50 - Un frère, une sœur

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8e jour de la saison du sapin 2450

— Buhrik ! s'exclama Tyrath avec énergie. Fayne !

La paire d'hydromanciens s'approchèrent doucement, principalement en cause de l'épaule meurtris du dragon bleu qui l'empêchait de se mouver à son aise. Il grimaçait de temps à autre, démontrant qu'il était toujours peiné malgré les soins qui lui avaient été administré. Sur ses blessures était étendu une espèce de pâte verdâtre, recette de Leith.

— Tu t'es bien débrouillée en fin de compte, complimenta Arièlla en souriant.

L'herboriste se vira vers sa meneuse, eut de mouvement de recul, sûrement dû à son physique alterné, l'examina pendant un instant et enfin, hoche de la tête.

— Ari ?

Elle réalisa vite que c'était bien Arièlla. Ses joues virèrent au cramoisie et elle baissa honteusement le regard.

— P-pas autant que je l'aurais voulu... Buhrik... Il est...

Elle fit une pause alors que son compagnon blessé l'encouragea silencieusement en frôlant son museau sur ses cheveux, les ébouriffant davantage le désastreux état dans lesquelles ils se trouvaient.

— M'enfin... O-où est Azéna ? questionna-t-elle, le visage crispé d'inquiétude.

Arièlla lui indiqua où d'un signe de tête. Harath et Ella s'écartèrent, révélant Naëshirie et Tyrath qui étaient accroupies, observant une jeune demoiselle étendue au sol. Naëshirie lui effleurait la joue tandis que Tyrath la fixait avec incrédulité, semblant trop sous le choc pour réagir autrement.

— Zé ?! s'exclama la brunette en s'élançant vers son amie d'enfance.

La dragonnière grise ne répondait pas. Elle semblait paisible, ses traits faciaux tranquilles, sereins mêmes. Ce qui était choquant, c'était son physique. Ici et là était parsemée des petites écailles violettes, souvent déformées ou trop petites pour être matures. Sa chevelure, autrefois purement d'albâtre, était striées de la même nuance que les écailles. Ses ongles et ses canines étaient légèrement pointus.

— Qu'est-ce q-que... ? balbutie Fayne.

— La transformation semble s'être reversé, mais pas entièrement, expliqua Naëshirie d'une tristesse profonde. Risque-t-elle d'en garder les effets de façon permanente ?

— J-je... Enfin... Je n'en sais honnêtement rien... Je n'ais jamais vu une telle chose.

— Tu as appris de Leith dans tes temps libres, ainsi que d'une variété de dragonniers accomplis, mentionna Buhrik à mi-voix, ses yeux turquoise veinés. Tu es sûrement capable de découvrir quelques détails. Vas-y. Va l'examiner.

Les traits de l'herboriste se durcirent comme si elle avait gagné de la confiance. Elle acquiesça, ôta sa main du portail de son partenaire patient et rejoins Tyrath et Naëshirie sous le regard curieux des autres. Elle réalisa avec choc que la poitrine d'Azéna, ferme et petite, était à découvert. Comment ne l'avait-elle pas vu avant ? Elle l'avait vu maintes fois dans leur chambre partagée ; peut-être que c'était l'habitude.

— Il faudrait la couvrir, suggéra Teriondil dont le sens de décence apporta de la joie à son amie. J'offre ma cape, ajouta-t-il en retirant la broche en forme de saule pleureur qui la tenait en place.

La cape glissa de ses épaules moyennement robustes. Il la prit dans ses bras comme un enfant, s'approcha avec nonchalance et la plaça sur l'archère en faisant attention de ne pas couvrir son visage pour qu'elle puisse bien respirer. Il lui offrit un petit sourire et se retira gracieusement.

— Merci Teri, souffla Naëshirie, toujours en train de frôler la joue de l'adolescente inconsciente comme si cela avait une possibilité de l'aider à récupérer.

L'elfe sylvain fit une petite révérence, tout galant et adorable. Fayne sentit une faible chaleur lui envahir l'entrejambes. Elle sentit son visage rosir. N'y pouvant rien, elle détourna le regard vers le sol.

— Il faudrait la sortir d'ici avant que de nouveaux soldats se montrent le bout du nez, grogna Arièlla qui patrouillait aux alentours comme un chien de garde. Dépêche-toi Fayne. Est-elle en état pour qu'on la soulève ?

