3 - Visite au bercail

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17e jour de la saison du soleil 2449 – PDV Azéna

Les apprentis avaient été envoyés à leur région natale pour les vacances d'été qui durait exactement une saison - soit durant la saison du soleil. Certains décidaient de rester à l'académie, le voyage étant trop long pour le peu de temps de répit qu'il leur était accordé, d'autres tout simplement car ils n'avaient plus d'autre endroit où aller. C'était presque le cas pour Azéna qui ne portait pas sa famille adoptive dans son cœur mis à part pour Argent qui résidait maintenant à Elthen et pour Gendrel, son petit frère né quelques saisons après elle et qu'elle considérait un peu comme son jumeau. Il était l'unique raison pour laquelle elle y retournait. Éventuellement, elle n'allait plus avoir ce luxe étant une dragonnière accomplie. Argent lui manquait déjà grandement et son absence lui pesait au cœur. Les lettres qu'elle recevait d'elle n'étaient tout simplement pas suffisante; elles ne comparaient en rien à sa véritable présence. Au moins, elle savait que sa sœur était bien, qu'elle recevait de la tendresse de son nouveau mari, qu'elle avait débuté son entraînement en tant que chevalière ainsi que reine à en devenir et qu'elle était entourée d'amis qu'elle s'était fait durant son voyage au royaume de la Coupe Dorée. Tout cela lui apportait un sourire.

— Dame Azéna, appela une voix féminine provenant de l'autre côté de la porte de la chambre à coucher de l'archère.

La demie-elfe cligna des yeux, encore déshabituer à la présence de servantes. Elle grommela, se dissimulant le visage sous son oreiller comme si cela allait chasser la présence indésirable. Au moins, elle n'avait pas fait de cauchemars cette nuit-là. Pas de Vyrius, tout allait bien.

— Dame Azéna, puis-je entrer? La lumière du jour est déjà bien haute dans le ciel. Il est temps de se lever. Ce n'est pas un comportement digne d'une dame, vous savez.

Elle n'était pas présente pour la plupart de l'année et on la traitait toujours comme si son destin était d'être une noble. Était-ce à ce point difficile d'accepter qu'elle était dragonnière? Qu'elle avait en somme rejeter les demandes de sa famille, de son père? Une pointe de colère s'éveilla en elle, mais elle prit une longue respiration et se calma. Elle libéra son visage de l'emprise de son oreiller pour mieux se faire comprendre:

— Tu peux disposer Ryah. Tu sais, tu n'as pas besoin de te préoccuper de mon horaire de la journée.

— J'ai une lettre pour vous, continua la blonde.

Cette déclaration remplie l'adolescente de curiosité et aussi d'énergie car elle avait déjà une idée de l'identité du l'auteur de ce message.

— Bon d'accord... Je me lève.

Elle arracha la couverture blanche et violette de son corps qui semblait bouger au ralenti. Elle ouvrit lentement la porte et se retrouva face à face avec une jeune demoiselle de quelques années son aîné qui lui offrait un sourire étincelant.

— Bon matin Dame Azéna! s'exclama la servante qui était un peu trop enthousiasme. Si je peux me le permettre, vous devriez prendre un bon bain.

Ryah avait tentée de ne pas paraître insultante, mais ses efforts étaient vains. La pauvre... Elle était si naise, mais c'était innocent.

— J'y vais, ronchonna Azéna en empoignant le parchemin roulé des mains de son interlocutrice.

Habituée à sa vie à l'académie, elle avait développé un amour pour son indépendance. Cela faisait à peine quelques jours depuis son arrivée et elle trouvait le quotidien au château de ses parents écrasant.

— Merci Ryah, dit-elle en lui faisant signe de partir.

La blonde s'inclina légèrement, tourna les talons et disposa, laissant Azéna derrière. L'adolescente soupira, s'observa dans un miroir momentanément et ronchonna. Elle avait piètre allure mis à part sa chevelure argenté qui était comme à son habitude, intacte. Des ronds noirs entouraient ses yeux creusés. On dirait qu'elle n'avait pas dormie depuis des jours, mais c'était tout simplement sa famille qui rongeait son énergie. Être d'héritage noble était tellement lourd; elle ne manquait pas cet environnement. Elle ramassa une tenue décontractée que sa famille considérait comme trop garçonnet et elle se dirigea vers la salle de bain des femmes.

En chemin, elle rencontra une jeune fille aux longs et épais cheveux ébènes et au regard enchanteur. Celle-ci se déplaçait avec grâce et tenait sa tête haute. Elle faisait quelques centimètres de plus que l'archère et portait une élégante robe de teinte framboise. Lorsqu'elle remarqua la demie-elfe, un sourire se dessina sur ses fines lèvres. Leur regard se croisèrent: bleu étincelant et bleu mat.

