après l’autre."

Voilà qui me paraissait toujours de bon augure et m’encourageait pleinement à poursuivre mes efforts ! Je m’interrogeais tout de même sur comment mon mystérieux auteur parvenait à viser si juste.

Samedi 20 juin – J 4

8h15. SMS de Julianne : Bravo ma belle, je suis fière de toi !! T’es un vrai crabe des cocotiers maintenant.

Jul : C’est celui qui n’a plus besoin de coquille quand il grandit. ;-)

Moi : N’exagère pas, je n’ai fait qu’un trajet de la place de la mairie jusqu’à chez moi.

Jul : C’est le premier pas qui compte… vers l’infini et l’au-delà !

Moi : Au moins je suis sûre que ce n’est pas toi qui m’écris des citations.

Jul : :-p

Jul : Tu viens m’aider au salon demain ? Avec la fête de la musique, il va y avoir du monde.

Moi : Je sais pas, je pensais partir très loin avec ta voiture, ah ah ah !!!

Jul : Je vais faire des glaces…

Moi : Bon d’accord, je viens t’aider. Tu fais chocolat noir ?

Jul : Ok, mais lundi on se fait une virée en voiture toutes les deux.

….

Jul : Pas d’excuses Lili c’est notre jour de congé. A demain, viens vers 11h.

Je sens que la journée va être longue à la bibli et en plus ils annoncent des grosses chaleurs.

19h. Pas de Post-it dans la boîte aux lettres. Est-ce que la Twingo garée devant a pu gêner ? En tout cas, un chat ne s’est pas gêné pour me le faire comprendre. Il a laissé ses empreintes boueuses du toit jusqu’au capot. Je suis bonne pour une séance de nettoyage.

J’hésite beaucoup, mais je crois que je vais retenter un petit tour de quartier. En plus, j’ai retrouvé mon permis au fond d’un tiroir. On dirait que j’ai quatorze ans sur la photo, je devine même mon appareil dentaire.

20H40. J’étais un peu fébrile au volant mais tout s’est bien passé. Merci papa, merci maman ! Je pense que demain, après mon aide au salon, je conduirai jusque chez Rosalie. Ça lui fera une drôle de surprise. Et puis il faut que je m’entraîne encore, parce que je me demande ce que Julianne a en tête pour ce lundi.

Dimanche 21 – J 5

23h. Je suis vannée, grosse journée au salon de thé.

En fin d’après-midi, j’ai abandonné Julianne pour conduire jusque chez ma sœur. Rosalie est restée bouche bée en me voyant arriver au volant. Ensuite, elle a fondu en larmes, du coup, moi aussi. Rémi nous a trouvé sur le pas de la porte, serrées dans les bras l’une de l’autre à pleurer et rire en même temps. Personne ne savait plus vraiment.

Pour fêter l’événement, je suis restée manger chez eux, une soirée ‘filles’ comme quand j’étais étudiante : papotage, bêtises à la télé et glaces (je crois avoir fait une overdose aujourd’hui). Ensuite, ils sont allés faire un tour à la Fête de la musique en amoureux et moi je suis rentrée, toujours motorisée. Je retrouve des automatismes dans ma conduite, mais je suis encore assez tendue. Allez courage, l’habitude va revenir petit à petit.

Et au lit ! Julianne n’a rien voulu me dire, cela promet pour demain. J’espère que je vais pouvoir dormir.

Par contre, toujours pas de Post-it. Peut-être pas le week-end ?

Annotations

Vous aimez lire Till S. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0