La brunette fut secouée par sa voix autoritaire. La sensation inconfortable se dissipa aussi rapidement qu'elle eut naquit. Elle cligna à multiple reprises, se concentrant sur sa tâche. Elle se mit à examiner son amie, ce de façon superficielle et rapide. À première vue, elle n'y trouva rien de qui menaçait sa vie, mais elle dû se faire à la réalité des choses : le physique d'Azéna avait été alterné et ce n'était là que les effets évidents. Quoi qu'il se soit passé, la Valkirel allait en garder des séquelles, possiblement pour le restant de ses jours.

Elle fronça les sourcils, énervée.

— Que pensait-elle ? A-t-elle abusé de son pouvoir d'animancienne ? Rien de tel ne s'est produit avant.

Personne n'osa lui répondre sur le coup. Arièlla continua de tourner autour du groupe, sa morgenstern en mains et son regard aussi dur que le fer de son arme.

Enfin, Tyrath croisa le regard noisette de l'herboriste et poussa un soupire presque timide, mêlé à un grognement de désolation.

— Je te raconterai en chemin. On devrait la transporté ailleurs.

— Je suis d'accord, agréa Arièlla. La mêlée se rapproche de nous. Encore heureux qu'ils ne s'intéressent pas à nous après le carnage qu'Azéna a causé. Et qui sait ? Peut-être que d'autres idiots savent l'emplacement d'Azéna et qu'ils sont en chemin. Ce n'est pas sage de rester ici. Est-ce que Azéna peut être transporté sécuritairement Fayne ? répéta-t-elle avec un peu plus de sècheresse.

La Litfow n'avait pas pris le temps d'examiner ses environs, mais elle remarqua les cadavres qui les entouraient. La plupart étaient humanoïdes, portant les couleurs de leur faction mis à part quelques dragonniers qui n'étaient clairement pas vêtus pour le combat ; ils avaient sûrement été pris par surprise. Il y avait aussi un dragon déchu ici et là ce qui était encore plus triste. Certains décédés avaient clairement été abusés, tandis que d'autres paraissaient presque intactes. L'odeur nauséabonde du sang et de fer régnait dans l'atmosphère lourde. Il était difficile d'y respirer, spécialement avec la fumée épaisse qui provenait des multiples feux hors de contrôle.

Le mur fissuré d'une maison à proximité s'écroula soudainement. Le bruit agressif et le tremblement ramenèrent la brunette à la réalité.

— O-oui, hésita Fayne en tentant de masqué l'horreur qu'elle ressentait. Azéna semble stable. Son nez semble cassé et elle a subi des brûlures, quoiqu'elles soient minimes.

Elle nettoya le sang qui avait commencé à coaguler au visage de la demi-elfe évanouit. Elle ne pouvait pas vraiment appliquer sa pâte guérisseuse en dedans du nez alors, elle la laissa comme telle. Au moins, le saignement avait presque cessé. Elle avait remarqué qu'il y avait aussi des rayures de violet dans le sang ce qui l'inquiétait. Elle espérait sincèrement que ce qui semblait être des mutations allaient se reversés avec le temps. Honnêtement, elle trouvait ses effets aussi fascinants que terrifiants, mais elle n'exprima pas ses sentiments là-dessus de crainte de se faire mal juger.

— Voilà. Elle est prête.

— Tyrath, appela Arièlla.

— O-oui ? répondit le drake qui semblait se retiendre d'exploser en larmes.

— Allez. Il est temps. Emportes Azéna. Mettons-nous en route.

La blonde attendit que tout le groupe entier soient prêt au décollage avant de se détendre un peu, de suspendre sa morgenstern à son dos et de grimper agilement sur le dos de Harath.

Ses veines étaient presque revenues à leur couleur normale, s'effaçant sous le beige de sa peau. Ce phénomène tracassait Fayne, mais elle se contenta de porter attention à la situation d'Azéna. Elle découvrirait bien les détails plus tard. La blonde attendit que tout le groupe entier soient prêt au décollage avant de se détendre un peu, de suspendre sa morgenstern à son dos et de grimper agilement sur le dos de Harath. Elle ne se rendit pas compte que Fayne n'avait pas monté Buhrik.

— Buhrik n'est pas en état pour voler, avertit l'herboriste. Son aile...

— Mmm je vois, agréa Arièlla. Je n'y avais pas pensé.

Le bleu s'ébroua comme s'il tentait de se remplir de vigueur, faisant sa barbiche de craie danser au rythme de ses mouvements.

— Je peux me rendre ! s'exclama-t-il, la tête haute. C'est à une courte distance.

Même la fierté emportait parfois sa sagesse. Il était, après tout, un dragon lui aussi et la prouesse était dans leur sang. Mais il manquait de jugeote.

— Nous marcherons, avisa Fayne en accordant à son partenaire blessé un regard de mère qui discipline son enfant.