— Bon matin ma sœur, salua Tria. As-tu bien dormi?

Comme à son habitude, elle avait une langue de vipère, mais plus elle vieillissait, plus elle le faisait avec une attitude passive-agressive pour ne pas se faire remarquer.

— Ouais... Bien que Rendar rend le sommeil plus paisible qu'ici, répliqua Azéna avec autant de sarcasme.

Le langage familier utilisé eut l'effet désiré: l'irritation.

— Qui? lança Tria en retenant maladroitement un grognement.

— Personne, personne.

La cadette de treize ans s'approcha de son aîné et plissa les yeux, inspectant son visage. SI elle espérait trouver une imperfection, elle allait être déçue. Azéna avait héritée de la beauté des elfes et il n'y avait rien qui faisait tâche à son visage aux traits anguleux. Vraiment, elle paraissait farouche tel un magnifique fauve. Il ne lui manquait que du crayon noir qu'elle appliquait normalement avec légèreté aux contours de ses yeux en amandes.

— Fatiguée n'est-ce pas? mentionna Tria en pressant ses lèvres ensembles.

Elle était effectivement en rogne, incapable de trouver ce qu'elle cherchait.

— Un peu, avoua l'archère en posant ses mains sur ses hanches. Maintenant, je dois me rendre aux bains. Excuse-moi.

Elle s'avança d'un pas pressé.

— Attend un instant! s'exclama Tria.

Azéna grimaça, énervée par sa sœur, mais elle s'arrêta tout-de-même et se tourna vers elle.

— Oui?

— Cette lettre... C'est d'Argent?

Elle pinça les lèvres et ses traits se tordirent doucement, la jalousie fuyant son masque fébrile. Elle n'était pas douée à cacher ses émotions, particulièrement pour une noble.

— Effectivement, confirma la demie-elfe avec neutralité.

L'humaine bomba le torse, que cela était voulu ou tout simplement par instinct. Malgré qu'elle fût plus grande et plus large d'épaules, elle demeura inoffensive face à une dragonnière avec deux années d'entraînement.

— Hmmph.

Elle fronça les sourcils et continua son chemin d'un pas lourd et irrégulier, toute trace de gracieuseté disparut.

— Ne grandis pas trop rapidement, lui rappela Azéna alors qu'elle se mit en route vers le bain des femmes.

Elle entreprit de la suivre et de lui ébouriffée la chevelure, provoquant un grognement de sa victime qui continua tout simplement.

— Tu as besoin d'une coupe de cheveux, dit Tria en haussant le ton.

Azéna entreprit de ne pas lui accorder une réponse, sachant que c'était vain. Elle était au courant que sa sœur était prise d'une faible estime d'elle. Après tout, elle avait grandi en étant en compétition constante contre elle et Argent qui étaient toutes les deux plus âgées et donc, plus enclin à attirer l'attention des garçons.

Ce n'est qu'une fois arrivée à la salle de bain qu'elle se sentit étrange comme si son corps essayait de l'avertir d'un changement important. Elle se sentait légèrement gonflée comme si elle avait trop manger, mais elle n'avait rien avalé aujourd'hui.

— Qu'est-ce qui se passe...? ronchonna-t-elle.

Elle se débarrassa de son accoutrement, un morceau à la fois, tout doucement. Premièrement, elle s'occupa de son chandail et remarqua qu'effectivement, son ventre semblait légèrement plus gros que d'habitude. Le deuxième changement qu'elle identifia fut le durcissement de ses mamelons. Elle grimaça, incertaine de quoi faire à ce propos.

« Tu es fertile! C'est le moment de copuler! clama une voix caverneuse qui résonna dans son esprit. »

Pendant un instant, la deuxième entité s'agita et la demie-elfe sentit son corps vibré. Une vague de douleur au ventre la paralysa l'espace d'une seconde. Confuse, elle vira la tête d'un bord à l'autre, priant pour que Turion se calme.

— Pas question qu'on se fasse des bébés! ronchonna-t-elle en se débarrassant de ses culottes puis de ses sous-vêtements.

Effectivement. Elle avait débuté ses périodes; elle était enfin prête à porter des progénitures. L'idée lui déplut et en réponse, ses entrailles se tortillèrent encore une fois, l'envoyant gémir en serrant ses dents. Comment se débarrasse-t-on de cette douleur? Elle n'y connaissait rien à tout cela. Puis, ses yeux s'attardèrent sur l'eau chaude du gigantesque bain. C'était ça! De la chaleur!

