41 - L'épée qui l'honore

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8e jour de la saison du sapin 2450

Une silhouette svelte, mais tout-de-même solide, fondait dans l'ombre projeté par la fortification titanesque qu'était l'académie d'Archlan. Elle n'était qu'un insecte à ses pieds et il y vivait, comme des centaines d'autres. C'était tout un honneur d'être accepté dans cet établissement. Enfin, c'était l'image reflété à la surface.

Idéalement, les Gardiens d'Aerinda demeureraient neutres dans n'importe quelle situation, priorisant le maintien de l'équilibre des éléments qui circulent dans les veines des landes et qui est essentiel au bon fonctionnement du monde. C'était ainsi originalement. Mais une telle source de pouvoir ne pouvait pas s'échapper de la corruption indéfiniment. Il était trop tentant d'en abuser.

Les méthodes douces ne fournissaient pas. Il était temps de déraciné l'infection de force.

Reaginn n'était pas épuisé pour la première fois depuis longtemps. Il passait la plupart de son temps, particulièrement récemment, à remplir différents rôles pour des différentes autorités. Son sommeil en souffrait habituellement.

La soirée d'avant, il avait été dans l'obligation de bien se reposer. C'était ce qu'on lui avait ordonné. Durant sa patrouille de cette soirée-là, il avait reçu le signal qu'il attendait. À l'horizon, deux traînées de poudres s'étaient élevées vers la voûte célestielle comme des colonnes : une argentée, l'autre violette. Les autres gardes s'étaient questionnés à ce sujet et il avait fait mine de partager leur confusion. Il avait saisi la signification et il allait devoir en informé les autres.

Pour le moment, il gardait un œil sur Azéna et Nixie-Elle qui pratiquaient le maniement de flèches enchantées par des runes de liaison. Étant un aéromancien lui-même, il les admirait de loin. Ce n'était pas tous les jours qu'on voyait un individu manier un élément avec une telle maîtrise et encore moins, l'adapté à une arme. Nixie-Elle était un prodige exceptionnel, maîtresse de son art dès le premier jour. Azéna, par conséquent, était un peu girouette de nature et devait bucher pour obtenir les compétences nécessaires pour tenir tête à sa garde du corps. Les deux cas étaient admirables, en son opinion. Il savait que cette petite archère était spéciale ; il l'avait ressenti durant leur séjour en Illustra il y avait deux ans de cela. Il y avait beaucoup du potentiel d'enfouis en elle et ce n'était pas qu'en cause de son lien avec Turion et de Tyrath. Oh que non. Elle-même comme personne, était déterminé et contrairement à biens d'autres, elle savait persévérer même lorsqu'elle était abattue.

Cela faisait des heures qu'elle tentait de satisfaire Nixie-Elle en vain. Sa technique n'était jamais assez bonne. Même d'où il était, Reaginn pouvait voir ses mains trembler, menaçant de forcer un arrêt de l'entraînement. Elle râla, jurant des atrocités alors qu'elle récupérait les cinq flèches fichées à un arbre percé de petits trous en forme de spirale.

Tu peux y arriver, encouragea le maître en silence.

Elle rata encore son tir. Cette-fois la flèche n'atteint même pas sa cible. Elle devait trop être exténuée. Elle échangea quelques paroles avec Nixie-Elle et elles s'installèrent sur une roche.

Pendant longtemps, elles bavardèrent tout simplement. Reaginn n'entendait que des sons vagues et lointains. Il ne pouvait pas comprendre ce qu'elles racontaient. Il attendit patiemment.

Enfin, deux présences approchèrent, brisant la conversation. C'était Naëshirie et Teriondil qui apportaient des offrandes : des biscuits au centre de caramel fondant, sûrement encore frais du four. Ils traînèrent là pendant une quinzaine de minutes et partirent à la suite de Nixie-Elle qui avait chuchoté à l'oreille de la géomancienne.

Reaginn se doutait bien de ce qu'elles s'étaient partagées. Ses traits durcirent, mais sans plus.

Azéna et Nixie-Elle se remirent à l'entraînement. Après quelques essais, l'assassin fut enfin satisfaite de son élève. En effet, l'archère avait générer tant de force que l'arbre avait subi la décapitation. Sa cime, soit les branches et feuilles, s'écrasa lourdement au sol.

