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Dissimulé par la canopée occultant les rayons de la Lune, Aaron observait la jeune femme se lever et s'étirer avec grâce avant de réintégrer son chalet. Mal à l’aise, il se sentait incommodé de l’espionner à son insu, mais l’instinct de protection ancré dans chacun des individus de son peuple envers leur propre monde occultait sa gêne. À l’aide de son ouïe développée, il suivit le bruit de ses pas qui déambulait avec légèreté, jusqu'au son de la douche quelques minutes plus tard. Enfin la maison plongea dans le noir et le silence s’installa. À contrecœur, il se décida à regagner son monde tout en se promettant de revenir le lendemain, mais alors qu’il s'enfonçait dans les bois, un cri vibrant de douleur perça la quiétude de la nuit et le figea. Il fit volte-face, courut jusqu'au chalet et chercha une ouverture qu’il trouva par le biais d’une fenêtre entrebâillée à l’arrière. Le jeune homme bondit et se faufila dans ce qui s’avérait être la chambre de la jeune femme.

Sur le qui-vive, les muscles bandés, il parcouru la pièce du regard à la recherche d’une menace avant de le poser sur l’inconnue. Allongée sur son lit, cette dernière s'agitait dans tous les sens, haletante et gémissante, le drap entortillé autour de ses jambes. Le corps trempé de sueur et parcourut de frissons, sa fine nuisette collée à sa peau, elle cauchemardait et semblait terrorisée. Il s'approcha, silencieux, les sourcils froncés, lorsque tous ses poils se hérissèrent, que tout son corps s’immobilisa. Un sentiment de froid s'insinua jusque dans ses os, la température de la pièce chuta, tous ses sens se mirent en alerte. Les ombres grises dans l’aura de l’humaine tournoyaient autour d’elle comme pour tenter d’entrer par les pores de sa peau. Affûtant son regard, il s’aperçut, bouche bée que ces ombres prenaient naissance au niveau de son ventre.

Il avança une main et les ombres s’enroulèrent autour, agressivent. L’impression de toucher une matière huileuse et sombre le glaça.

" C’est quoi ça ? "

Alors que la colère montait, il se concentra, et laissa son énergie se répandre en lui. Une lueur bleue électrique illumina ses yeux et sa main, dont il posa doucement la paume sur le front de la fille. Ses lèvres s’ouvrirent légèrement alors qu’il murmurait dans une langue aux sonorités chantantes. Les ombres sifflèrent, se rétractèrent, semblèrent disparaître, mais Aaron les percevait toujours. Cependant, elles n’agressèrent plus la jeune femme, toujours endormie. Mais pour combien de temps ?

" C’est quoi ce bordel ? "

La jeune femme renfermait, sans en avoir apparemment conscience, quelque chose en elle, quelque chose qui l'assaillait par le biais de cauchemars. Cette entité dégageait une noirceur perfide et virulente. Il devait avertir le Meneur, mais il ne pouvait se résoudre à partir, un fort instinct de protection envers cette humaine se leva en lui.

Il quitta la pièce par la même ouverture, se mit hors de portée de vue et ferma les paupières. Son corps se mit à luire d’une teinte céruléenne et disparut dans un éclat de lumière laissant apparaître quelque fractions de secondes plus tard un énorme chien au pelage noir de nuit, brillant des reflets de clair de Lune, qui reflêtaient aussi ses sillons dans des yeux d’un ciel bleu pâle. L’animal se coucha sous la fenêtre et veilla, les sens aux aguets avec une conscience aigu de chaque son, bruissement, fragrance qui l’entourait. C’est ainsi qu’il sentit plus qu’il ne vit la présence de son meilleur ami. La parole, étant impossible sous leur forme animal, il ouvrit son canal télépathique.

Montre-toi Tobias.

Le chat sortit de sa forme éthérée et s'approcha d’Aaron.

Que se passe-t-il ? je te sens bouillir.

— L’humaine a été attaquée.

— Quoi ? Par qui ?

— Pas par qui, mais par quoi. J’ai un soupçon, mais je dois d’abord en parler au Meneur. Si mon intuition est bonne, nous allons avoir un gros problème.

— Eh bien tu ferais mieux de te dépêcher, il est furax. Tu as intérêt à rentrer tout de suite. C’est pour cela que je suis revenu, les Protecteurs ne vont pas tarder à rappliquer.

Le chien émit un grognement puis redressa les oreilles et tourna son museau vers la fenêtre.

Elle se réveille.

Lola se redressa en sursaut, haletante, tremblante et frigorifiée. Elle ne se souvenait pas de son cauchemar, mais ressentait la peur inhérente à ce dernier. À la mort de son père, de mauvais rêves avaient accompagné ces nuits durant des mois, puis s’étaient estompés petit à petit, et là aussi aucune réminiscence n’en était restée. Sachant qu'elle ne pourrait pas se rendormir elle se leva en se frottant les bras, les jambes flageolantes, et se dirigea vers sa petite salle de bain.

L’élément qui attirait le regard dans la pièce était un joli miroir de forme ovale encadré d’une bordure en verre cyan et serti d’arabesques bleu cobalt. Ce magnifique objet possédait une particularité qui intriguait Lola. Une illusion d'optique qui donnait à sa surface dure une impression d’ondulation, comme une nappe d’eau sous une brise légère.

La jeune femme encore secouée, se déshabilla, entra dans la cabine de douche et se glissa sous un jet brûlant avec un soupir de délectation. Elle resta ainsi sans bouger, laissant l’eau effacer les derniers relents de son cauchemar, s’enroula ensuite dans une serviette moelleuse et retourna dans sa chambre où elle revêtit une tenue confortable. Ne connaissant qu’un moyen pour se détendre, Lola se rendit dans sa cuisine, se prépara un chocolat chaud puis rejoignit une porte située sur sa droite.