Une fois installée nue dans le liquide réconfortant, l'archère lâcha un soupire alors que ses muscles se détendirent. Il n'y avait personne ici sauf elle et Turion s'était retiré, la laissant en paix. C'était parfait.

— Erf... Ça explique l'explosion d'hormones de dernièrement... Bon sang... Je suis condamnée... Comment Fayne fait-elle pour endurer ça?

Elle se lava puis, elle s'accouda contre le rebord, empoigna le parchemin roulé et examina le sceau de cire doré. Malgré les nombreuses fois où elle avait aperçu ce symbole, cette coupe, elle imaginait toujours difficilement Argent associée à cette famille. Argent Lènmar, autrefois Argent Kindirah. Un frisson parcourut l'épine d'Azéna alors qu'elle brisa le sceau avec anticipation.

Chère petite sœur,

Je t'écris encore une fois pour te rassurer: je me porte à merveille. La famille Lènmar me traite avec dignité, respect et parfois, je me surprends à avoir l'impression que je suis égale aux hommes. Kiojar se comporte du mieux qu'il le peut, me laissant la liberté de m'entraîner au maniement de l'épée avec les chevaliers et m'accordant le droit de choisir mon garde du corps. Bien sûr, Bautog a été élu dans ce rôle qu'il désirait avec ferveur. Il le remplit à merveille, telle est sa dédication. Shinko est plutôt du type érudit, mais il a opté pour devenir un chevalier lui aussi. Il est maladroit, mais son équilibre se stabilisa avec le temps. D'un côté opposé, Zril s'est ouvert un bordel qui porte le nom Croc de Velours. C'est tout lui; il dit contribué à l'économie ce qui est techniquement vrai. Son établissement est apparemment... populaire.

J'hésite à t'annoncer ceci car je sais, ce n'est pas ton fort. Honnêtement, j'espère que ce sera mieux que ce que mère m'a décrit. Je me doute et ce n'est pas une option. J'attends mon premier enfant... Voilà. Tu vas devenir une tante et j'aurai espéré que tu viennes nous rendre visite bientôt.

Ta présence me manque ma chère sœur.

Bien à toi,

Argent Lènmar

Azéna était familière avec les amis de la future reine. Cette dernière en parlait si souvent dans ses lettres; elle semblait honnêtement heureuse considérant sa situation ce qui remplissait l'archère de joie.

Une phrase la marqua particulièrement et résonna à multiples reprises dans son esprit: Tu vas devenir une tante... Tu vas devenir une tante... Tu vas devenir une tante...

Elle était effectivement une femme. Le fait que sa sœur allait donner naissance à un enfant faisait d'elle une tante à en devenir. Mais la création d'un être issu d'une alliance politique la fit grimacer. Heureusement, Kiojar semblait être un homme doux. Et si Azéna elle-même venait à désirer un enfant? Elle n'y avait pas songé; c'était impensable. Un mariage devait apporter à l'engendrement, pour préserver la lignée. C'était en sorte, ce qui consumait l'union.

La dragonnière secoua la tête doucement. Elle éprouvait une attirance pour une autre femme donc, un enfant était impossible. C'était considéré une abomination, une impureté. Était-elle en train de se transformer en pécheresse? Elle avait déjà assez commis de péchés, le plus important étant de dénié l'existence du panthéon. Était-ce que les divinités l'avaient pardonnés? Elle n'avait pas été punis semble-t-il, à moins qu'ils lui réservaient une correction à un meilleur temps.

Personne, de ce royaume du moins, ne pouvait savoir qu'elle éprouvait de l'affection pour une autre femme. Les conséquences pourraient être graves, voir fatales. La culture humaine n'était pas celle des elfes sylvains.

Elle posa sa précieuse lettre contre le mur de pierre froid pour la protéger du dommage que pourrait lui infliger l'eau et retourna au réconfort de la chaleur du bain. Elle submergea son corps jusqu'au nez et se laissa flotter dans le liquide. Elle vida son esprit, ne désirant plus songer à de telles pensées négatives. C'était un problème qui était trop grand pour elle. Elle n'y pouvait rien; elle devait tout simplement attendre patiemment de retourner à l'académie.

Mais le visage paisible de Naëshirie refit bientôt surface.

Azéna leva les yeux et devant elle se trouvait une statue de taille réaliste d'un ancien roi de Daigorn, durant le temps où le royaume était encore indépendant. Il avait une expression sévère et se tenait bien droit, sans aucune imperfection. Il semblait tellement rigide, moulé en ce que la société attendait de sa personne. Qu'est-ce qu'il faisait dans la salle de bain des femmes? Pourquoi n'était-ce pas une reine? Ce n'était pas important... Naëshirie l'était bien plus. Il pouvait bien observer Azéna. Après tout, il n'était qu'un amas de pierres froides.