— WHOOO ! beugla Azéna, incapable de contenir son excitation.

Le maître sourit, fier de l'apprentie.

Le deuxième soleil allait bientôt rejoindre son frère, laissant place à la lune. Il était temps. Reaginn couvrit sa tête de son capuchon lourd, dissimulant la majorité de ses traits faciaux sous une couverture sombre. Il jeta un dernier coup d'œil en direction des apprentis et se dirigea vers l'une des entrées secrètes de l'académie qui apportait directement au Donjon.

De là, il monta le corridor humide et mal illuminé qui menait au rez-de-chaussée. Il prit deux tournants et se retrouva à sa chambre. Il y avait un immense lit en son centre, mais l'aéromancien dormait sur le sofa. Il ne supportait pas le lit car celui-ci lui apportait des souvenirs douloureux. Son regard traîna, sachant qu'il ne le reverrait probablement jamais.

Il procéda à se changer, se revêtissent de son habit de combat, soit un ensemble léger de cuir clouté. Il enveloppa le tout d'un large manteau sombre munie d'un capuchon. Il défit sa queue-de-cheval ébène pour la refaire plus solidement. Il dissimula plusieurs dagues un peu partout, incluant dans ses manches, dans ses bottes et au niveau du torse. La moitié d'entre elles avaient été trempé dans du poison de divers types.

Il se rendit au coin du fond et y poussa agressivement une lourde étagère. Il ne prit pas attention à sa technique et le meuble tomba à la renverse, endommageant le lit. Des tas de livres, de potions, d'herbes, de petites armes et d'accessoires reliés à son métier s'étalèrent un peu partout. Un coffre de métal fut révélé. Il le fouilla et mit tout à l'envers comme un vulgaire voleur de rues. Le temps pressait trop.

Il dénicha ce qu'il cherchait le plus : une clé dont le panneton était en forme étrangement triangulaire ainsi qu'une serrure ovale, tous les deux marquées de runes, qu'il pouvait tenir dans sa paume. Il fourra les objets profondément dans l'une des poches de son manteau.

Il était prêt. Il espérait que les autres le soient aussi.

Aussitôt fût-il sorti de la salle, il se sentit observé. Il fit mine de rien, ne désirant pas attirer plus d'attention sur lui et emprunta le même chemin au retour, procédant avec autant de hâte qu'une cadence décontracté le lui permit.

Une fois dans les confins du Donjon, il changea sa démarche. Il s'élança, virant des coins aussi rapidement que possible, en espérant se faire perdre de vue ou en provoquant l'intru. Il passa dans l'étroit corridor et devant les quelques prisons vides. L'air humide était lourd comme à son habitude. Pour n'importe qui, ça aurait déranger, mais pas lui. C'était son domaine, son endroit de réconfort. Son seul où il arrivait à ne pas remémorer son passé lugubre. Il entendait les membres de son escouade en discuter dans son dos. Ils se questionnaient à son sujet ce qui était bien normal. Il ne blâmait pas la curiosité, mais ils ne pouvaient pas tout savoir. C'était autant une question de privé, de sécurité et de principes.

Le bruit de ses pas furtifs qui éclaboussaient dans les flaques d'eau ici et là dénonça sa présence à une bande de rats qui s'éparpilla lorsqu'il approcha de l'armurerie. Il n'y voyait que peu, n'ayant pas allumé les torches accrochées aux murs. Par conséquent, la plupart des autres races humanoïdes à part des humains possédaient une nettement meilleure vision de nuit. Il était probablement en train de s'handicapé sur cela, mais il connaissait bien cet endroit. Ça allait aller. Et puis, il n'avait pas le temps à perdre.

Il s'immobilisa et écouta. Rien. Soit l'individu n'avait pas suivi ou il se faisait discret. Il s'assura que les dagues cachées dans chacune de ses manches étaient presque visibles, le plus à portée possible. Il empoigna à la presse une épée courte qu'il suspendu à sa ceinture ainsi qu'un arc et un carquois à son dos.