Le sourire aux lèvres, les yeux pétillants, son visage s’éclaira après être entrée dans son atelier. Cette pièce représentait son antre, le cœur battant de son refuge, l’endroit où elle laissait libre cours à son imagination. De grandes baies vitrées, ainsi qu’un puits de lumière au centre du plafond inondaient de clarté son lieu de travail.

Son sourire s’agrandit lorsque son regard se porta au-dessus de sa tête. Des vitraux de toutes formes et de toutes les nuances de l’arc-en-ciel se balançaient doucement, suspendus par des chaînes fixés aux poutres, sa plus grande fierté. Elle vendait ses créations en ligne. Sa petite entreprise créée trois ans auparavant lui permettait depuis peu de vivre correctement de sa passion lui ouvrant la perspective, un jour, de posséder une boutique physique.

Elle avança sur le sol habillé de quartzite rose vers ses étagères en acier pour y récupérer avec délicatesse des plaques de verre aux teintes douces et irisées. Dans son dos, un grand miroir habillait presque tout l’espace d’un pan de mur. L’objetr possédait les mêmes spécificités que celui de sa salle de bain, un encadrement aux arabesques bleu cobalt ainsi que cette impression d’ondulation intrigante.

La jeune femme alluma ses tables lumineuses, s'arma de ses outils et se mit au travail.

Aaron avait entendu l'humaine se déplacer dans les pièces. Il décida alors d’inspecter les environs.

Je vais faire le tour de la maison.

— Je t'accompagne.

— Ce n’est pas utile, Tobias.

Le chat lança un regard hautain à son ami avant de se déplacer sans aucune considération envers ce dernier.

Stupide chat !

Aaron marmonna tout en emboîtant le pas à son camarade.

Ils furetèrent autour du chalet et s'aplatirent dans l’herbe lorsque qu’un rayonnement surgissant de baies vitrées les inonda.

Intrigué, le chien s’avança en rampant. Surpris, il aperçut des éclats aux teintes chatoyantes virevolter au travers des carreaux, et ses yeux s’agrandirent à la vue des objets oscillant au plafond. Tobias le rejoignit et resta figé, la gueule ouverte. Des faisceaux d'éclairage traversaient les vitraux et se reflétaient dans le grand miroir, créant ainsi un kaléidoscope de taches de couleurs dans la pièce. Une petite brise apportée par l'ouverture du puits de lumière donnait l’impression de dizaines de lucioles dansant dans l’air. C’était magnifique.

Le miroir.

— Je sais Tobias. Rentrons. Il faut que le chef fasse venir quelqu’un pour protéger le passage puiqu’il n’y a plus de Gardien.

Son regard se tourna vers la jeune femme. Il ne savait rien d'elle, ni la raison de sa présence, ni ce qui la prenait pour cible, mais son instinct lui soufflait qu'il s'agissait d'une "innocente" et qu’elle allait avoir besoin d’aide. Aaron et son compagnon s'enfoncèrent dans les bois où, tout en marchant, ils reprirent leur apparence humaine, ouvrirent leur main et soufflèrent dessus. De la poussière bleue rayonnante s’envola de leur paume, tourbillonna un instant avant de laisser place à des miroirs au reflet bleuté, qu'ils traversèrent passant de leur forme solide à éthérée. Les passages disparurent la seconde d'après, laissant place à un silence irréel.

Ils se matérialisèrent de nouveau dans les bois et avancèrent dans un paysage où la nuit avait fait place au jour, où la flore qui semblait identique à celle des humains, possédait des tapis de fleurs aux teintes luminescentes, des plantes luxuriantes et des forêts élégantes ; elle enchantait ; envoutait. Les garçons inspirèrent à plein poumons, un sourire aux lèvres.

Leur monde se nommait Asilia, il s’agissait Du refuge. Le refuge de toutes les énergies. Sa population existait grâce à elles, certains les appelaient les âmes, d’autres les esprits, chacune d'entre elle s’octroyait un rôle dans l’existence de ce havre. Les unes restaient ainsi, invisibles, impalpables, tournoyant autour des êtres vivants ; elles produisaient les vents, les nuages et l'atmosphère. D'autres aidaient à la création des matières végétales, nourrissaient les plantes, les arbres, la terre. Chaque élément de cet univers, l'eau, l’air, la terre, le feu, mais aussi les pierres, roches, métaux vivaient et se formaient grâce à elles.

Un bruit de sabot se fit entendre. Aaron leva la tête et vit s'approcher trois cavaliers.

— Les Protecteurs. Bon, eh bien je te laisse mon ami.

— Merci pour ton soutien Tobias.

— Je ne suis pas suicidaire moi, rétorqua l'interpellé en tournant les talons.

— Aaron ! Le chef veut te voir, tout de suite ! l'alpaga le chef des Protecteurs.

— Et pourquoi ça ?

Le cavalier haussa les sourcils, l’air narquois.

— Peut-être pour savoir pourquoi tu enfreins les règles ? Tu pensais qu’il n’en saurait rien ?

Aaron grogna et marmonna :

— Bah ouais.

Le guerrier secoua la tête avant d’annoncer.

— On t’accompagne.

— Alric, je connais le chemin !

— Oui, mais moi je te connais aussi et il est hors de question que tu te barres en douce.

— Et pourquoi ferais-je une chose pareille ? Les cavaliers ricanèrent. D’accord, d’accord.

Le jeune homme se retrouva encadré tel un prisonnier.

— Non mais vous êtes sérieux ?

— Avance et tais-toi.

En silence, il suivit les Protecteurs, des guerriers entraînés au combat, formés pour protéger leur monde et les "innocents. "

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