Naëshirie... Ses grands yeux vert céladon comme du givre translucide reposant sur une feuille d'arbre. On aurait songé que l'archère était folle seule dans un bain à sourire malgré elle. Tout allait bien. Elle n'était plus de ce monde. Elle appartenait aux Gardiens d'Aerinda.

Elle se concentra sur les lampes à huile qui émettaient la faible lumière chatoyante qui éclairait pauvrement la salle.

Après l'incident avec Vyrius, il y eut un enterrement et malgré le questionnement des apprentis, personne ne révéla la vérité. Azéna n'eut l'opportunité de revoir Naëshirie puisqu'elle était restée au lit en compagnie de Leith. Le choc l'avait rendue malade, la pauvre petite biche. Ça avait été un désastre... Le visage tordu du dément était resté imprégné dans l'esprit endommagé d'Azéna. Elle qui se considérait comme forte mentalement, elle avait bien du mal à accepter ce qui était arrivé. En plus, elle se faisait du souci pour Naëshirie malgré que Leith lui avait promis qu'elle se rétablirait. La guérisseuse avait omis le détail du temps.

Une larme solitaire roula le long de son visage.

Elle ne connaissait presque rien de Naëshirie et pourtant, quelque chose à propos d'elle, spécialement depuis ce jour, mouvait son cœur. Elle savait d'elle qu'elle était une personne douce, attentionnée, empathique et qu'elle était supposément incapable d'infliger de la douleur aux autres. Pourtant, c'était bien elle qui avait attaqué Vyrius pour la sauver. Cette roche qui avait frappé le dément au visage... Elle devait être une dragonnière brune, maîtresse de la terre, géomancienne.

— Je suppose que c'est logique... L'élément de la terre est protecteur.

Mais elle est normalement si douce... incapable de violence. Une pureté dans ce monde imprégné par la souffrance et le malheur. Azéna l'oubliait lorsqu'elle était de retour à l'académie. La vie en tant qu'apprenti dragonnier était si isolé du reste d'Aerinda. Elle perdait la vue de son passé, de son origine, de l'extérieur. Elle sentit un malaise en elle; il y avait une raison derrière sa décision téméraire d'abandonner ce qu'elle connaissait pour rebâtir sa vie en neuf. Dans le fond, avait-elle été lâche ou avait-elle été brave? Elle n'en était pas certaine et cela importait peu car elle avait une meilleure vie à présent. Elle pouvait fermer les yeux sur le passé et se concentrer sur autre chose. Après tout, il n'y avait rien de mal à ça.

Naëshirie, dans son cas, avait démontrer quelque chose d'encore plus beau et précieux que de la bravoure: du courage. Elle qui abhorrait la confrontation, avait agressé une figure d'autorité pour protéger un être innocent. C'était admirable, magnifique, auguste.

À cette réalisation, Azéna sentit son corps entier surchauffé d'une vague plaisante d'engourdissements. Paisiblement, tranquillement, elle réalisa qu'elle venait tout juste de tomber pour Naëshirie. Quelle malédiction dans la société où elle se trouvait présentement et pourtant, son être entier semblait flotter sur un nuage.

Une démangeaison soudaine vint la distraire. Là, au sommet de sa main droite, se trouvait une petite écaille violette qui lui rappela de sa condition unique. Elle devina que ses émotions devaient avoir affecté le sensible Turion.

— Désolé mon grand, murmura-t-elle en sachant qu'il ne l'entendrait pas.

L'écaille n'était plus. C'était comme si elle n'avait été qu'une illusion, mais l'archère savait mieux. D'ailleurs, elle devait rencontrer son mentor secret en dehors des limites de la cité en pleine nuit pour une session d'entraînement. Argoshin était stricte, parfois même rabajoie, mais il avait de bonnes intentions. Il était aussi têtu que son apprentie. Il avait refusé de lui enseigner les méthodes de contrôle de l'élément spirituelle, plus communément connus sous le nom d'élément de la vie. Pourquoi? Parce qu'il jugeait Azéna d'incapable en discipline mental. Ainsi, il s'était concentré sur la formation en combat physique et tentait de lui apprendre la méditation et la spiritualité, un peu comme Maîtresse Nikala. Rien ne changeait drastiquement: l'archère était pourrie dans ces domaines et son progrès était lent. Malheureusement, c'était une exigence pour débuter l'entraînement en maîtrise spirituelle. Inquiet pour la sûreté de son élève, Argoshin avait aussi opté à perfectionner sa maîtrise du vent. Ainsi, elle pourrait mieux se défendre et ce fut un grand succès: elle et Tyrath étaient devenus dans les plus puissants apprentis de leur catégorie. C'était bien, mais bientôt, le vrai travail allait débuter.