Il ne permit même pas un dernier coup d'œil aux alentours, question de nostalgie. Il allait se souvenir des rares bons souvenirs, et des nombreux mauvais. Il s'était souvent convaincu qu'il aimait discipliner les apprentis, que c'était pour leur bien et celui d'Aerinda qui avait grandement besoin de bons gardiens, mais il y avait toujours une facette sombre à tout ça. Il détestait contribuer à une organisation qui avait perdu sa voie et aussi, il gardait son esprit préoccupé, parfois même à en aboutir au point d'abuser de son pouvoir pour extérioriser sa rage vindicative. Il se sentait toujours mal à ce propos. Il n'était pas parfait, mais au moins, c'était terminé tout ça. Son escouade n'allait pas comprendre. Honnêtement, il espérait ne pas les croiser.

Il serra la mâchoire et se dirigea vers la sortie.

Plus jamais. Plus jamais n'allait-il mettre les pieds ici.

De retour à l'extérieur, il se dirigea vers la muraille qui entourait la cité dans son ensemble. Celle-ci faisait plusieurs mètres et ne laissaient pas même un wyrm y entrer à pieds. Y accédé n'était que possible par les portes, par magie ou par voie aérienne.

Le deuxième soleil touchait à l'horizon. Sa luminosité donnait une lueur dorée à tout ce qu'elle touchait. La lune, aussi gracieuse qu'une émeraude, était presque prête pour réclamer la dominance totale des cieux. Il était presque temps.

Reaginn se rendit au coin ouest de la muraille. Comme prévu, il n'y avait aucune surveillance à cet endroit. Ce n'était pas supposé être le cas. Du côté est, Eldarytzan Valkirel avait causé une distraction en construisant un faux élémental d'eau grâce à son hydromancie exceptionnelle. D'ailleurs, le rôdeur pouvait entendre le vacarme ascendant de là. Quelques dragonniers s'y rendaient avec hâte.

C'était le moment d'entamer la première phase du plan.

Il était seul et ainsi, possédait un minimum de défense, mais Sèvia n'allait pas tarder à le rejoindre. Elle était tout simplement partie vérifier que les loyalistes de Sombrelame étaient prêts eux aussi. Il n'avait pas le luxe d'attendre pour cette confirmation.

Il plongea sa main dans la poche profonde de son manteau qui dissimulait son armure et y empoigna la clé et la serrure. Il enligna les deux objets et juste avant qu'il puisse activer le mécanisme enchanté, une bouffée d'air le secoua. Son habit dansa à ce rythme. C'était comme si un dragon venait de passer au-dessus de lui. Il s'immobilisa et leva le regard.

Il s'attendait à voir Sèvia, mais c'était un tout autre individu. Ce-dernier maintenait son altitude à quelques mètres du sol, le fusillant de ses prunelles vertes dominées par une lueur suggérant la folie. Ces écailles ébènes et gluantes, ces cornes entortillées sur elles-mêmes, ce physique émacié... C'était Söljyh, le partenaire du défunt Vyrius. Il avait fui lors de la chute de l'elfe pour ne plus être revu. Reaginn avait assumé qu'il était eu perdu ses esprits et était éventuellement tombé lui aussi. Apparemment, il avait eu partiellement tort. Le dragon noir affichait cette expression de folie, ses traits tordues et ses crocs dévoilés.

Ce n'était pas bon. Le dragonnier dégaina son épée d'une main et de l'autre, il se prépara à invoquer les pouvoirs du puissant vent.

— Söljyh, appela-t-il doucement dans une tentative de calmer la créature dérangée.

Le dragon renâcla et souffla de ses narines avec irritation.

— C'est... DE TA FAUTE ! Et tu vas enfin PAYER !

Il plongea sur l'homme, toutes griffes dehors. Ses mouvements étaient rigides et tremblants comme si son corps n'avait pas l'énergie pour délivrer. Cela avantagea Reaginn qui roula vers l'avant, laissant le dragon labourer le sol à sa place. Ce dernier fit un faux mouvement en tentant de retrouver son équilibre et tomba à la renverse.

— Tu m'avais promis... PROMIS ! tonna-t-il en soulevant son corps affaiblit par une claire malnutrition.

Certes, les dragons noirs étaient naturellement dangereusement maigres, mais Söljyh l'étaient davantage. Pendant tout ce temps écoulé depuis la mort de Vyrius, il avait dû se négliger, se laisser ensevelir par ses émotions sombres. C'était une bien rude épreuve que devait faire face la plupart des dragons qui perdaient leur partenaire et la plupart d'entre eux ne le supportaient pas, le lien qui les attachaient étant trop importants.