Celui-ci bandit les muscles et ouvrit les ailes, déterminé à prouver qu'il était assez fort pour prendre son essor. Mais il grimaça et annula ses actions d'un mouvement de replis. Une fois qu'il fut remis du choc, il émit un grognement sourd en fermant les yeux comme il le faisait quand il reflétait sur une situation.

— C'est bien trop dangereux, rogna Arièlla. Avec Buhrik dans cet état et toi qui ne fait pas guerrière très fameuse, vous êtes des cibles faciles. Non...

Elle fit une pause, son regard passant de froid à songeur.

Après un bref moment, elle prit sa décision.

— Teriondil et Ella, vous serez leur escorte.

La chasseresse aux ramures en bois accorda toute son attention sur la pyromancienne, ses prunelles pétillantes. Elle était prête à l'action. En revange, Teriondil réussit, même dans cette situation d'urgence, à exaspérer Fayne en se permettant une gorgée de son thé qu'il transportait suspendue à sa ceinture grâce à une liane qui passait dans la poignée d'un contenant de vitre à la place d'écouter. Encore une fois, la Litfow ne pouvait pas saisir le raisonnement derrière son attirance physique à ce garçon. Elle pinça les lèvres et remercia silencieusement la dragonne verte pour sa vivacité d'esprit.

— Faites vite, continua la Valkirel sur un ton métallique. Nous éviterons les rues principales, passant à l'arrière de la forge. En espérant que nous n'attirerons pas trop l'attention, quoique ce sera probablement impossible avec des montures d'une telle taille, aucune offense voulue à vous dragons. Nous n'avons qu'à espérer que ceux qui nous repérerons décideront de nous ignorer.

— Bien sûr ! accepta Ella sans hésitation.

— D'ailleurs... où est Argoshin ? questionna la blonde avec suspicion en feignant maladroitement de n'avoir pas remarqué l'inattention de l'elfe sylvain.

— Il a quitté Atgoren, informa Fayne. Il jugeait ses actions trop honteuses et... il a déclaré vouloir se racheter auprès d'Azéna... un jour... à sa façon...

— Quelle façon de se racheter ! fuma Arièlla. En s'enfuyant comme un poltron, la queue, littéralement, entre les jambes. Il aurait pu rester et aider ! Quand sa protégée a besoin de lui... Ce maudit chien... saurien... Argh ! Quel enfoiré de...

Elle s'arrêta nette. Étant la soldate qu'elle avait été élevé à devenir, cette réaction n'était pas étonnante. Heureusement, elle avait une bien meilleure maîtrise de ses émotions que sa sœur. Sa mâchoire se détendit un moment plus tard. Elle s'était calmée.

— Bref, allons-y.

En vérité, Fayne était contente que ce n'était pas Arièlla elle-même qui se portait volontaire pour être leur garde du corps. Elle avait remarqué les signes de fatigue qui rongeaient la guerrière. Elle en avait déjà trop fait ; elle se poussait au-delà de ses limites. Sa pogne était faible, ses muscles frémissaient et sa respiration n'était pas tout-à-fait revenu à la normale. Elle était stressée et épuisée. Peut-être avait-elle été assez sage pour choisir quelqu'un d'autre. L'herboriste lui accordait sa confiance. Elle pouvait être dure, mais elle faisait du mieux qu'elle pouvait avec les ressources qui lui étaient disposées et la situation qui lui faisait face. Elle était une meneuse forgée par la discipline et par le fer.

✦×✦

Buhrik et Teriondil ouvrait la marche, côte à côte avec Fayne au centre et Ella à l'arrière. Le dragon bleu avait insisté pour être placé derrière la brunette pour la protéger, mais puisqu'il était lent, la dragonne avait jugé sage qu'il soit à l'avant pour déterminer la cadence. La dragonne avait essentiellement adoptée le rôle de meneuse jusqu'à ce qu'ils atteignent la maison des Valkirel.

Ils avaient emprunté la route déterminée par Arièlla au cas où celle-ci déciderait de rebrousser le chemin et venir à leur rencontre. Elle devait être occupée à tout raconter à sa mère et à s'occuper de sa sœur. Fayne s'inquiétait beaucoup pour Azéna. Elle s'en voulait un peu pour ne pas avoir été de l'avant, mais elle ne voulait pas abandonner Buhrik dans son état non plus.