***

Cet après-midi était dédié à Gendrel, le prétendu jumeau d'Azéna, la meilleure moitié malgré son caractère aussi espiègle que cette dernière. Le destin avait voulu qu'il hérite d'une apparence physique dite normale et du sang pur de leur nom et c'était ces détails insignifiants qui les séparaient socialement. Malgré cela, leur lien était et avait toujours été renforcé par la loyauté et le respect. Gendrel n'avait jamais eu honte de sa sœur adoptive et l'avait défendu contre bien des injustices malgré ses efforts vains. C'était d'ailleurs lui qui avait sauvé Azéna de la folie durant sa tendre jeunesse, lui et Argent. Éventuellement, Fayne aussi. Malgré tout, trois individus n'étaient pas assez pour couvrir les dommages qu'un peuple et une grande partie d'une famille peuvent affligés à une jeune enfant.

Pour leurs efforts, Azéna leur était éternellement reconnaissante. Gendrel méritait ce qu'elle avait planifiée pour lui aujourd'hui.

Premièrement, il devait rencontrer la demie-elfe à la bibliothèque de la famille.

— Sérieusement, pas un autre livre pour Fayne, devina-t-elle lorsqu'il fit son entré à bout de souffle. N'es-tu pas assez vieille pour en trafiquer un par toi-même? Et de surcroît, tu es une dragonnière ma parole!

— L'âge ne change pas certaines choses, radota Azéna en faisant référence à son retard à leur rendez-vous. Tu as fêté tes seize ans la saison passée et toujours pas de trace d'une barbe.

L'adolescent à la chevelure charbon en bataille avait un visage aux traits doux qui le rajeunissait, mais en contraste, son corps était musclé et masculin. Bientôt, il allait se mériter le surnom grand nounours si cela ne changeait pas.

— Hé! Un peu de patience, rétorqua-t-il en rougissant. Je vois que ta poitrine existe maintenant. Elles sont retardataires. Bah, elles pourraient encore grossir, ce serait préférable pour ta santé. Néanmoins, tes hanches ne te permettront jamais de porter un enfant comme il faut. On dirait un homme ma parole.

— Oh! Monsieur l'expert de la fertilité! s'exclama l'archère en se tapotant le torse.

— Et tu as cessée de grandir depuis quelques années, ricana celui-ci. Ou... Du moins, ta poussée de croissance n'est pas grandiose. Même Tria te dépasse.

Il faisait une bonne tête de plus haut que sa sœur qui lui offrit un sourire boudeur.

— Bon ça va, tu as gagné, chenapan.

— Bon, qu'est-ce qu'on fait ici? Crache le morceau, dit-il sur un ton suspicieux.

— L'impatience chez ce jeune homme, répliqua l'archère en claquant de la langue avec provocation. Que dirais Mère?

La porte de la grande salle se referma dans un claquement sourd derrière eux.

— Elle dirait que vous êtes toujours des diablotins, grogna un homme dans la quarantaine d'années qu'Azéna reconnut comme le scribe de la famille. C'est un miracle que Serfie soit toujours saine d'esprit!

Bien entendu, celui-ci ne leur accordait aucune confiance; ils avaient passé leur jeunesse à le martyriser avec leurs mauvais tours.

— Bonne après-midi Arlien, salua Gendrel en souriant jaune.

— À vous aussi, jeune Seigneur Gendrel, répondit le dénommé Arlien sur un ton grincheux. Maintenant, et pardonnez mon impolitesse, mais partez je vous prie. Votre présence est nuisible à son meilleur.

Comme dans les souvenirs d'Azéna, il portait sa vieille robe tachée d'encre et ses mains étaient toujours jointes. On aurait dit un prêtre qui ne portait aucun intérêt dans son apparence. D'ailleurs, une odeur de papier âgé émanait de lui ce qui était logique.

— Je ne vous permettrai pas de souiller cette bibliothèque! s'exclama-t-il lorsqu'il ne reçut aucune réaction de la part des deux adolescents. Ouste! Je réclame! J'ai du travail à faire pour Seigneur Kindirah.

Pour l'espace d'un instant, Azéna ne put retenir ses lèvres se s'étirer en un quasi sourire mesquin. Elle avait un plan et elle comptait bien s'amuser un peu avec le vieux Arlien.