Reaginn aurait pu porter un coup fatal. Il connaissait bien l'anatomie de toutes les vols draconiques et la noire ne faisait pas exception. Et Söljyh était lent, affaiblit. C'était que du suicide de se battre dans sa condition. Il ne survivait que pour se venger.

Bien que l'opportunité se présentait amplement, le rôdeur hésita momentanément. Il serra la poigne sur son épée, se concentra à la tâche et s'élança avant qu'il ne soit trop tard, ignorant ses sentiments qui lui suppliaient du contraire.

Entretemps, des souvenirs défilèrent dans son esprit. Dès son arrivée à l'académie, il avait éprouvé de l'empathie pour l'elfe à l'esprit ainsi qu'au physique abattu. Il avait reconnu un âme sœur en lui au travers dans leur douleur et s'y était attaché rapidement. Tout comme lui, l'elfe était un être qui avait été brisé. Par conséquent, sa condition avait durée depuis bien plus longtemps et s'était aggravée. Il était sur le point de perdre le contrôle et c'était son vaillant dragon, à court d'idées, qui lui avait fait la requête de l'aider.

— Promets-moi, murmura la voix caverneuse du Söljyh du passé.

Ils avaient pu y remédier temporairement, mais Vyrius faisait des rechutes de temps à autre. Il apeurait des apprenties à la chevelure argentée, les traitant parfois comme si elles étaient quelqu'un d'autre. À multiple reprises, Reaginn avait calmé l'esprit de son compagnon instable. Il le devait, pour la sureté des autres. Certes, il aurait pu dénoncer le problème à Terenas, mais cela aurait signifier signer l'arrêt de mort de l'elfe et il n'en était pas capable. Il se voyait au travers de lui : une âme déchirée par des évènements malheureux. Il avait réussi à s'aider et il désirait essayer pour Vyrius aussi.

Malheureusement, la sévérité de la condition mentale du dragonnier noir était bien plus ancrée qu'avait été la sienne. À une occasion, il avait failli manquer à son devoir. Il avait été distrait par une autre âme sœur, cette-fois romantique.

— Promets-moi, murmura la voix caverneuse du Söljyh du passé.

Laissé à rôder les corridors de l'académie par lui-même, la résolution de Vyrius défaillait petit à petit à chaque fois qu'une fille, mineure ou majeure, à la chevelure argentée croisait son regard. Et une triste nuit, son cœur ralentit dangereusement et son partenaire écaillé le sentit. On le retrouva dans une salle de bain, écrouler sur les tuiles humides et sous le regard sévère des statues draconiques dans une flaque de son propre sang.

Il fut sauvé, mais la rage du dragon aux yeux émeraude submergea le rôdeur de culpabilité.

— Promets-moi, murmura la voix caverneuse du Söljyh du passé.

Reaginn sentit son cœur sauté un battement et une boule se formé dans sa gorge, obstruant partiellement cette-dernière. C'était terminé. Il allait enfin atténuer les souffrances de Vyrius ainsi que de Söljyh. Ce n'était pas la fin dont il avait espéré, mais c'était mieux que de les laisser se soumettre à la démence.

Il bondit, agrippa la manche de son épée à deux mains et pointa la lame de sorte qu'elle allait se glisser entre les écailles gluantes pour atteindre une artère majeure. Le dragon ne prit pas conscience de sa situation périlleuse. Il rugit de toute sa force, envoyant des ondes auditives violentes.

Le crâne de l'assassin fut malmené sous la pression, le forçant à laisser tomber son arme et protéger ses oreilles. Il s'écrasa brutalement contre le cou épais du dragon et l'épée rebondit au loin. Son adversaire se tût et s'apprêta à l'empaler de ses griffes. Trop lent. L'homme roula sur le côté, esquiva et prit ses distances. Son équilibre avait été affecté. Il tituba en se levant et trouva enfin une position stable. Une horrible migraine l'affligeait toujours, mais il osa libérer ses mains pour dégainer une dague de ses bottes.

— Söljyh... Je n'avais pas le choix... Tu savais qu'il était mal en point et que ce n'était qu'une question de temps.

Le dragon siffla et ses pupilles se contractèrent comme si les paroles qui lui avaient été adressées étaient du poison.

— Söljyh..., insista Reaginn d'une tonalité douce.