Le petit groupe réussit à éviter tous les envahisseurs. Il y avait des cadavres qui gisaient ici et là, mais ce n'était rien d'étonnant. Certains étaient plus frais que d'autres. Il y avait des traces laissés par des combats partout, mais principalement du dommage causé par du feu. D'ailleurs, des flammèches résistaient vaillamment à la mort, léchant l'herbe, les arbres dénudés de feuilles et la chair des déchus. Un mage à la robe sombre était venu s'écroulé adossé à un mur de briques et son crâne avait été défoncé par un objet rond et muni de piques : une signature qui était, maintenant, familière. C'était comme si leur chemin avait été sécurisé.

Fayne eut un petit sourire tremblant, remerciant silencieusement Arièlla et les autres.

— Nous y sommes presque, avisa Buhrik. La forge est proche. Il nous suffit de...

Il vira le coin et se figea. Il poussa un feulement et tendit ses muscles. Le poil pâle qui longeait son majestueux cou, rappelant la crinière d'un étalon sauvage, s'hérissa. Les autres s'empressèrent de le rattrapé.

Lorsque Fayne tourna le coin, elle aperçu la grande forge, à moitié rasé et pillé. Le propriétaire était allongé sur son enclume, marteau en mains, les yeux roulés dans leurs orbites. Il avait maigri – trop même – comme si c'était le produit de magie sournoise. Son visage semblait avoir prit de l'âge aussi, une bonne décade au moins. Sa chevelure, autrement foncé striées de gris, était principalement blanche et amincit. C'était horrifiant. Le reste de sa famille n'était pas à portée de vue et Fayne ne désirait honnêtement pas découvrir leur état.

Était-ce qui avait énervé Buhrik ? Non. Ça n'avait pas de sens. Il avait été entouré de ce ravage pendant au moins deux heures maintenant et n'avait généralement pas ce genre de réaction depuis un bon moment. Mais l'herboriste ne voyait rien de plus provocateur.

— Tu l'entends toi aussi, dit Ella comme si c'était une confirmation.

Prise de confusion, la Litfow se tourna vers les deux dragons qui étaient clairement tendus.

— Que se passe-t-il ?

— Un combat et il se rapproche de nous, informa la dragonne.

— Je l'entends aussi, quoique faiblement, souffla Teriondil qui caressa tranquillement l'un des deux réceptacles dans lesquels gigotait du thé. C'est féroce.

Fayne s'irrita d'être humaine. Elle n'entendait, ne sentait et ne voyait absolument rien.

— Pas juste un combat, grogna Buhrik en révélant les crocs, ses traits durcissant.

— Qu'y a-t-il de spécial ? Quelque chose m'échappe. Je peux, par conséquent, identifier deux dragonniers : un mâle et une femelle, accompagnés de leurs dragons, deux femelles. Je peux les sentir..., continua-t-elle en léchant l'air obstinément. C'est Arièlla et Harath... Puis... leurs opposants... Il n'y a aucun doute avec cette puanteur d'humidité, la dragonne ennemie est de la volée noire, mais je ne peux pas les identifier.

— Je le peux. Tu vas devoir t'avérer forte Fayne, avertit le dragon des tempêtes en adoptant un air sévère.

— Serf ? en déduit la brunette avec stupéfaction. Ne me dis pas que c'est Serf. Pourquoi se battraient-ils ? Non. C'est impossible. Ella les reconnaitrait, non ? Buhrik... ?

Le béhémot azure serra la mâchoire et garda ses secrets pour lui.

— Allons s'y, dit-il avec une touche de tristesse.

Le groupe n'en discuta pas plus.

Fayne sentit tout son corps se rebeller contre elle. Des brûlures d'estomac lui monta le long du torse. Elle s'inquiétait trop pour tant et ce nouveau mystère ne faisait qu'amplifier la chose. Ça l'énervait que Buhrik refuse de lui donner plus d'informations, mais elle s'imaginait qu'il désirait lui laisser du temps pour se préparer à un nouveau choc.

Elle déglutit difficilement et tenta d'ignorer la boule qui s'était formée dans sa gorge. Pour se distraire, elle jeta un coup d'œil aux blessures de son partenaire. Quoique toujours aussi horrifiantes, elles ne s'étaient pas empirées au moins. Elle empoigna la chaînette sur laquelle était suspendue l'emblème de la Bleurètte – une fleur bleue au centre jaune – et la caressa nerveusement de ses longs doigts fins.

Son anxiété s'étendit et elle se mit à craindre pour se famille qui résidait à Nothar, la capitale de Daigorn, et ses environs. Est-ce que cette terrible tragédie se passait ailleurs ? Est-ce que la Confrérie et la Légion avaient posés leurs sales pattes ailleurs qu'à Atgoren. Cela ne l'aurait nullement surprise.

