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Deux heures après, Aaron, précédé d’Alia, pénétrait pour la première fois dans la salle de défense située au deuxième sous-sol. Un sas de sécurité les scanna des pieds à la tête. Seules les personnes faisant partie de la protection du territoire y avaient accès. N’étant pas habilité à pénétrer dans cette partie du bâtiment, Alric enregistra le jeune homme dans le système en tant que visiteur. Une boîte vocale lui souhaita la bienvenue avant qu’un déclic d’ouverture ne se fasse entendre.

Ses yeux s'écarquillèrent face à l’immense pièce qui se découvrit à lui. Le complexe de sécurité situé sous la demeure du Meneur, possédait le nec plus ultra en matière de la technologie. Une dizaine de PC s’alignaient le long du mur de droite. Des opérateurs étaient installés devant chacun d’eux, leurs doigts voletants sur les claviers. Tous portaient un casque audio relié aux oreillettes micros des Gardes à l’extérieur. Toutes les demi-heures, ces derniers devaient se signaler. Sur l’un des murs, des dizaines d’écrans filmaient différents endroits stratégiques de leur territoire, ainsi que celui des humains et des autres mondes.

Dix Protecteurs ainsi qu’Alban, le chef de la sécurité, occupaient des sièges installés autour d’une table de conférence en verre. Tout le monde attendait le Meneur dans un silence pesant. Une atmosphère lourde et tendue régnait donnant des frissons au jeune homme. Tous les accès à Asilia avaient été bloqués après le retour des dernières personnes qui se trouvaient du côté des humains. Des Gardes supplémentaires avaient été affectés à la surveillance des passages.

Crispé et anxieux à savoir Lola seule contrariait Aaron. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait ni ce qu’il faisait là, et cela le terrifiait.

Tout à coup la porte s'ouvrit et Loric entra. Son visage était fermé et un homme l’accompagnait. Âgé d’une quarantaine d’années, il avait l'allure d’un homme d'affaires. Auréolé de cheveux blancs lui arrivant aux épaules, son regard, d'un vert profond, était incisif et intelligent. Les deux hommes s’installèrent en bout de table.

— Bien. Vous connaissez tous Thomas, notre archiviste. Qu'avez-vous appris ? Alban ?

Alban pianota sur un écran tactile incrusté dans la table et une projection holographique se forma au-dessus de cette dernière.

— Lola Daniel, née à Vannes en Bretagne. Ses parents sont tous deux décédés. Sa mère avait la réputation de battre et d’humilier ses filles, mais n’a jamais été signalée aux services sociaux. Son père subissait lui aussi des humiliations permanentes. D'après nos infos, il ne voulait pas divorcer pour protéger ses filles des maltraitances de leur mère. À cette époque, la garde des enfants accordée au père était rarissime. Elles sont issues d’un second mariage. Sa sœur s’appelle Line, elles sont jumelles et ont vingt-cinq ans aujourd’hui.

Un grognement retentit dans la pièce, il venait de Loric. Thomas était tendu comme un arc. Le visage fermé et blême.

— Elles ont trois demi-frères et une demi-sœur, mais ne se fréquentent pas, poursuivit Alban en jetant un œil à son chef. Lola est partie de la maison familiale à dix-huit ans. Elle a été hébergée par la mère de sa meilleure amie. Line est mariée et a une petite fille de deux ans. Lola est célibataire, c’est une femme solitaire, secrète et effacée. Elle a créé son entreprise de vitraux il y a trois ans. Elle commence à être reconnue pour ses créations. Voilà pour les grandes lignes.

Loric resta silencieux quelques secondes avant de prendre la parole.

— D’accord, je crois que nous allons avoir à faire face à de gros problèmes. Thomas ?

L’assemblée semblait surprise par la présence de l’Archiviste en ce lieu. Reclus dans la bibliothèque, l’Asilien était la mémoire de leur peuple. Le don qu’il avait reçu lors de son évolution était le transfert de connaissances de ses prédécesseurs. Toute leur histoire avait été implantée dans sa mémoire. Lorsqu’un trop-plein le mettait en difficulté, il le transcrivait dans des livres qui alimentaient la fabuleuse bibliothèque.