Une silhouette costaud, aux épaules larges et dont le front était muni d'une paire de ramures se manifesta à côté de la créature ailée. En premier temps, le rôdeur crut identifier Erurawin le Pestilent, mais il se rendit vite compte de son erreur. Là, se trouvait son fils : Umah.

Il n'était honnêtement pas certain de la loyauté du jeune chaman : soit du côté des Guerriers d'Aerinda ou de la Légion Ancestrale, quoique cette dernière était la plus probable. Quoi qu'il en soit, le regard qu'il portait ne laissait pas bon présage. Il lui donnait le pressentiment d'un meurtrier sans pitié.

Son développement prématuré n'avait cessé depuis le jour où il avait mis les pieds à l'académie. Il avait toujours paru plus vieux que son âge, mais à ce moment, il toisait le maître de ses 190 centimètres, son corps était mature, musclé et robuste et la moitié de son visage était couvert d'une épaisse et longue barbe verte qu'on ne verrait certainement pas chez un adolescent d'à peine dix-sept ans.

Il poussa un grognement animalesque. Il sembla que pendant un moment, Söljyh était sur le point de se recroqueviller. Cela ne durera pas ; la folie reprit le dessus de ses priorités et il révéla ses crocs.

Là devant Reaginn se trouvait deux êtres plus animaux que saints d'esprit. Il jeta un coup d'œil furtif à son épée, mais il n'osa pas aller la récupérer. Il allait devoir être prudent et efficace. Son temps était presque écoulé. Il devait activer le portail.

Söljyh s'avança un peu, au désagrément évident d'Umah qui lui fit signe de ne pas bouger.

— Le dragonneau du chef du Grand Totem te surveillait comme tu le faisais avec Vyrius, siffla le dragon avec malice. D'ailleurs, c'est lui qui a convoqué le Gok'Mok qui a assassiné cet idiot de sage orgueilleux. Ça n'a pas pris grand-chose pour le faire basculer en fin de compte. Cette stupide organisation... Ils pensent qu'ils peuvent contrôler la grandiosité qu'est dragon et dragonnier. Ils sont chanceux le géniteur de ce petit a pris le dessus après cet incident. Il est insensé et désirait tout simplement observer en silence. Moi, j'aurai détruit les Guerriers en commençait par toutes leurs figures d'autorités, chamboulant l'ordres des choses. Mais Erurawin... M'enfin... Il a beaucoup appris à son dragonneau en peu de temps. Tu as vu comment son cheminement se manifeste dans son physique ?

Reaginn connecta les points aisément : Söljyh s'était rendu à Erurawin et avait sûrement forgé une entente avec lui et ses sbires pour rendre sa vengeance. Il était impossible de le raisonner, mais il pouvait lui faire perdre du temps, en espérant que Sèvia arrive bientôt. D'ailleurs, où était la partenaire d'Umah, Yuzia ?

— Où veux-tu en venir Söljyh ?

Umah grogna et lança un regard meurtrier en direction du dragon qui l'ignora pour continuer son discours.

— Tu as décidé de l'heure de Vyrius. Tu l'as jeté comme s'il était une maladie infectieuse dont il fallait éradiquer. Je vais t'accorder le même traitement !

Umah posa une main sur le flanc du dragon et le fixa droit dans les yeux. Il n'émettait aucune peur.

— Nous ne sommes pas supposés mettre nos vies en danger, seulement d'empêcher le portail d'ouvrir. Mon père a ordonné...

— On s'en fout de cet idiot d'elfe ! rugit son interlocuteur. J'en ais assez ! J'ai attendu assez longtemps ! J'exiges ma vengeance ! Si je peux le tuer lui, je pourrai enfin entreprendre mon voyage final... À l'ossuaire des dragons et me laissé guider par les divinités vers, je l'espère, les constellations.

L'ossuaire des dragons était un endroit légendaire en les Landes Grises où peu, sinon aucun Aerindien s'était rendu. C'était là où les dragons, sauvages ou non, qui sentaient leur fin approcher se rendaient pour mourir. En gros, c'était un cimetière sans tombes et rien que des os. On racontait que c'était là où les âmes des dragons se rapprochaient des divinités.

C'était comme Reaginn suspectait. Söljyh n'avait aucune envie de vivre. Il ne désirait que le tuer et aller à la rencontre de ses parents tout-puissants. C'était un bien triste spectacle, mais c'était sincère. Et pas que de son côté. De celui d'Umah aussi... Il avait espéré qu'après tout ce que son père lui avait fait subir l'an passé, qu'il aurait su trouver la force de résister à sa corruption. Il s'était décidément trompé.