Elle pinça les lèvres, se rappelant qu'elle était une Gardienne d'Aerinda et qu'elle devait prioriser les besoins des dragonniers avant les siens. Elle avait confiance que Grand Maître Terenas et Grand Maître Vigoth allaient s'avérer sages et justes. Ils allaient faire les bons choix. Il le fallait bien, sinon qui d'autre ? Et puis, Daigorn avait le support du Haut Roi et donc, de plusieurs autres royaumes. Tout allait rentrer dans l'ordre. Peut-être même que la Confrérie et la Légion allaient rencontrer leur défaite ici même.

Fayne hocha de la tête en marmonnant, se faisant sûrement passer pour une folle. Elle scruta la cité en marchant à pas pressée. Une bonne quantité de bâtiments avaient été, au minimum, endommagé. Certains avaient été heurté par des dragons ; on pouvait distinguer la forme des béhémots ailées dans les fissures. Les combats étaient toujours rageux, quoique ça semblait se calmer un peu. Les tombés étaient maintenant plus nombreux que les vivants.

Au loin, dans le ciel, une majestueuse dragonne aux écailles opalescentes, apportaient un sens d'espoir rien qu'avec sa présence. Elle n'était pas aussi large que l'intimidant Rendar, mais elle ne laissait pas sa place aisément. Elle rayonnait, émanant une lueur de chacune de ses pores, perçant la noirceur à proximité. Son cavalier, qui était si petit que Fayne ne pouvait l'identifier, était fièrement debout sur sa selle et repoussait des attaques de nature magique. Des traînées de mana montaient au firmament et s'en prenaient à eux en vain. Le dragonnier blanc était lui aussi un puissant mage. Pendant ce temps, sa partenaire soufflait des rayons de lumière vers le sol, sûrement contre des nécromants ou des mages noirs quelconques qui seraient affaiblis par l'éclat de pureté.

— Vigoth, murmura l'adolescente qui allait dans moins d'un an perdre cette statue. Karia... Qu'Elysia vous protèges.

Qu'ils étaient beaux, radieux. Ils évoquaient l'imagerie des nobles paladins, des chevaliers d'élite bénis par la lumière d'Elysia, mais sous forme de dragonnier. Fayne était heureuse qu'ils étaient toujours vivants et qu'ils luttaient. D'ailleurs, elle se demandait comment se portaient Terenas ainsi que Rendar et s'ils luttaient toujours près de la Tour Mère.

Un cri de guerre familier la ramena à sa propre réalité. Ils avaient enfin rattrapé les autres et ce n'était certainement pas à la maison Valkirel.

Là, entouré de débris, s'opposaient impitoyablement Arièlla, Harath contre un dragon ébène et son cavalier dissimulé sous une armure solide et un heaume sombre. Ce dernier portait une longue cape doublée de fourrure de lynx sur laquelle était brodé l'emblème de la Confrérie de Sombrelame. Ça confirmait bien que ce personnage ne pouvait pas être Serfantor, mais qui ? Il était familier. Fayne avait l'impression qu'elle l'avait vu quelque part. Était-ce la façon dont il se mouvait ? Était-ce ce dragon ? Elle n'arrivait pas à exactement mettre le doigt dessus.

Tyrath, Azéna, Naëshirie et Karasha n'étaient pas là. Arièlla leur avait sûrement donner l'ordre de continuer à destination. Elle était si brave, cette pyromancienne et Fayne n'avait pas l'intention de la laisser périr sous la lame de ce fils de chienne.

— Laisses-là tranquille ! tonna la brunette en approchant, infecté par l'inspiration que lui apportait la blonde.

Arièlla repoussa son adversaire d'un coup de pied farouche. Le dragonnier noir tituba vers l'arrière, une épée et un bouclier martelé – sûrement par la morgenstern - triangulaire en mains. Clairement, la Valkirel avait déjà investi beaucoup d'énergie à le combattre. Ça devait durer depuis un moment.

— Restes à l'écart ! ordonna-t-elle en adoptant une position défensive. Il est dangereux, celui-ci

Son souffle était bruyant et labouré ; elle était à bout de forces. Elle se tenait solidement, mais pour combien longtemps ? À ses pieds gisait un flasque brisé que Fayne reconnut comme l'une de ses potions énergisantes. Elle avait dû l'utilisé en dernier recourt. Et encore là, ce n'était pas un miracle. Ces effets étaient limités.

La Litfow hésita, mais décida de désobéir. Buhrik fut celui qui l'arrêta en barrant son chemin de sa queue, se tenant à trois pattes, son expression dure.

— Elle a besoin de renfort, insista l'herboriste.

