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 Je ferme enfin ce dossier barbant, j’attrape ma veste et me dépêche de rejoindre Bruno et Roger au restaurant. Une fois par mois, je me joins aux garçons, pour garder espoir dans la gent masculine peut être ? Avec eux, la vie est simple et rassurante.

 Roger, quatrième enfant d’une fratrie de huit enfants, est l’incarnation de la bienveillance. J’admire sa famille. Chez eux ça crie, ça chante, ça vit, ça sent le Sénégal, ou du moins l’idée que je m’en fait, dans ses couleurs, ses odeurs épicées, ses plats relevés. Sa mère râle souvent, avec ses expressions imagées, un sketch à elle toute seule. Mais elle passe son temps à rire et à les embrasser. Je me sens parfois un peu perdue devant tant d’exubérance mais émerveillée par ce joyeux bordel. Cette maison est un moulin où tout le monde est le bienvenu. Roger a pris de sa mère son sourire constant, ses dents du bonheur et sa capacité à prendre tout le monde dans ses bras De son père il a pris sa patience et sa stature, un bon mètre quatre-vingt-dix, des épaules carrées et un petit bidon qui commence à pousser. Ses tablettes en chocolat fondent depuis qu’il a arrêté le basket pour une vie plus pépère d’instituteur. Le voyant briller sur le parquet, je n’aurais pas pensé que sa vocation serait l’enseignement. Pourtant il puise une immense fierté à enseigner, à donner les clés du savoir à la génération qui vient, une mission digne des Avengers. Thor ou un instit, même combat, sauver le monde et les mômes.

 Les deux acolytes se sont rencontrés sur un terrain de basket sur les bancs du collège. Et s’ils partagent une passion commune pour le sport, ils ont en commun ce sourire franc. Bruno possède ce sourire ultra Bright qui lui dessine une fossette malicieuse que je trouve si rassurante. Désormais, il se dégage de lui un charme doux et désinvolte, il cultive subtilement l’aura de l’homme séduisant sans le vouloir. Ses cheveux châtains un peu trop longs et savoureusement ébouriffés .Cet effet coiffé décoiffé sexy auquel il rajoute occasionnellement une petite barbe de trois jours sur sa peau mate.

 Roger est déjà là, il a commandé l’apéritif pour tout le monde. J’ai à peine le temps de m’asseoir que Bruno nous rejoint. Une poignée de main virile entre hommes et pour moi deux gentilles bises, accompagnées d’une main qui glisse nonchalamment sur mon bras. C’est étrange la sensation d’être entre ces deux hommes. Je me sens petite, ce qui est rare, je suis considérée comme « grande » pour une femme, mais entre ces deux gaillards d’un mètre quatre-vingt-dix et un mètre quatre-vingt-cinq, j’ai conscience de mon infériorité physique, de ma fragilité mais j’ai étonnamment l’impression d’être en sécurité. Comme si je pouvais me lover contre eux et échapper à tous mes problèmes, comme s’ils étaient assez forts et fiables pour anéantir mes peurs.

— Alors comment débute cette nouvelle année ? Demande Bruno.

— Comme a fini l’ancienne, répond Roger. Et pour toi ?

— J’ai de beaux projets aux boulots, quelques jolies destinations à l’horizon. Et peut-être une nouvelle opportunité, un nouveau virage mais pour le moment je ne suis pas vraiment partant. On verra bien, balaie -t’ il d’un revers de main.

— Si tu penses changer de job, tu ne veux pas l’échanger contre le mien ?

— Tu veux dire lâcher mon super emploi, mon super salaire, mes responsabilités et mes sublimes voyages pour m’enfermer dans un bureau et manipuler des chiffres toute la journée ? Je l’aime énormément mon job de « testeur de voyages », des recherches, du contact et des découvertes. Tu penses bien que si je dois prendre une nouvelle voie c’est pour encore plus de paillettes dans ma vie.

— Mais si tu prends le boulot d’Ava, tu auras le droit à des galipettes sur un bureau avec un apollon blond.

—C’est tentant merci, mais je vais passer mon tour. Depuis quand tu aimes les blonds d’abord ?

— Voilà, voilà, je rougis ? Demandé-je en sentant des picotements dans les joues.

Bruno pousse un soupir et continue « Et apparemment il te plaît encore. »

— Non, répondis-je trop vite. Alors, je remercie Cathy qui sait garder un secret et je rectifie, il n’y a pas eu « des » galipettes, c’est arrivé une seule et unique fois et c’était au bureau et pas sur le bureau. Désolée de vous décevoir. On peut passer à autre chose ? Raconte-moi tes futures destinations de rêve plutôt.