Le combat contre le faux élément d'eau faisait toujours rage de l'autre côté d'Atgoren, mais Eldarytzan ne pouvait sûrement plus les retenir pour longtemps. La conservation d'un faux élémentaire était grandement exigeante.

L'aéromancien fut pris d'une anxiété soudaine : est-ce que la jeune Fayne était saine et sauve ? Certes, elle s'engageait rarement à communiquer avec Umah, mais elle s'inquiétait pour lui. Est-ce qu'il aurait profité de cette faiblesse pour une raison quelconque ? Le rôdeur n'avait pas le temps de s'en faire. Il faisait face à une situation délicate et il avait un rôle important à remplir. De toute façon, l'herboriste était souvent entourée de ses amis et l'elfe ne semblait éprouver aucun intérêt à son égard. Elle devait aller bien.

Il était peut-être sur le point de trahir les Guerriers d'Aerinda, mais la plupart de ses membres en étaient innocents, pensant qu'ils faisaient partie d'une organisation noble. C'était dommage, du gâchis, mais il fallait que ça soit fait.

Il leva le regard vers la voûte céleste. La lune dominait presque entièrement. Sa lueur verdâtre reflétait sur toutes les surfaces et illuminait doucement les environs. C'était réellement d'une toute beauté. Le rôdeur sentit une vague de chaleur apaisante lui travers le corps alors qu'il savoura le sentiment de connexion qu'il éprouvait face à cet astre mystérieux. Et en cela, il alluma une source encore plus grande de détermination à faire ce qu'il devait.

— Assez de bavardage, dit Umah qui avait sûrement lui aussi une mission à accomplir.

Il fit signe à Söljyh qu'il lui laissait une opportunité pour mettre fin à Reaginn. Le dragon saisit son moment, prit son essor et monta à la hauteur des murailles imposantes. Il entoura le groupe d'un voile d'ombre assez épais pour empêcher la luminosité de la lune de le traverser. Il allait bientôt attaquer.

Reaginn prit une grande inspiration et écouta attentivement. Lorsqu'il entendit le moindre son qui indiquait que son adversaire chargeait sur elle, il invoqua le pouvoir de son élément à son tour. Certes, avec l'absence de Sèvia, il n'avait pas autant de poigne sur son contrôle qu'un dragon, mais il maniait ce qu'il pouvait avec expertise. Il était inutile de se débattre contre l'oppression de l'ombre grandissante alors, opta pour s'emmitoufler d'une sphère de vent.

Dans son impulsivité et sa rage aveuglante, Söljyh s'était précipité trop soudainement. Lorsqu'il rompit la barrière élémentaire, il fut assailli d'une multitude lames venteuses qui atteignirent sa peau à quelques endroits. La douleur se répartie au travers de son corps. Il en fut distrait et avec son état déjà malmené à la base, il vacilla et la patte avec laquelle il ciblait Reaginn ne l'atteint pas. Il eut un rude atterrissage, face première au sol alors que l'aéromancien s'étala sur le dos pour esquiver une épine qui aurait pu lui être mortelle.

Dans une succession de mouvements furtifs et précis, il dégaina une dague cachée dans chaque main et les glissa entre les écailles de la créature sombre, atteignant des vaisseaux sanguins importants. Lorsqu'il les retira, un déluge de liquide chaud se déversa sur lui. Il rangea les armes blanches et se protégea les oreilles de ses mains.

L'inévitable déchirement vocal vint peu de temps plus tard, laissant le rôdeur sonné, le crâne vibrant sous la pression.

Devant l'agonie de son camarade, Umah demeura froid comme une âme aride. C'était comme s'il en était indifférent. Aucun de ses muscles ne le trahit, demeurant parfaitement immobiles. Seul son torse se mouvait doucement au rythme de sa respiration tranquille. Ce genre de comportement rappelaient de celui d'un monstre.

Dans ses moments de faiblesse grandissante, se tortilla dans tout les sens comme s'il avait perdu la raison. Il mordait dans le vide en boucle, à chaque mouvement. À l'un d'eux, il se retourna brusquement vers son assaillant et d'un coup sec, lui empala l'avant-bras de ses crocs. Une fois accroché, il refusa de lâcher prise. Tel un chien avec un os, il secoua la tête vicieusement et empira le dommage.

