Corps et âme

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Le garçon courait sur le trottoir, fendant la pluie et la foule, ses longs cheveux bruns cachant ses yeux encore rougis par les larmes.

Billy n’avait que seize ans et la raison qui l’avait poussée si loin ne pouvait pas efficacement être résumée en quelques mots. Il s’agissait surtout d’un amas, d’une surcharge, d’un désespoir qui se faisait chaque jour plus profond. Une enfance solitaire qui, malgré la présence de ses parents, s’était avérée froide et dépourvue d’amour et de manifestation de l’affection que pouvaient avoir des parents séparés pour leur enfant unique.

Puis étaient venu l’incompréhension, la recherche et la perte de soi-même, la peur et enfin, cette impression de désespoir, noire, sombre et profonde qui lui murmurait quotidiennement que chaque jour était pire que le précédent. Et que demain ne tiendrait aucune promesse.

Billy se tenait là, sur le rebord du toit d’un immeuble de la ville. De là-haut, tout était calme, tout semblait si petit, si lointain. A ses yeux, la pluie venait comme pour laver la souillure dont s’étaient rendus coupable les gens. Les habitants. Les humains. Il leva son visage vers le ciel. Les gouttes s’écrasaient sur son visage, lui arrachant un soupir de soulagement. Il voulait les rejoindre. Il allait les rejoindre. Là-haut. Par-delà les nuages gris et lourds se cachaient le soleil. Et pour le rejoindre, il savait ce qu’il avait à faire. Juste un pas, un petit pas en avant, et, après quelques secondes de chute – d’envol – il serait là-haut, léger, libre.

Le garçon arriva, essoufflé, au pied de l’immeuble. Il leva le regard et vit Billy, le corps déjà à moitié suspendu dans le vide. Il aurait voulu l’appeler, lui rappeler tout ce qu’il avait vécu. Que ce n’était pas la solution. Que ce n’était jamais la solution.

Billy regardait le sol ; ce fut une femme qui cria la première en le voyant. Qu’ils crient. C’était trop tard. C’était toujours trop tard. Pourquoi fallait-il qu’il en soit à ce point pour que les gens réagissent enfin ? Ce monde était vraiment tordu, pervers, pourri. Un garçon qui chaque jour, se renferme un peu plus, sans que personne ne lui tende la main, ils laissaient passer, comme s’ils ne le voyaient pas. Mais là, dès qu’il s’agissait d’une vie concrète, lorsque la menace de la mort se faisait enfin réelle, ils réagissaient. Quelle perversité. Ils avaient plus peur qu’il meure d’un coup sec que tué à petit feu par la peur et la solitude.

Le garçon courait, montant les marches quatre à quatre. Il ne pouvait pas laisser cela arriver. Pas après ce que lui avait vécu. Il devait l’empêcher. Il ne savait pas comment, mais il ferait quelque chose.

Un attroupement de badauds s’était formé quelques dizaines de mètres en dessous de Billy. Celui-ci se sentait soudain impérial. Ces gens se rassemblaient pour lui. Mais c’était par cette curiosité morbide. Certains avaient même leurs téléphones braqués sur lui, prêts à prendre la vidéo qui leur rapporterait une gloire éphémère sur internet. Tout était éphémère dans ce monde. Si éphémère. Si ces gens voulaient un spectacle, il allait leur montrer. Certains hommes avaient leur main en porte-voix, lui criant… quoi donc ? Saute ? Ne saute pas ? Peu importait, il était trop loin pour les entendre et trop déterminé pour leur prêter attention.

Le garçon arriva sur le toit.

«Billy ! »

Billy se retourna vers la porte par laquelle il était arrivé; elle était ouverte. Il aurait pu jurer l’avoir fermée. Peu importait après tout. Dans quelques instants, il serait libéré de tout problème.

Le garçon marcha vers lui.

«Arrête, je t’en supplie. Tu ne sais pas ce que ça fait. Il y a encore quelque chose. Le monde ne s’arrête pas là. Juste… laisse-moi t’aider. Laisse-moi te tendre la main… et prends-la. On recommence tout. Depuis le début. S’il te plait. »

Billy avait le regard perdu vers la porte. Quelque chose. Quelque chose l’appelait, comme si le vent lui murmurait à l’oreille, comme si une voix lui parlait du fond de son être.

Mais il ne voyait personne.

Dos au vide, Billy recula d’un pas.

«Billy… non. »

Puis un autre.

«Billy… »

Et un autre.

«Billy !! »

Le garçon tomba à genoux. Alors que les cris en bas atteignaient leur paroxysme, l'âme se sentit mourir.

Une deuxième fois.

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