— Mais mon bon scribe, je suis une femme maintenant, pas une enfant, dit Azéna sur un ton coquin.

— Nymphette! s'offusqua Arlien, arquant ses sourcils broussailleux. Ce comportement désagréable ne m'étonne pas de vous.

— Qu'est-ce que vous dites? Vous m'accusez de séduction. Je suis la fille de votre Seigneur Suzerain. Rappelez-vous en bien.

— Hé-é bien...

Il évitait maintenant de croiser le regard de l'archère. Il avait perdu toute confiance en lui, ses mains moites et son visage adoucit par l'anxiété.

— Arlien... C'est moi ou il y a une brise ici?

Le scribe leva les yeux vers elle et c'est alors qu'un coup de vent violent vint soulever sa robe sable. Paniqué, il hurla comme une fillette.

— Sale sorcière, murmura-t-il tout bas.

La demie-elfe entendit l'insulte et l'ignora malgré la douleur qui lui tordit légèrement le cœur. Elle en profita pour signaler à Gendrel de la suivre. Le garçon obéit en ricanant doucement.

Ce n'est qu'une fois dehors qu'ils ralentirent. Maintenant, ils étaient assez âgés pour partir sans que les gardes ne puissent les arrêter.

— Tu es absolument incorrigible, accusa Gendrel. Pauvre Arlien. C'est de la triche d'utiliser tes pouvoirs.

— Oh allons... C'était une petite blague inoffensive, dit la dragonnière en s'efforçant d'être optimiste, mais son ressentiment lui restait sur la conscience. Comme dans les bons vieux jours. De toute façon, ce chnoque le mérite.

Gendrel se tourna vers sa sœur, l'inquiétude lui déformant le visage. Clairement, il avait compris que quelque chose de plus c'était produit.

— Tu sais..., commença l'archère, mais le reste de mots restèrent coincé dans sa gorge.

L'adolescent baissa les yeux au sol.

— Je suis désolé, dit-il avec une pointe de tristesse. Tu ne mérites pas cet abus.

Azéna aurait pu se plaindre, lui raconter les multiples fois où elle avait été victime d'abus psychologique ou physique, mais étant son frère, il avait déjà été témoin de plusieurs de ces situations. Il avait une bonne idée de ce qu'elle avait endurée.

— Merci Gendrel.

— Ces pouvoirs t'auraient été utiles, particulièrement pour ta défense, souligna-t-il.

— C'était mieux que je ne les avais pas. Honnêtement, cela aurait empiré les faussetés dites à mon sujet. Après tout, sachant à quel point la plupart des daigorniens sont ignorants, qu'auraient-ils penser de cela?

— Tu as raison.

Ils traversèrent Nothar en passant par le centre-ville et le quartier des roturiers. Par habitude et un peu en raison nostalgique, Azéna prit un détour pour passer à côté de la demeure des Litfow. Comme prévu, l'humble maisonnette était vide, mais bien entretenue. Normalement, la famille entière passait leurs journées au travail. Fayne était sûrement à la taverne pour donner un coup de main à ses parents et pour passer du temps avec eux.

L'archère sourit gaiement, remémorant de bons moments passé avec cette famille chaleureuse. De son côté, Gendrel rougit, visiblement gêné par quelque chose.

— Sinon... Ermmm...

Il hésita, détournant le regard.

— C-comment se porte Fayne?

L'archère réalisa ce qui se passait: Gendrel avait toujours eut un béguin secret pour l'herboriste. Évidemment, puisqu'elle était en couple avec Sérus, leur frère aîné, il n'avait jamais rien révéler, mais il avait démontré des signes subtils qui n'avait pas échapper à sa sœur. En toute vérité, cette-dernière aurait largement préféré Gendrel que Sérus. Elle avait toujours suspecté que son petit frère était un grand romantique. Il aurait sûrement bien traité Fayne.

— Elle va bien. Tu sais, elle est devenue une superbe dragonnière. Elle a vaincue sa phobie des hauteurs.

— Vraiment? s'étonna le garçon, ses yeux bleus écarquillés. C'est une femme exceptionnelle et intelligente. Qu'est-ce qu'elle peut bien trouver en Sérus? Je ne comprendrais jamais.

— Pareil ici, ricana la demie-elfe. C'est dommage, du gâchis même.

— On est d'accord.

— Parlant de séduction, nous avons maintenant seize ans. Est-ce que... tu sais... est-ce qu'il y a une femme qui a touché ton cœur tendre? questionna l'archère avec une pointe de taquinerie.