— Et Ella et Teriondil s'en chargeront, grogna le dragon bleu. Je suis blessé et tu joues un rôle crucial de support. Ne te fourre pas en pleins combat ! Ne répète pas les bêtises d'Azéna !

La Litfow sentit ses joues surchauffées de honte. Elle prit ses distances, guidés doucement par Buhrik, en témoignant sous ses yeux le dragonnier noir qui s'abattit sur Arièlla. Il brandit son arme au-dessus de sa tête, feignant une attaque qui atteindrait sa cible en hauteur. Au dernier instant, il se pencha sur le côté avec fluidité en faisait un moulinet, réajustant l'angle de son épée. Il trancha à l'horizontale et réussit à bien écorcher Arièlla à la cuisse droite. Heureusement, son armure empêcha la lame de mordre trop profondément.

La blonde grimaça horriblement, ne s'accorda pas de répit. Elle lâcha sa massue, eut un mouvement sec des bras. Ses veines se mirent à briller comme si de la lave vivante les traversaient. Elle hurla, ses muscles tendus et tremblants, relâchant toute sa rage dans sa prochaine action. Simultanément, de ses poings jaillirent des gigantesques flammes qui heurtèrent son adversaire d'une fournaise infernale.

Le dragonnier se laissa tomber sur un genou et leva son bouclier devant lui, se protégeant du déluge de feu. Sa dragonne en fut distraite et tenta de venir à son aide, mais la puissante Harath la cloua au sol d'un bond et lui mordit vicieusement le cou. Tel une aiguille prise au piège, elle se tortilla dans tout les sens, griffant follement, arrachant des écailles cramoisies et parfois, des morceaux de chair. Le sang des deux dragons se mêlèrent et ruisselaient de multiples blessures. Cette scène était d'une telle brutalité que Fayne ne put faire autrement que de détourner le regard.

Teriondil et Ella s'avancèrent pour se joindre au combat. Au même moment, ils furent enveloppés d'un nuage d'ombre. Seules les veines d'Arièlla et la monstrueuse traînée de feu arrivaient à percer le voile de noirceur.

Fayne et Buhrik restèrent à une bonne distance de l'action. Quoique faible, le dragon bleu s'était mit entre sa dragonnière et le danger, prêt à agir en tant que bouclier. La brunette ne l'empêcha pas, sachant qu'une vie séparer de son dragonnier n'était que misère pour un dragon.

Elle ne comprit pas vraiment ce qui se passait, n'y voyant rien sauf les veines fluorescentes d'Arièlla. Ses mouvements n'étaient pas aussi fluides qu'avant dû à sa blessure à la cuisse, mais elle avait le support d'Ella et de Teriondil et cela semblait être plus qu'assez pour neutraliser les ennemis.

Pendant un long moment, les sons qui émergeait d'une lutte vicieuse brisait le peu de sérénité offert à cet endroit isolé du reste du carnage. De tout le chahut, un cri de frustration se distingua du reste. Fayne le reconnu, mais elle n'y croyait pas. Elle attendit pour une confirmation de ces soupçons, mais elle n'en eut pas la grâce.

Lorsque l'ombre se dissipa enfin, la scène fut révélée. Arièlla et Harath étaient en train de récupérer des forces. La dragonne rouge était assise et respirait fortement de la bouche tandis que sa partenaire se tenait debout en s'appuyant sur le manche de sa morgenstern qui touchait au sol. Elle fixait sévèrement le dragonnier noir qui était ligoté par des lianes maintenues par Teriondil. C'était pareil pour la dragonne sombre, capturée par Ella.

— Enlevez-lui son heaume que je lui parle face à face à ce traître ! ordonna sèchement la blonde.

— Non ! protesta l'inconnu qui en fait n'était pas du tout un inconnu. Elle n'a pas besoin de savoir...

Étrangement, son ton de voix était plus sincère, plus naturel que l'homme que Fayne connaissait si bien. Elle ne l'avait jamais connu ainsi. Elle comprenait entièrement pourquoi il ne désirait pas qu'on révèle son identité avec elle dans le portrait. Elle détourna les yeux le temps de se préparer au choc émotionnel.

Elle étendit le cliquetis de métal qui s'était fait soulever et déposer ailleurs. Ça y est. Son visage était dévoilé.

Et ce qu'elle aperçu vint quand-même lui déchirer le cœur. Là, étendu de tout son long dans un mélange de boue et de neige fondu, était Sérus Kindirah, l'aîné de la famille adoptive d'Azéna.

