De la neige au printemps

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 Le temps s'était radouci depuis quelques jours. Après une étonnante période de chaleur, l'air frais du printemps avait enfin décidé de s'installer. Les vallées et collines étaient en fleur, les premières chasses étaient données, et les oiseaux migrateurs commençaient à revenir de leur long voyage. L'océan gratifiait Dhilia de son plus beau bleu, retenant ses vagues au large. Rares étaient les baigneurs qui osaient s'aventurer dans l'eau à cette période de l'année, mais ils étaient là.

 Au sud de la capitale s'étendait une plaine si vallonnée que personne n'osait transformer les terres en champs. Face à la réticence des agriculteurs, le Roi Elamin avait décidé, sept ans plus tôt, de garder cette partie du littoral intacte. Il n'avait qu'une condition : l'endroit devait être aussi agréable qu'un jardin. Le chevalier royal Gaillart Droy, le noble à qui appartenait le coteau, avait engagé une armée de jardiniers qui travaillait sans relâche à faire en sorte que la vallée soit toujours recouverte de fleurs, au cas où l'envie prenait à sa Majesté de visiter le bord de mer.

 L'herbe y était d'un vert éclatant. Elle poussait haut, dès le début de l'année, et offrait un somptueux contraste avec l'azur de l'océan. La singularité du panorama était son impressionnante palette de couleurs, changeant au fil des saisons. En été, la côte peinait à faire pousser des fleurs, mais leurs teintes rouges, roses et jaunes transformaient l'endroit, attirant les couples de tout âge, les demoiselles et les gentilshommes, les jeunes et les moins jeunes. Le soleil, qui pourtant grillait les autres plaines plus au nord, n'avait ici aucune emprise sur la végétation. En automne, c'était un véritable festival de couleurs, avec toutes les palettes de rouge et d'orange, de bleu et de violet. Il était même acquis de dire que, à cette époque de l'année, la plaine était l'un des plus beaux paysages de Dhilia, digne d'un tableau du plus grand artiste du monde.

 Cole ne venait ici qu'au printemps. Il préférait de loin la simplicité de la scène à cette période : la plaine n'était recouverte que de marguerites, constellant l'herbe émeraude de blanc et de jaune. La présence ivoirine lui rappelait les immenses plaines enneigés des montagnes, qu'il avait quitté quelques années plus tôt. Ses nouvelles fonctions au sein de l'armée de Dhilia ne lui avait pas laissé le temps d'y retourner, ne serait-ce qu'une semaine. Tout lui manquait, même le froid. Surtout le froid.

 Pour sa sortie printanière, Cole s'était habillé du seul vêtement neuf qu'il avait eu l'occasion d'acheter depuis son arrivée à la capitale : un veston d'un bleu vif qui lui avait coûté un quart de sa solde. Il avait mis sa plus belle paire de chaussures et un des rares pantalons qui n'était pas troué. Mieux encore, il avait lavé et peigné ses cheveux et coupé sa barbe, deux choses qu'il n'avait pas l'habitude de faire très souvent.

 Un tel apparat était rare pour lui. Il n'était pas des hommes qui prenait particulièrement soin d'eux. Il ne festoyait qu'occasionnellement et ne s'intéressait pas à faire la cour. Pourtant, en cette radieuse journée, il s'était fait le plus beau possible. Cole se tenait à côté d'une belle jeune femme. Le chevalier de Dhilia avait invité Ceti à l'accompagner pour découvrir ce paysage. Elle avait peu l'occasion de quitter le château.

 Le cœur du chevalier battait à tout rompre. Pour ne pas lui montrer son embarras, il marchait un pas devant elle et évitait tout contact visuel. Cole avait invité Ceti par pure gentillesse, sans aucune arrière pensée. Maintenant qu'ils étaient ici tous les deux, en dehors d'une chambre comme à leur habitude, il se rendait compte que cela ressemblait beaucoup à un rendez-vous galant. Il était déjà trop tard lorsqu'il s'en était rendu compte, et il n'osait plus regarder son invitée dans les yeux.

 De son côté, Ceti était dans le même état d'esprit. À ceci près que son visage ressemblait à une pivoine. Elle préférait torturer ses doigts plutôt que d'engager la conversation, laissant le vent et les oiseaux combler le silence. Elle gardait ses yeux rivés sur le sol.

 Cela faisait plusieurs semaines que Ceti et Cole se fréquentaient. Depuis leur brève rencontre juste avant le bal royal de la fin d'année, ils se voyaient occasionnellement, toujours dans un cadre plus intime qu'un grand espace vert. De temps en temps, le chevalier passait la voir dans sa chambre à la fin de ses rondes et ne restait jamais dormir sur place. En dehors de ça, les deux ne se croisaient presque jamais. Quelques jours plus tôt, Cole s'était vu attribué une permission. Après l'amour, il avait proposé à Ceti de l'accompagner en balade sans réfléchir. Aujourd'hui, ils se retrouvaient seuls au milieu d'un jardin qui s'étendait sur plusieurs hectares et qui offrait l'une des plus belles vues sur l'océan.

 Les deux amants se promenaient le long de la côte depuis un bon moment. Durant ce laps de temps, ils ne s'étaient échangés que quelques phrases banales et sans intérêt. En son for intérieur, Cole se torturait l'esprit. Il ne trouvait rien à raconter et plus le temps passait, plus le silence oppressant se faisait ressentir. Lorsqu'ils étaient ensemble, ils n'avaient pas trop l'habitude de faire la conversation. C'était plus fort que lui : il ne trouvait rien à dire.