Reaginn serra les mâchoires pour arrêter un cri. De son bras intact, il poignarda le dragon à la tempe. Ce dernier figea et sa poigne s'affaiblit un peu, mais pas assez pour ouvrir la gueule.

— Les Guerriers d'Aerinda ne peuvent plus continuer ainsi, ronchonna celui-ci d'une voix faible. Ils sont... un miasme sur... ce monde... !

Une lueur rageuse traversa ses prunelles toujours dominées par l'adrénaline.

— Je suis d'accord, agréa le rôdeur avec misère.

Cette affirmation rendit le dragon heureux et il ne put s'empêcher de sourire avec satisfaction.

— Mais pas pour les mêmes raisons que toi, acheva l'homme.

Le sourire s'évanouit du visage ensevelit de sang de la créature ailée. Reaginn laissa la dague là où elle s'était fichée et à l'aide sa main et sa jambe, il créa assez de force pour ouvrir la gueule du mourant.

— Pardon Söljyh, susurra-t-il en regardant le dragon s'écrouler au sol pour y expirer son dernier souffle qui émana un peu d'ombre.

La vivacité des prunelles du défunt toujours ouvertes s'évanouir.

Reaginn s'était sauvé la peau de Söljyh, mais il ne pouvait pas nier qu'il n'était pas en état d'affronter un adversaire tel qu'Umah. Il n'avait aucune chance... Il tomba sur un genou. Sa vie s'écoulait de son bras meurtris. Jamais plus il ne pourrait s'en servir.

Il devait accomplir sa mission. L'elfe sylvain aux traits mi-animal s'approchait à pas lents et lourds comme s'il ne voyait pas l'intérêt de se presser. C'était à l'avantage de Reaginn qui avait récupéré les deux objets runiques de son manteau. Sa main fonctionnelle s'occupera de manier la clé.

Alors qu'il glissa cette dernière dans la serrure enchantée, il murmura ses dernières paroles comme une prière.

— Annamia, qu'importes ce que tu as commis, je te rencontrerais ... au saint du Berceau des âmes... Sèvia, j'espère que tu prendras ta place parmi les étoiles... Tu le mérites... Azéna, tu... tu marcheras le chemine nécessaire... La clé que j'ai laissé tomber... même si tu ne sauras jamais... Grand Turion, guide-là...

Un éclair de lumière l'aveugla. Incapable de se tenir droit plus longtemps, il lâcha prise. Alors qu'il se sentit percuter le sol, il semblait qu'il entendit un rugissement. Un chahut s'en suivit : des sifflements, des grognements, des gémissements... On aurait dit un combat.

Reaginn n'y voyait rien. Ses sens étaient affaiblis. Il avait le tournis. Sa respiration se faisait labourée.

Du coin de sa vision, il réussit à identifier une source de luminosité ovale se formé ainsi que deux silhouettes qui semblaient danser ensembles : l'une bipède et de taille moyenne, l'autre quadrupède, ailée et bien plus vaste.

Il perdit tout sens de ce qui se passait pendant un long moment.

Enfin, on le souleva de terre et on l'emporta vers les cieux. Il le savait car il pouvait sentir l'air frais lui caresser tendrement le visage. Il confondait les battements d'ailes avec ceux de son cœur. Il se croyait plus vivant que jamais, mais il se mourait. L'être qui le portait le tenait près lui comme s'il était un enfant fragile. La vibration constante qui émanait du corps chaud et écaillé réconfortait le rôdeur dans son passage. Il trouva la force d'ouvrir un œil et ce qu'il vit l'émerveilla autant qu'il en fut surpris.

Malgré la saison hivernale, une pluie sauvage martelait Atgoren. Loin au sol, le portail de téléportation se tenait fièrement et un premier guerrier y émergea. Au centre de la majestueuse cape qui virevoltait dans les brises était embroché une épée aux allures sombres. Sombrelame. Les rebelles étaient arrivés.

L'être qui le supportait qu'il devinât comme étant Sèvia poussa un rugissement empli de chagrin. Le nouveau venu posa son regard sur elle et son partenaire et leva son épée afin de les honorer.

Reaginn pouvait partir en paix.

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