Thomas se racla la gorge, mal à l’aise, et planta son regard dans celui d’Aaron qui se tendit face à ces yeux inquisiteurs.

— Bien, je veux que tu me décrives exactement ce que tu as vu dans l’aura de cette jeune fille. C’est très important.

Fronçant les sourcils, le jeune homme se concentra.

— Hum… Eh bien elle possède une aura de plusieurs couleurs pastels qui vont du rose au bleu, comme un arc-en-ciel. Je n'avais jamais vu ça. Ah oui ! je crois qu’il y avait des étincelles de couleurs qui dansaient dedans. Et j’y ai vu aussi des ombres gris foncé presque noires. En y réfléchissant, j’ai l’impression que ces étincelles tournaient autour des ombres.

Thomas hocha la tête alors que son visage s'assombrissait.

— Loric, je dois voir cette jeune femme. Il faut aussi tout savoir sur son père. Je pense que celui-ci était un Passeur. Une exclamation de surprise retentit dans la pièce. Il faut aussi savoir si sa mère n’aurait pas contacté quelqu’un pendant sa grossesse pour effectuer un rituel.

— Thomas, gronda Loric, explique-toi.

— Lorsque tu es venu me voir, je pensais que tu délirais, mais je m'aperçois que ce n’est probablement pas le cas, même si au fond je l’espérai.

Il inspira profondément et lâcha sa bombe.

— Je pense que cette jeune femme est une Passeuse, mais pas seulement. Je crois qu’elle est aussi un Réceptacle et un Portail. Les femmes avec une aura telle que tu nous l’as décrite sont extrêmement rares. Je n’en ai pas entendu parler depuis plus de huit cents ans. Non seulement elles aident les énergies à passer de notre côté, mais elles peuvent aussi les accueillir dans leur Réceptacle, si celles-ci ne sont pas prêtes. Elles peuvent aussi servir de Portail à quelqu’un de vivant pour venir sur notre territoire, sans utiliser nos passages. Ce qui, vous vous en doutez, pourrait être très dangereux pour nous si une ou plusieurs personnes mal intentionnées décidaient de nous attaquer.

" Or les ombres qu’Aaron a vues sont probablement des âmes noires. À mon avis sa mère, pour une raison quelconque, a effectué un rituel pendant sa grossesse. D’après ce que l’on sait, c’était une vraie mégère jalouse de ses filles. Faire du mal à ses proches ne semblait pas lui poser de problèmes. Il faudrait savoir si elle savait qu’elle attendait des jumelles, ce qui pourrait expliquer la présence d’une âme noire qui aurait été “convoquée” pour tuer les foetus. Dans le cas de ces jumelles, si leur père est bien un Passeur, il a transféré son don à l'une d’entre elles, en l'occurrence Lola. Ce don a soit protégé les filles, soit, et cela me semble plus probable, l'âme noire a reconnu l’essence du portail, et s’est mise en stase en attendant de pouvoir la posséder et la contrôler. Chez un Passeur le don se réveille à la date anniversaire de vingt-cinq ans. C’est-à-dire cette nuit pour cette jeune femme.

Des frissons glacés étaient descendus le long de la colonne vertébrale d’Aaron au fur et à mesure du discours de Thomas. Et au vu des visages durs et livides qui l’entouraient, il n’était pas le seul.

Une atmosphère pesante s’installa, des hoquets de stupeur jaillirent autour de la table. Une fois passés, un brouhaha commença à se répandre. On ne s’entendait plus parler.

— SILENCE ! beugla Loric en tapant du poing sur la table. Thomas, continue je te prie.