Le visage de Gendrel s'assombrit, passant d'un rose doux à un cramoisis enflammé.

— P-pas vraiment... J'imagine que père s'en charge...

— Peut-être pas. Tu es né mâle et avec un peu de chance, il te laissera choisir ta dulcinée.

— Et toi...? Tu as de l'expérience? Je ne dirai rien si c'est le cas.

C'était au tour de la dragonnière de perdre son calme; elle eut l'exact même réaction que son frère. Dans la culture humaine, perdre sa virginité avant le mariage était un grand péché, ce qu'importe la façon, que ce soit forcé ou intentionnel.

— Enfin... J'imagine que les normes sont différentes à l'académie, s'expliqua maladroitement Gendrel. Tu en parles comme si c'était un différent monde. Je ne voulais pas insinuer que tu es impure. Pour tout t'avouer, je trouve nos règles trop rigides et parfois même, insensés.

— Je dois t'avouer que non, je n'ai absolument aucune expérience, dit Azéna. Je n'ai franchement rien à cacher.

Cette dernière déclaration était fausse. Malgré l'ouverture d'esprit de Gendrel, la dragonnière craignait que son orientation sexuelle se fasse découvrir des daigorniens. Ce serait un désastre qui serait sûrement fatal. Elle était déjà maudite avec une réputation de sorcière et elle était chanceuse de ne pas être brûlée au bûcher. Non, elle ne pouvait rien lui révéler.

— Les dragonniers n'ont pas le droit de se marier ni de se mettre en couple, avoua-t-elle. Nos pouvoirs sont trop grands et les sentiments peuvent causés des problèmes alors...

— C'est compréhensible, mais très dommage, soupira Gendrel. Bah, de toute façon, tu n'as jamais été très obéissante.

— Qu'insinues-tu?

— Que les lois ne t'arrêtent pas. Nous sommes tous libres de faire nos choix qu'importe la situation.

Essayait-il de l'encourager entre les lignes? Problement. Ça serait son style. Et dans le fond, il avait raison et elle le savait bien. Malgré les conséquences, elle croyait au besoin fondamentaux de la liberté et de l'individualité de chaque être. Malheureusement, c'était à l'encontre de la culture humaine. C'était véritablement une bénédiction d'avoir échappé à ce misérable destin et elle pleurait intérieurement pour Gendrel et Argent qui y étaient toujours assujettis.

— Parlant de mariage... est-ce que Sérus est dans le coin aujourd'hui?

— Je l'ai aperçu brièvement en compagnie de Fayne ce matin, dit Gendrel.

— Bien sûr...

— Elle est plus coquine que toi, rigola le garçon. Elle brise son serment aux Gardiens d'Aerinda! Il va falloir que tu y remédie. Ta réputation de vilaine nymphette est en jeu.

— Oh arrête un peu, bouda Azéna en croisant les bras. Ce n'est pas amusant. Je me fais du souci sérieux pour Fayne. Sérus... Tu sais à quel point il peut être cruel. Je ne comprends pas pourquoi il agit ainsi... Qu'est-ce que le malheur des autres peut bien lui apporter?

— Tu n'y peux rien, ma chère sœur.

La demie-elfe ne désirait plus y penser. Il était temps pour la prochaine phase de son plan. Elle agrippa soudainement la main de son compagnon et l'entraîna avec elle dans une course effrénée en direction de la sortie de la cité. Gendrel ne broncha pas, un sourire en coin au visage. Il était toujours partant pour une aventure, particulièrement avec sa sœur. Comme d'habitude, il lui accordait sa confiance complète, la suivant où elle l'emportait.

Et comme toujours, elle avait des plans loufoques pour eux. En plein centre de la forêt Rousse, elle l'entraîna jusqu'à une créature ailée qui devait faire le double de la hauteur d'un homme adulte. N'importe qui aurait paniqué et prit la fuite, mais Gendrel reconnaissait le jeune dragon aux écailles argentés et aux grands yeux améthyste.

— Tyrath! s'exclama Azéna en ouvrant les bras pour accueillir le drake.

Ce dernier s'élança vers sa dragonnière comme un chien excité de voir son maître. Elle lui lécha le visage, laissant une trace dégoulinante de bave dans son sillage.

— Erk! Tu as encore été pêcher! rouspéta Azéna qui tentait désespérément de se sécher le visage avec des feuilles d'érable. C'est absolument répugnant!

Tyrath émit une série de grognement qui montait et baissait radicalement en intensité.

— Cesse de rigoler! grogna l'archère. Cette odeur de poisson est tenace. C'est un véritable cauchemar.

