V.

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Il erra ainsi le reste de la nuit. Au petit matin, lorsque la clarté se fit, un bruit l'interpella. C'était un son régulier, net, on eût dit du bois contre du métal. Il s'approcha et tomba sur une clairière où une dizaine de lutins entourait l'un d'eux. Pothon le reconnut, c'était son détrousseur. Le vil lutin lançait des prunes à sa verticale pour les faire retomber dans sa bouche et une fois dévorées, il recrachait le noyau qui volait trois mètres plus loin, précisément là où gisait dans l'herbe le casque de Pothon. Il était retourné et le chevalier remarqua égaleme que se trouvaient, non loin de là, sa cuirasse, ses saplières, ses tassettes, son gorgerin, et surtout son épée plantée dans le sol. Un tintinnabulement retentit, une clameur s'éleva. Un noyau venait d'atterrir au fond du bol métallique. Le lutin cracheur se fendit d'une salutation théâtrale.

Pothon surgit à demi-nu, pagne au vent, et, profitant de ce moment d'inattention générale, saisit son épée.

— Ah, ah ! fit-il en pointant sa lame en direction des lutins farceurs.

— Flûte ! fit le cracheur en engouffrant trois prunes dans sa bouche.

Et, les ayant dévorées, il cracha trois noyaux droit sur le visage du chevalier. D'un mouvement de lame, Pothon en para deux, d'un ploiement de genou, il esquiva le dernier.

— Ah, ah ! refit Pothon qui n'a jamais été très doué pour les réparties chevaleresques.

Les lutins se dispersèrent. Le chevalier fit quelques moulinets de lame, comme ça, juste pour impressionner, le temps que les lutins disparaissent, puis il commença à ramasser les pièces de son armure, sa cuirasse, ses spalières, ses tassettes, mais pas son gorgerin car c'est à ce moment-là qu'une voix l'interrompit.

— C'est donc vous ?

— Plaît-il ? fit Pothon en relevant le visage et en remarquant un homme à l'âge avancé, barbu et chevelu, pieds nus et vêtu d'une robe aussi blanche que sa pilosité.

— C'est donc vous qui encombrez ma forêt avec votre ferraille.

— Ma ferraille ? Je vous demande de mesurer vos mots, vil manant. C'est mon armure ! Ces maudits lutins me l'avaient chipée pour servir de cible.

— Messire, je suis le druide protecteur de cette forêt et vous devez savoir que nul n'a le droit de laisser traîner des pièces métalliques dans ce sanctuaire de la nature.

— Sanctuaire mon cul ! J’ai rien laissé traîner, on m’a volé ! Et voyez, je ramasse tout.

— Nenni, vous ne ramasserez rien, ce qui est fait est fait.

Et le druide lança un gland sur le casque qui se transforma à son contact en une nuée de libellules multicolores qui s'égaillèrent dans la lumière mordorée du soleil matinal.

— Mon casque ! beugla Pothon.

Et, laissant tomber ses pièces d'armure, se mettant en garde, arquant les jambes, réajustant son pagne d'une main, pointant son épée d'une autre, il se fit menaçant. D'une pichenette, le druide projeta un gland contre la lame. Elle disparut dans un envol coloré. Pothon regarda dépité la poignée de son épée.

« Bon, les choses se compliquent », se dit-il, et il ne croyait pas si bien dire puisque les glands pleuvaient et réduisaient à néant sa cuirasse, ses spalières, ses tassettes, jusqu'à son gorgerin.

— Bien, maintenant, il est temps pour vous de partir.

Pothon qui tremblait comme une feuille de peur d'être changé en rongeur plein de puces ou en fougère sauvage acquiesça.

— Mais comment ?

— Je peux condescendre à vous laisser partir, dit le druide, mais il vous faudra payer le prix pour cela.

— Pardon ?

— Vos bottes. Donnez-moi vos bottes et je vous ferai sortir de ce dédale de verdure.

Pothon céda, se déchaussa et lui tendit ses bottes.

— Bien, fit le druide, maintenant regardez !

Il leva les bras avec emphase, les arbres s'écartèrent, un passage se forma, la plaine apparut dans le lointain.

— Maintenant, quittez ce lieu sacré ! fit le druide et sa voix, sur les derniers mots, prit une tonalité de rugissement sauvage.

Pothon, terrorisé, déguerpit et emprunta la passe magique qui, sitôt ouverte, commençait déjà à se refermer. Il sentit les branches, les ronces, les feuillages se réunir derrière lui et lui chatouiller le fessier.

Enfin, il déboucha sur la plaine. L'homme au pagne n'avait pas bougé. Il était toujours juché sur sa branche à l'orée de la forêt. En voyant Pothon d'Axance débouler et poursuivre sa course paniquée, il ajusta sa canne à pêche, ferma un œil et lança l'hameçon qui virevolta dans les airs et accrocha le pagne du chevalier. Le pêcheur tira d'un coup sec, le bout de soie s'envola. Pothon perdit son dernier vêtement, le présent de la princesse Astrid, mais, terrorisé qu'il était par ce lieu maudit, il continua sa fuite éperdue.

L'homme à la canne à pêche récupéra le pagne en soie, l'inspecta, le huma, apprécia sa qualité, sa propreté et, ôtant l'ancien, l'enfila avec un sourire d'aise, tandis que Pothon, au loin, s’éloignait seulement revêtu de sa dignité de chevalier, ce qui est déjà pas mal mais n’évite pas les coups de froid.

FIN

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