— Vous avez un mois avant que les aptitudes de Lola ne soient fonctionnelles à cent pour cent. Le problème étant que son père est mort depuis quelques années, elle n’a probablement aucune idée de ce qu’elle est. Le secret étant gardé par le Passeur ou la Passeuse génitrice jusqu’aux vingt ans de l’enfant. Elle ne sait donc pas ce qui l’attend. De plus, l'âme noire a déjà tenté de prendre le contrôle de Lola cette nuit par le biais d’un cauchemar. Si elle réussit, cette entité va soumettre son âme par ces derniers et elle ne se rendra compte de rien. Il faut absolument protéger cette femme et anéantir l’entité avant qu’il ne soit trop tard. Si elle prend le contrôle du Portail, elle aura le moyen d’entrer chez nous avec qui elle veut et nous attaquer. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant, Loric.

— Bien, nous avons donc un mois pour anéantir cette chose. Alric, tu laisses les défenses renforcées, puis tu envoies des Protecteurs se renseigner sur le père de Lola et cette mégère de mère en appui avec Alban ici. Alric hocha la tête. Pour l’instant, je veux tout le monde dehors sauf Thomas, Alric, Alia et Aaron.

Ce dernier se redressa en écarquillant les yeux et croisa le regard du Meneur, déterminé mais aussi rempli de compassion. Il déglutit péniblement se demandant ce qui allait lui tomber sur le coin du nez.

Lorsque tout le monde fut sorti, le silence devint assourdissant. Loric avait la tête baissée, les sourcils froncés et semblait rassembler ses idées. Le regard inquiet d’Alia passait de son époux au jeune homme. Alric dévisageait son chef, les sourcils relevés et le regard plein d’interrogations. Thomas trouvait le dessus de la table très intéressant.

L’inquiétude d’Aaron atteint des sommets. N’en pouvant plus, il ouvrit la bouche pour interpeller son Meneur.

— Chef ? sa voix était plus un croassement qu’autre chose, il se sentit rougir.

Loric releva la tête et le regarda intensément.

— Aaron, je te charge de la protection de Lola. Je veux que tu la surveilles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tu ne la lâches pas d’une semelle.

— QUOI ? s’écrièrent Alric et Alia d’une même voix.

Trop abasourdi pour dire quoi que ce soit, le jeune Asilien regarda Loric, bouche bée, tétanisé sur son siège. Seul Thomas restait impassible, ne semblant pas étonné par la demande de Loric, alors que les autres s’étaient levés et qu’Alia invectivait le Meneur, des éclairs dans les yeux.

— T’es malade ? Aaron n’est pas un combattant, il ne peut pas faire face à cette...cette...chose !

— Tu ne peux pas envoyer un non évolué pour une telle mission, c’est du suicide ! renchérit Alric, fou de rage.

Loric avait beau être le Meneur, il était aussi le meilleur ami d’Alric, et ce dernier ne se gênait pas pour se permettre de lui hurler dessus.

— Aaron s’est connecté à elle.

Loric murmura mais fut entendu des personnes présentes qui tournèrent vivement leurs têtes vers l’intéressé, qui ouvrit la bouche tandis que leurs regards s’ancraient au sien.

— Euh… ça veut dire quoi ?

Alia s’approcha de lui et posa une main réconfortante sur son épaule tout en lui affirmant qu’il le saurait bien assez tôt, son visage se renfrogna. Quant à Alric il se tourna vers son chef et reprit.

— Ça ne change pas le problème, il est trop jeune. Son évolution ne se fera que dans deux ans, d’ici là il ne peut protéger qui que ce soit.

Indigné Aaron le fusilla du regard. Tant que cette fichue évolution n’était pas arrivée, les jeunes de moins de trente ans étaient considérés comme de grands ados. Un minimum de pouvoirs, un minimum de force, bref un minimum de tout. Et il n'appréciait pas qu’on le lui rappelle.

— C’est pourquoi je l’emmène voir l'Éveilleur pour la déclencher.

Silence. Tous se figèrent sous le choc, à part Thomas et Loric qui venait de s’exprimer du ton du dirigeant.

— C’est une blague ?

Le pauvre garçon posait la question d’une voix éteinte, les yeux fixés sur son chef. Mais à son regard il vit qu’il ne plaisantait pas. Il se mit à manquer d’air et à trembler, un sentiment de panique l’envahit.

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