Son bouclier avait été partiellement fondu, tordant la forme autrefois si noble. Sa cape était déchirée vers le bas et son armure cabossée. L'homme de vingt ans, à la chevelure corbeau en bataille et au visage anguleux, fronçait les sourcils et semblait contrarié. À côté de lui, Teriondil l'observait d'un air d'agneau comme s'il ne pouvait pas se mettre à l'évidence qu'il était un ennemi. En face de lui, Arièlla lui accordait une attention digne d'une pyromancienne, soit fondé par la colère et la vivacité d'esprit. Un peu plus et ses yeux bleu vif, identiques à ceux d'Azéna, l'aurait tué. D'ailleurs, elle portait pratiquement la même expression que sa grande sœur lorsqu'elle était en rogne contre lui. Elle lui ressemblait beaucoup en ce moment.

— Tu es sa sœur, devina Sérus en gardant son calme.

Entendre la voix de son ancien, de son tout premier béguin, gêna Fayne qui sentit le battement de son cœur accélérer. Plus il vieillissait, plus il était beau, mais cela ne faisait pas de lui un partenaire adéquat. Elle ne réalisait à présent. Elle entrelaça ses doigts et les apporta prêt de sa poitrine dans une tentative de réconfort qui fonctionna plus ou moins.

— À quoi joues-tu, sale renégat ? cracha la blonde qui appliqua un peu de pression sur son arme qui s'enfonça légèrement dans la terre.

Elle ne lui accorda pas le plaisir de la civilité. Elle ne cachait nullement ses émotions ardentes, gardant sa mâchoire serrée et sa tonalité agressive. Par conséquent, ses veines avaient repris une teinte normale.

— Azéna, dit le Kindirah. Tu es sa sœur, pas vrai ? Je peux le voir dans ton visage. Tu lui ressembles.

— C'est précisément d'elle qu'on va parler, sale vermine ! vociféra la guerrière de feu qui se mit à marcher, quoiqu'avec difficulté, mais en retenant toute sa fierté, autour du captif. Tu as prêté serment et tu oses portes la Lame Sombre sur ton dos. Ensuite tu essai de t'en prendre à l'une des tiennes pour l'emmener à l'ennemi. Tu sais ce que je juge qui dois être fait aux renégats comme toi ? L'exécution ! termina-t-elle en heurtant le sol du bout sa massue, à quelques centimètres du visage de son interlocuteur.

— Elle était l'une des miennes, dit tranquillement Sérus d'une voix presque nostalgique.

— Parles et peut-être que je t'épargnerais, mais dépêches-toi. Ma patience est presque écoulée.

— Coopères Sérus ! couina Fayne.

Arièlla se vira vers l'herboriste, une expression de confusion au visage.

— Tu connais ce bâtard ?

La Litfow hésita, trop choquée pour répliquer. Elle ne voulait pas s'associer à un ennemi, mais d'un autre sens, elle ne désirait pas mentir.

— Laisses-là tranquille, requêta Sérus. Je vais discuter avec toi si tel est ton désir.

Le regard d'Arièlla vacilla entre les deux Daigorniens à quelques reprises avant de se s'arrêter. Elle poussa ronchonnement, sembla se détendre quelque peu et enfin, elle acquiesça.

— J'ai deux questions : qui es-tu et comment as-tu aboutis ici à essayer de capture Azéna ?

Derrière eux, la dragonne noire feulait en lacérant le sol de ses griffes, incapables de se défaire de l'emprise d'Ella. D'une trace de dentures sur son cou s'écoulait doucement du sang sombre. Harath avait été clémente ; elle aurait pu causer plus de dommage. La blessure était n'était tout-de-même pas négligeable, mais elle ne mettait pas la femelle en danger. Pour la faire taire, Harath posa sa patte sur son museau et la menaça d'un grognement sourd.

— Tout va bien aller, lui rassura Sérus.

La dragonne siffla, et tourna sa longue tête triangulaire dans une expression boudeuse.

— Milles pardons, pria le dragonnier noir. Elle s'inquiète et elle est blessée... Serait-il possible de...

— Non, coupa Arièlla. Il n'est pas question que notre guérisseuse s'approche de vous. Harath... pourrais-tu arrêter le saignement avec ton souffle ?

Le béhémot au regard de lave émit un petit grognement amusé. Elle ouvrit la gueule et dans les profondeurs de l'ouverture dentelée, une lueur se forma.

— Doucement, précisa la blonde.

Sa partenaire, mécontente, plissa les yeux, réduit l'intensité de son souffle naissant et procéda à cautériser la plaie sur le cou de sa prisonnière. Cette dernière se tortilla, mais elle ne gémit pas, sûrement trop fière pour se le permettre. Harath garda sa patte massive sur son museau pour l'empêcher de trop gigoter.

