Mes premiers pas de danse

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J'avais dansé auparavant quand j'étais plus jeune.

Un peu comme tout le monde. En boîte de nuit sous des éclairages tamisés. Dans des bals populaires, sur des places avec des orchestres improvisés ou pour la fête nationale.

Mais jamais, je n'avais essayé ou osé prendre un véritable cours de danse (1). Avec un véritable professeur. Avec d'autres élèves. Avec un parquet, des miroirs et des barres de danse...

J'arrivais en cette douce fin de journée, au début du mois de septembre de l'année 2002. Au 41 de la "Rue du Temple" dans le "Centre du Marais". Une cour intérieure pavée dans laquelle je distinguais au fond l'enseigne au néon du "Café de la Gare" et, avec elle, m'arrivaient des noms d'artistes comme Coluche, Michel Blanc ou Josiane Balasko (2).

La façade classée en pierre blanche du XVIII ème siècle tranchait en arrière-plan de toutes ces personnes multicolores qui découvraient les lieux pour la première fois. Des entrées à chaque angle de la cour permettaient d'accéder par des escaliers escarpés à différentes salles, lesquelles se devinaient dans les étages avec des fenêtres à grands vantaux et petits carreaux, ouvertes pour laisser l'air dense et lourd circuler.

Près de l'angle sur la droite, je devinais l'entrée dédiée aux inscriptions. Aussi je m'échappais un instant pour faire mes formalités. En ressortant, je constatais la présence au pied de l'une des façades, d'un grand restaurant empiètant sur la cour pour faire une belle terrasse entièrement pavée. Tout cela donnait une ambiance extrêmement festive et les musiques résonnaient en écho tout autour et montaient par le moindre interstice dans tous les étages comme un chant choral.

Etrange mélange suréaliste de classique, des sonorités ibériques, de danses de caractères nord-africaine ou d'afrique centrale avec des percussions, de jazz et de lindy plein de swing et aussi de piano aux accents baroque et lyrique dont les notes se mariaient les unes aux autres pour s'envoler vers le ciel.

J'avais lu dans ma documentation que plusieurs professeurs étaient très connus notamment en raison du lancement de la Star Academy en 2001. On pouvait ainsi croiser Mia Frye pour le street jazz ou le hip-hop et Armande Altaï pour le chant lyrique tout autant que la pop.

En m'avançant dans la cour, continuellement bondée de nouveaux arrivants, je perçus plus distinctement sur ma droite des talons heurter le parquet en vibrant stacatos frénétiques.

Je distinguais alors, en me dressant sur la pointe des pieds, des danseuses de flamenco, au port altier entourant un homme seul, très grand arborant une longue chevelure nouée à la manière d'une crinière d'un cheval ibizan.

Leurs maîtrises et les volants de leurs robes magnifique aux reflets rouge et noir prouvaient sans aucun doute qu'elles maîtrisaient leur art. Je pensais immédiatement que leur présence s'inscrivaient dans une sorte d'invitation à se laisser fasciner par une danse andalouse dont l'origine datait du XVIII ème siècle mais aussi pour encourager des débutantes à s'inscrire dans ce cours.

Il se dégageait une incroyable ambiance à la fois magnifique et sonore. Les claquements des souliers renforcés sur le parquet donnaient un effet stroboscopique sonore, provoquant l'enthousiasme et nouant les tripes, au siège des émotions.

On aurait volontiers laissé libre cours à son corps et à ses mains pour s'enflammer sur le granite de la cour, emporté par le tempo d'une guitare.

Revenant vers l'entrée principale après cet intermède, sous le passage couvert en tunnel, j'entrais finalement par un accès latéral dans une salle du rez-de-chaussée.

En pénétrant par une porte anonyme, je découvrais sur la gauche, tout un mur de miroirs et sur la droite des barres d'assouplissement sur lesquels les premiers futurs danseurs de rock avaient déposé leurs vêtements pour se mettre à l'aise. Un piano sans queue occupait le mur percé de grandes fenêtres donnant sur la cour. Je devinais de loin par l'ouverture se poursuivre la démonstration de danse andalouse.

Mon regard revenant dans la salle, j'observais les visages de chacun qui se regardaient sans se voir. Certains plus volubiles, échangeaient des commentaires, des expériences. Comme il s'agissait d'un premier cours de niveau "débutant", il n'y avait semble-t-il pas de danseurs chevronnés dans l'assistance.

A cette période de l'année, les professeurs proposaient une ou deux séances de découverte pour permettre aux futurs élèves de faire un choix en conscience entre les nombreuses propositions offertes par le centre.

Certains semblaient être en couple et se touchaient sans cesse la main ou l'épaule comme pour se rassurer. D'autres constituaient un groupe, une bande. Ils se lançaient des piques, échangeaient des histoires, des blagues comme pour tromper l'appréhension ou tout simplement par laisser-aller.

Je ne cherchais pas nécessairement à m'identifier à l'un ou l'autre. Ils me semblaient tous plus à l'aise que moi, venu seul. J'avais une boule de plomb dans le ventre et les jambes flageolantes. Et cet état physique contrastait avec l'enthousiasme et l'excitation à l'idée de me lancer dans ce premier cours de danse.

Subitement, "tu" es entrée dans la pièce, presque sans te faire remarquer : un petit bout de femme, très droite, fière, athlétique et sensuelle à la fois. Tu as posé tes affaires dans l'angle de la pièce et installé rapidement un équipement de sonorisation ainsi qu'un recueil de cédéroms.

Au fur et à mesure de ces préparatifs, les conversations ont baissé de volume et les regards se sont portés vers le professeur. Certains se frottaient les mains sur les manches de leur pantalon. D'autres ajustaient leurs chemisier, leur robe, une mèche rebelle, presque par réflexe. De ces réactions non contrôlées comme pour se donner une place, une importance, se calmer, se détendre.

Alors, tu t'es avancée vers le milieu du mur de miroirs et tu nous as fait face. Ta voix a rempli la pièce, imposant de fait le silence, avec un léger accent d'origine corse. Puis d'une manière assez directe, tu as démonté cette troupe improvisée et disparate d'individus d'horizons très divers, et imposé des "lignes" de danse face à toi.

Il était question d'apprendre un pas de base sur huit temps, un peu comme les premiers pas d'un enfant dans la vie, pour se lancer, pour s'assumer. Je pressentais, comme dans la vraie vie, que rien ne serait facile.

Et rien ne fut facile !




(1)"Shall we danse" avec Richard Gere, Jenifer Lopez, Susan Sarandon et l'incryable Stanley Tucci
https://fr.wikipedia.org/wiki/Shall_We_Dance%3F_(film,_2004)

(2)"Le Café de la gare - son théâtre" https://www.cdlg.org/j/index.php/le-theatre



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