— On met au point différentes formules en ce moment. On étudie une formule sportive, découverte de la nature en Afrique du Sud. Et une formule lune de miel. Deux facettes d’un même pays. Il y a des endroits qui ont l’air passionnant. On finalise nos premiers choix et je devrais effectuer un premier séjour à la fin du mois.

— Je peux t’accompagner ?

— Je t’en prie, je commence par tester les hôtels pour la formule lune de miel.

— Méfie-toi Ava, si tu l’accompagnes vous devrez tester l’insonorisation des chambres.

— Et ben alors Roger, une petite pointe de jalousie ? Aurais-tu des envies de lune de miel avec Bruno ? Ça fait un moment que je me demande ce qu’il se passe entre vous.

— Oui Ava, Roger et moi on s’aime en secret depuis des mois déjà. On ne savait pas comment te l’annoncer….

— Eh oh… arrête tes histoires, elle va y croire, proteste Roger.

— C’est bon les garçons, rappelez-moi, ça fait combien de temps qu’on ne vous a pas vu avec une femme ? Un petit souci de virilité peut être ? les taquiné-je.

— Écoute-moi bien Ava, tu fais ta maligne, mais dis-toi bien que s’il n’y avait pas cette table entre nous et tous ces gens, ça fait un moment que je t’aurais plaquée contre le mur, pour voir qui de nous flanche en premier, ma virilité ou toi.

— J’aimerais bien voir ça, je suis comme ta sœur ! pouffé-je.

Ai-je été trop loin dans la provocation ? Je n’arrive pas à déchiffrer l’étincelle que j’ai vu scintiller dans le regard de Bruno. L’ai-je vexé ? Je ne le pensais pas chatouilleux sur son orientation sexuelle.

—Tu devrais faire un point sur tes certitudes et sur ta vie. Je l’ai fait et tout me parait plus clair désormais.

— Tu as de la chance de savoir où tu vas. J’ai l’impression d’être un peu perdue et de ne pas avancer. Je sais bien que ma vie ne me convient pas en état, mais je ne sais pas trop par où commencer.

— On le voit bien, mais tu finiras bien par te trouver, me répond Roger avec encouragement..

— Tu ne dessines plus ? me demande soudain Bruno. Reviens aux bases. Quelles choses te rendaient heureuse ? Qui te rend heureuse ? Et lance-toi. Tu as un joli coup de crayon.

— Merci, mais comme le répétaient sans cesse mes parents « la plupart des artistes sont des crèves la dalle et on ne vit, ni de rêve, ni d’amour et d’eau fraîche »

— Personne n’a dit que tu devais en vivre. Mais si ça te fait du bien… J’aimais bien quand tu faisais tenir tes cheveux avec tes crayons et que tu avais les doigts noircis au fusain.

— C’était il y a bien longtemps quand je croyais au prince charmant.

— Et tu n’y crois plus ?

— Depuis la calvitie du prince William, je doute. Disons que ma perte d’illusions va de pair avec sa perte capillaire.

— Je n’y crois pas une seconde ? Ton problème c’est qu’en chaque crapaud que tu croises tu essaies d’y voir un prince. Certains hommes sont juste des idiots, ni plus, ni moins. Pas la peine de perdre ton temps. Mais tant que tu ne te verras pas clairement, tu auras du mal à voir les autres. Regarde autour de toi.

— Je me sens transparente et quelconque. Samedi, je fais les boutiques avec Cathy et Julie, on va tenter d’y remédier en partie.

— Dis-lui Roger, parce qu’elle n’écoute rien, et qu’elle me désespère.

—Tu n’as rien de quelconque Ava, tu es jolie. Et si Bruno et son mur ne t’ont pas convaincue, tourne-toi légèrement sur ta gauche. Le type au comptoir te dévisage depuis dix bonnes minutes.

—J’aurais dit quinze, renchérit Bruno.

— Ne rougis pas, souris lui. Et là, normalement, il se demande si avec un bon resto et quelques compliments, il peut oui ou non, espérer arriver dans ton lit ou contre un mur selon l’urgence, l’architecture et, les préférences sexuelles. Se tournant vers Bruno il enchaine un sourire malicieux bien esquissé Je ne te savais pas « murophile » Bruno.

— Me voilà démasqué, quand je vois un beau mur, je m’imagine des trucs. Je vais me lancer dans l’écriture « 50 nuances de tapisserie ! » il y a peut-être un marché à prendre.

Les garçons ont une drôle de façon de me remonter le moral et de me faire des compliments. Je suppose que leurs remarques sont flatteuses, mais je commence à me sentir un peu mal à l’aise, cernée par tous ces murs. Heureusement, la conversation reprend un ton habituel et enjoué.

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