Fayne grinça les dents, détestant ces scènes horrifiques. Elle aurait cent fois préféré s'occuper de la blessure elle-même, mais elle savait qu'Arièlla avait raison de s'avérer prudente.

— Détourne tes yeux, ordonna Arièlla à Sérus qui fixait la scène. Ton attention devrait être posé sur moi.

Elle tentait de montrer forte, mais elle ne pouvait contrôler les spasmes de ses muscles exténués. Aussi, sa cuisse avait été couper moyennement profondément par l'épée de son captif. Elle ignorait l'écoulement de la plaie, mais elle avait besoin de sa massue comme support. Des cernes commençaient à se former sous ses yeux. Un autre combat serait du suicide et pourtant, elle continuait à démontrer de l'agressivité.

Fayne n'osa pas lui partager sa recommandation de traiter sa jambe. Elle préféra la laisser terminer sa discussion avec Sérus. Elle grimaçait alors qu'elle songeait aux informations qui allaient probablement être divulgués.

— Je m'appelle Sérus Kindirah, né dans la famille suzeraine de Daigorn, informa le captif.

Il fit une pause, sûrement le temps de laisser Arièlla, les yeux écarquillés, absorber le choc.

— Je suis venu pour escorter ma sœur à mon chef qui a promis sa sécurité et son bien-être, continua-t-il avec une pointe de passion qui trahissait la douceur de sa tonalité. Je suis amplement désolé pour l'attaque. Je ne savais pas qui vous étiez. Pouvez-vous s'il vous plaît...

L'avatar de feu libéra sa morgenstern en empoignant le pommeau de deux mains et elle donna un coup vers le bas, l'enfonçant un peu plus dans le sol. L'agression soudaine fit taire le Kindirah, mais il resta impassible.

— Hé bien je suis sa sœur biologique et, moi aussi, je juge que j'ai la meilleure solution pour la sureté d'Azéna, déclara-t-elle impérieusement. En fin de compte, elle pourra décider ce qu'elle veut faire. Je lui ferrais par de ta... visite... et de ta... proposition. Tu n'es qu'un traître et je doute qu'elle accepterait de te suivre, particulièrement après toute l'abus que tu lui as causé dans votre jeunesse. Quel frère tu faisais... C'est dégoutant ! À présent, retourne à ton maître avant que je me décide à te punir pour toute la souffrance que tu lui as fait subir.

— Je vois bien que c'est peine perdu. Très bien. Je vous laisse lui en parler.

— Tu aurais dû entretenir une meilleure relation avec elle.

— Ce n'est pas si simple.

Arièlla fit signe à Teriondil et à Ella de laisser leurs captifs partir. Les lianes serpentèrent dans le sol, d'où elles étaient apparues.

— Oh que si ce l'est, s'obstina la Valkirel, la tête haute malgré qu'elle utilisait toujours sa morgenstern pour se tenir debout.

Sérus examina la plaie de sa dragonne qui avait bien été cautérisé, laissant une vilaine marque de brûlure sur la chair où les écailles n'allait probablement pas repoussés. Il lui fit signe d'accepter la situation sans faire de scène. Elle accepta, clairement à contrecœur, montrant les crocs.

Sous le regard attentif d'Arièlla et des autres, ils passèrent devant Fayne et Buhrik.

— Je suis désolé de vous avoir cacher mon secret, souffla-t-elle à la brunette. C'était une affaire complexe. Un dragonnier qui refuse de se soumettre à l'autorité des Guerriers d'Aerinda. Je m'attendais à te trouver toi ou Azéna et de possiblement ne pas être bien reçu. J'accepte la défaite. Azéna à trouver sa véritable famille, comme elle l'avait toujours rêvé. Je suis content pour elle.

Le cœur de Fayne se serra dans sa poitrine et elle ne trouva pas la force de lui répondre. Tout faisait du sens à présent. Ces absences douteuses et cette attitude exécrable. En plus de son titre d'héritier de Daigorn, il devait porter le lourd fardeau d'être un dragonnier rebelle donc, menacé d'exécution par les Gardiens d'Aerinda et du Haut Roi lui-même. Est-ce que Bayrne savait ?

Alors qu'il grimpa à la salle de sa dragonne et qu'elle ouvrit lentement les ailes, elle retrouva la voix.

— C'était toi ! Le mystérieux dragonnier noir qui nous surveillait ouvertement, mais qui rejetait toute interaction avec nous.

Sérus lui sourit tout simplement.

— Allez ! rugit Harath en fouettant l'air avec sa queue.

Avec peine et misère, la dragonne noire réussit à prendre son essor. Elle et son cavalier fondirent au tableau d'encre qu'était le firmament.

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