Elle essaya une dernière fois de s'en débarrasser en vain. Elle soupira, défaite.

— Bon pour ta punition, tu as un dragonnier temporaire, annonça-t-elle en pointant Gendrel de l'index.

Elle s'attendait à ce que le drake se lamente et qu'il conteste cette idée, mais celui-ci la surprit en affichant un sourire espiègle et en agitant la queue. Décidément, il devait bien aimer le garçon s'il acceptait si aisément.

— Oh, oh! s'exclama le jeune Kindirah en secouant les bras en signe de refus. Attend! Je ne suis pas à l'aise avec ce...

Entretemps, Tyrath s'était faufilé derrière lui et l'avait soulevé par le collet pour le déposer sur son dos. Heureusement, il était déjà équipé de sa selle et de ses rennes.

— Allez Gendrel, tu dois voler une fois avant de mourir! aboya Azéna. Accroche-toi! Il n'est pas doux.

— A-Azénaaaa! hurla son petit frère, à moitié terrorisé alors que le drake prit son essor.

La dragonnière attendit le retour de ses compagnons en observant un écureuil qui sautait d'une branche à l'autre en jacassant. Bien que l'été fût roi en cette saison, cette forêt était plongée dans un automne éternel. Les feuilles étaient teintées de jaunes, oranges et rouges. C'était une vue chaleureuse et familière qui apportait à Azéna une sensation paisible. Elle aurait bien aimée se bâtir une petite maisonnette dans cette région, mais hélas, elle ne désirait pas retourner vivre chez les humains.

— Incroyable! s'écria Gendrel lorsque Tyrath se posa à proximité dans un nuage de terre poudreuse.

Il toussota en sautant au sol, libérant le drake de son poids. Cet dernier se mit à se lécher les écailles pour se débarrasser de l'odeur du garçon.

— Tu es chanceuse d'être dragonnière, continua l'adolescent. Mais j'aimerais fonder ma propre famille donc, pas de dragon pour moi.

— Une famille, hé? questionna sa sœur sur un ton taquin. Mon cher frère, est-ce le temps ou l'âge qui te rend doux tel un agneau?

Son soi-disant jumeau lui offrit un regard offusqué.

— Oh ne t'en fais pas, continua-t-elle. Tu feras un excellent père. La femme qui t'aimerai - ce, je l'espère de tout mon être - sera grandement fortunée.

Face au compliments, Gendrel rougit, incapable de prononcer un mot et sourit faiblement. Il avait réellement un cœur tendre, le pauvre. Il était maudit d'un entourage qui tentait de le moulé, de le tordre à leurs attentes. Ainsi était la vie de noblesse. Mais ayant grandi en son centre, il est difficile d'y voir plus loin.

— Je suis incapable de vous endurer plus longtemps, ronchonna Tyrath. Je pars à la chasse.

Il ouvrit ses majestueuses ailes translucides, s'envola et enfin, il se faufila entre les arbres pour disparaître dans les cieux

— Trop d'émotions pour lui, en conclut Azéna. Hé bien...

— Les hommes doivent être forts et fiers, informa Gendrel avec neutralité.

Malgré tout, ce masque ne dupa pas l'archère qui lui accorda un regard peu impressionné.

— D'accord, d'accord, je me rends! déclara-t-il, son ton bien plus doux à présent. Je suis heureux que tu ais trouvé ton destin, mais pour tout t'avouer, tu me manques énormément. Tu es une partie de moi, comme si tu serais ma véritable jumelle.

Il fouilla dans les poches intérieures de sa tunique et en sortit un collier dont la maille était fine et en argent. De ces chaînes pendait un emblème particulier: un tourbillon de vent féroce en forme de sphère dont le milieu était vide.

— Pour toi, Ô grande dragonnière grise, maîtresse du vent, fille de la tempête, dit-il en lui tendant le présent.

Azéna l'accepta, retenant ses larmes pour ne pas paraître faible. C'était ancré dans sa nature de se protéger.

Entretemps, il révéla un deuxième pendentif. Au bout de celui-ci pendait une gemme blanche striée de mauve à la forme si parfaitement ovale.

— Moi qui désire que le mieux pour ma famille, ait décidé de porter notre couleur autour de mon cou ainsi que la capacité de me laisser bercer par ta force, ton honnête tempête.

Il démontra comment le gemme avait été façonné de sorte qu'on puisse l'insérer au centre du tourbillon du pendentif d'Azéna.

Celle-ci espérait de tout son être que cet homme attendri ne vive pas sa vie dans une tragédie comme tant de nobles. Elle serra son pendentif contre son cœur et sourit.

— Merci, mon cher frère.

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