I.

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Le cheval hennit, rua et Pothon d'Axance se retrouva les quatre fers en l'air. Il mit du temps à se relever tant son casque, sa cuirasse, ses spalières, ses tassettes et son gorgerin pesaient et lorsqu'il vit que son destrier, qui décidément n'en était pas à une facétie près, se dirigeait droit vers une forêt dense et profonde, il se lança à sa poursuite, à dire vrai à une allure fort modérée pour ne pas dire poussive, tant son casque, sa cuirasse, ses spalières, etc., vous l'aurez compris, tout cela n'aide pas à courir.

Il se rendait à quelque festoiement royal et il espérait par moult courbettes joliment exécutées et autres flatteries habilement dispensées obtenir un poste à la hauteur de son talent et de son expérience. Grand écuyer de la couronne eut été idéal, à la rigueur capitaine d'une place forte bien placée, au soleil de préférence, car bon, chevalier errant, c'est bien, c'est noble, c'est utile, mais chevalier errant à plus de quarante ans, ça commence à tirer et ça sent l'échec social à plein nez.

Galopine, sa jument, venait de disparaître dans la pénombre de la forêt et Pothon était sur le point de l'y suivre, quand une voix l'interpella.

— Je vous le déconseille, messire.

Il tourna la tête, chercha et avisa un homme à la tête chauve et hideuse, juché sur une branche. Son corps était simiesque, ses membres trop longs et il ne portait pour tout vêtement qu'un pagne crasseux et troué. Surtout, il avait une canne à pêche en main dont l'hameçon pendouillait avec indolence dans l'air.

— Et que me déconseillez-vous exactement, messire ?

— De pénétrer dans la forêt.

— Mais n'avez-vous pas vu passer un cheval à l'instant.

— Si fait.

— Eh bien, ce cheval, que j'eusse aimé que vous reteniez, est mien. Sur lui se trouve mon écu blasonné, deux lances, deux poches d'arçons et deux sacoches arrières qui contiennent moult effets personnels et documents revêtant à mes yeux une grande importance. De plus, ce cheval en plus de porter mes affaires me porte, moi. Or je me rends à un rassemblement où il y aura moult festoiements et gens de hautes lignées. Je ne peux ni manquer le début des cérémonies, ni venir à pied, dépourvu de mon écu blasonné ou de mes quartiers de noblesse. C'est pourquoi, malgré votre avertissement, je ne peux qu'entrer dans ce bois afin de retrouver Galopine.

— Ce n'est pas un bois, fit le pêcheur, mais une forêt. Et je vous déconseille d'y pénétrer.

— Ah bon ? Et pourquoi ?

— Mais parce qu'elle est maudite, pardine !

— Maudite... Allons bon, que sont-ce ces sornettes ?

— Je vous l'assure, messire chevalier, quiconque entre dans cette forêt en ressort, si du moins il en ressort, dépouillé de tout, c'est ainsi.

Et agitant sa canne à pêche en direction de la masse compacte des hauts arbres serrés, il ajouta, comme en manière de conclusion :

— Je vous déconseille d'y entrer, vous n'en ressortiriez pas avec votre jument mais bien plutôt nu comme un ver.

— Allons bon, s'esclaffa Pothon, permettez que je ne suive pas votre conseil. Passer une bonne journée monsieur, et bonne pêche, fit-il avec une pointe d'ironie.

Le pêcheur arboricole haussa les épaules et le regarda s'enfoncer dans la forêt puis, se détournant, affermissant sa position sur la branche, positionnant sa canne à pêche avec soin à mi-hauteur de l'arbre, comme dans l'attente d'un éventuel poisson, il se gratta la tête en maugréant :

— Ah la la, quel grand malheur que de n'être jamais cru.

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