 En descendant la colline vers la mer, Ceti manqua de trébucher. Ses chaussures plates convenaient mieux aux dalles et aux pavés qu'aux terres des sentiers de randonnée. Cole, prompt à réagir, retint la servante en l'attrapant avec ses deux bras. Confuse et plus empourprée que jamais, Ceti se redressa et se confondit en excuses.

— Arrêtez, arrêtez ! lança le chevalier en riant. Cela peut arriver à tout le monde.

— On me reproche toujours ma maladresse, au château, soupira Ceti après un instant. Même ici, ma gaucherie ne me lâche pas d'une semelle.

 Cole se souvint de la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, du vase inestimable qu'elle avait brisé en le poussant du coude, et du geste de grande bonté de la jeune princesse Asena, évitant à Ceti une vie entière de servitude. La domestique était sans conteste l'une des personnes les plus malhabiles qu'il avait rencontré.

 Elle arrangea sa tenue et s'inclina devant Cole pour le remercier. Il était chevalier depuis plusieurs mois, mais il ne se faisait toujours pas aux courbettes de tous les serviteurs qu'il croisait. Il avait vécu jusque là dans la modestie et le don de soi, alors voir tous ces gens se pencher vers lui à chaque fois qu'ils le voyaient le dérangeait profondément.

— Redressez-vous enfin ! insista Cole. Nous ne sommes ici qu'entre nous, personne ne vous tiendra rigueur d'un manque au protocole.

— La loi est la même partout, monsieur, récita la jeune femme, une touche de sarcasme dans la voix.

 La plaisanterie tira un sourire au chevalier. Les deux amants poursuivirent leur route, côte à côte, en direction du sud, longeant lentement l'océan. Dans le ciel d'un bleu presque estival, le soleil donnait des reflets d'or aux vagues. Ils ne marchèrent que peu de temps avant que Ceti ne reprenne la parole.

— Vous venez souvent ici ? demanda Ceti après un instant.

— J'ai découvert cet endroit peu de temps après mon arrivée à Dhilia, il y a cinq ans.

— Il existe des jardins bien plus beaux près du château, fit remarquer Ceti avant de se rattraper. Non pas que je trouve le paysage désagréable !

 Le soldat laissa s'échapper un rire.

— Je ne suis pas vexé. Au contraire, je suis plutôt d'accord avec vous. Mais... (Cole désigna le décor d'un geste ample de la main) Il n'existe aucun autre endroit près de la capitale qui me rappelle autant ma ville natale.

— Et d'où venez-vous exactement ?

— De l'Oblihati.

 Ceti s'exclama d'apprendre les origines de Cole. Elle n'avait encore jamais rencontré personne venant du sommet du monde. Les seuls gens en provenance du Temple de l'Oracle étaient des marchands itinérants et des forains, que la jeune femme n'avait jamais eu l'occasion de voir. Sa tête se mit à bouilloner de questions.

— Est-ce vrai qu'il y neige la moitié de l'année ?

— Plus encore. Il n'y a qu'en été que la neige fond. La végétation est très absente en dehors de la ville. J'aimais beaucoup m'asseoir sur un rempart pour observer les plaines complètement blanches. J'essayais de repérer des traces avec des jumelles. Mon ami Oscar était bien meilleur que moi à ce petit jeu.

— J'aimerais beaucoup que vous me montriez à quoi ça ressemble, souhaita Ceti.

— Si l'occasion se présente, pourquoi pas.

 Ceti se retourna pour observer le paysage. Elle imagina à quoi pouvait ressembler les grandes plaines enneigées des montagnes, les hautes murailles de la ville et le Temple, célèbre lieu de pélerinnage. Dans sa vie, elle n'avait quitté Dhilia qu'à trois reprises, sans jamais voyager plus d'une demie journée. Elle n'arrivait tout simplement pas à concevoir le panorama de l'Oblihati. De ce fait, elle s'aidait des marguerites pour recouvrir son point de vue actuel d'un épais manteau blanc. Un léger sourire apparut sur son visage.

— Puis-je vous poser une question, Cole ? demanda la jeune femme après un bref silence. Elle pourrait vous sembler déplacée.

— Dîtes toujours, je jugerais moi-même.

— M'aimez-vous ?

 Le chevalier accusa la surprise. La servante de la princesse se retourna pour lui faire face et le regarder dans les yeux. Cole la considéra d'un regard interdit, bouchée bée. Les secondes s'écoulèrent lentement, et l'espace d'un instant, il pensa avoir compris de travers. Mais la jeune femme poursuivit.

— Les chevaliers qui jouent de leur position ne se cantonne rarement qu'à une seule servante. Et maintenant que nous sommes ici, ensemble... J'ai pensé que, peut-être, vous...

— Vous avez raison, coupa le soldat.

 Une main dans les cheveux, le chevalier se rendait compte des efforts qu'il avait produit pour cette journée, notamment le temps qu'il avait passé à se toiletter et à s'habiller. Il ne l'avait jamais fait auparavant, et il constata que cela lui était venu naturellement. Devant la stupeur que sa réponse avait provoqué, Cole enchaîna.

— Vous commencez à me connaître, Ceti. Maintenant que vous posez le doigt dessus, je vous considère bien plus que comme une simple domestique.

 La servante se remit à jouer avec ses doigts. Le chevalier la regarda faire un instant avant de lui tendre sa main. Ceti hésita puis y glissa la sienne. Ils se rapprochèrent l'un de l'autre lentement, jusqu'à ce que leurs lèvres se touchent. Pour la première fois, Cole n'avait envie de rien de plus que ce simple baiser.

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