Niveau 5 – Investigation

11 minutes de lecture

— Hé mec, insistait mon collègue, ses yeux placés au ras de la partition entre nos deux bureaux comme un espion au rabais. J’ai croisé des étrons sur le trottoir qu’avaient l’air plus frais. T’es sûr que ça va ?

Chiotte. Vraiment pas le moment d’avoir ce fouille-merde sur le dos. Je devais réfléchir à la transmission que l’interface venait de me jeter à la face. Ce truc m’avait fait ressentir des émotions et des sensations qui ne m’appartenaient pas et m’avaient même littéralement paralysé ! L’idée que mon cerveau soit tripatouillé à ce point me terrifiait. Je manquai de lâcher un rire nerveux. Quel hypocrite. Je ne me souciais pas tant des effets quand ceux-ci affectaient Sandra et ma patronne.

— Lâche-moi putain, crachai-je.

Mon collègue se crispa aussitôt. Être direct ou vulgaire n’était pas dans mes habitudes. En même temps, rien n’était dans mes habitudes depuis le début de cette journée. Les yeux écarquillés, il disparut derrière la partition en grommelant quelque chose que je ne compris pas et dont je me tamponnais sévèrement le coquillard.

Je me repassais les images de la transmission. L’interface m’avait montré, non plutôt mis à la place d’un type séquestré par deux inconnus. Peut-être plus. Avec la lumière dans la tronche, dur d’être certain. Ils cherchaient des informations, mais des informations sur quoi ? Et puis pourquoi m’avoir montré ça ? Les lunettes voulaient que j’aille sauver ce type comme je ne sais quel superhéros de la séduction ? Dans ce cas, les coordonnées de l’endroit où il se trouvait auraient été vachement plus pratiques que ce satané mal de crâne.

Je tentai un « Tu attends quoi de moi ? » mental. L’interface m’ignora royalement. « Faut que j’aille l’aider c’est ça ? ». Rien. « Il se trouve où ? ». Que dalle. « Un petit indice, quelque chose ? ». Nada.

Ok. L’interface était aussi efficace pour pécho que nulle à chier pour répondre à mes questions. Pourtant, il me fallait des informations d’urgence, je le sentais au fond de moi. Mais auprès de qui pouvais-je me renseigner ? Je n’allais quand même pas dévoiler le secret de mes lunettes au premier venu dans le vague espoir qu’il y comprenne quelque chose ? Ce n’est pas comme si les experts en cul assisté par ordinateur couraient les rues de toute façon.

Oh !

Mais quel gros tartignole. Tellement obnubilé par les capacités de l’Interface, j’avais oublié de me poser une question d’importance : par quel miracle mes lunettes avaient acquis un tel pouvoir pour commencer ? Il n’y avait qu’une seule personne qui avait posé les mains sur mes vieilles binocles avant que je ne découvre leurs capacités. Ses sales mains même. Le clodo. Si ça se trouvait, ce vieux type chelou était en réalité une sorte de Gandalf le dégueulasse ! Oui, je sais, dit comme ça, ça paraissait carrément n’importe quoi, mais depuis que je possédais des lunettes sexuelles, ma définition du mot possible s’était enrichie de quelques pages.

— Où tu vas ? demanda mon collègue alors que je me levai.

Je me contentai de hausser les épaules. Ma patronne gérerait le truc, du moins je l’espérais. La pensée que les effets de l’Interface puissent être temporaires me saisit soudain. Décidément, mon pessimisme devenait envahissant. Si ça devait arriver, ça arriverait. M’angoisser d’avance ne changerait rien à l’affaire. La priorité était de me rendre à la station de métro pour retrouver le SDF, il pourrait m’expliquer tout en détail.

Je me vautrai à moitié dans les marches de l’escalier et débaroulait comme une furie dans le hall d’accueil. La jolie Sandra ne me remarqua pas. Elle était en pleine conversation téléphonique, les yeux rougit de larmes. Oh oh, ça sentait le pâté périmé. J’approchai de son bureau et surpris des brides de sa discussion.

— Je te promets, je t’expliquerais tout ce soir. (Je distinguais vaguement une voix tonnant de l’autre côté du combiné.) Calme-toi. Je…

Yep, exactement ce que soupçonnais... et craignais. Les choses allaient décidément de mal en pire. Mais j’avais plus urgent et c’est à contrecœur que je laissais Sandra seule avec nos problèmes.

J’arrivais à la station de métro les guiboles en cotons et la gorge brûlante. Le sport et moi, ça faisait deux milles, alors après mes séances de jambes en l’air, autant dire que je fonctionnai sur la réserve. Je me précipitai à l’endroit de ma rencontre fortuite avec le magicien clodo. Bien sur, ayant usé tous les coups de bol de mon existence d’un coup avec l’Interface, je découvrais l’endroit désert, à l’exception des quelques vieux cartons. J’espérais un instant m’être planté de lieu, mais le fait d’y avoir passé quelques minutes la tête contre les carreaux avait rendu son emplacement inoubliable.

Par acquit de conscience, je retournais le minuscule foutoir qu’il avait dû utiliser pour poser son délicat postérieur a la recherche du moindre indice. Pour mes efforts, je dégotais une forte odeur de pisse froide et un vieux chewing-gum séché qui avait l’air de dater du siècle dernier. Super. Ça m’était aussi utile que de la décence dans un combat de chiffonniers.

Je tentais de fouiller dans les allées et couloirs annexes dès fois qu’il ait décidé de squatter un nouvel endroit. Sans succès. J’alpaguais même un vendeur d’un kiosque à sandwich qui aurait pu éventuellement connaitre le clochard, mais dès qu’il comprit que je n’étais pas là pour becqueter, une porte de prison aurait été plus loquace.

Et maintenant quoi ? Assis sur un banc en face de voies de métro, je me tenais la tête entre les mains. Bon sang, j’avais à disposition un pouvoir incroyable, mais rien qui me permettait de retrouver quelqu’un.

Hé, mais au fait. « Acquérir nouvelle compétence », pensais-je. Après quelques secondes, l’Interface projeta :

« Voyeurisme – Niveau 1 – Débloquer : 100 Xp »

« Lecture pensées – Niveau 2 – Débloquer : 400 Xp »

« Inversion – Niveau 1 – Débloquer : 200 Xp »

« [Compétence inaccessible] – Niveau 1 – Débloquer : 300 Xp »

« [Compétence inaccessible] – Niveau 1 – Débloquer : 500 Xp »

Je disposai de 200 Xp. Hum. Voyeurisme, inutile pour autre chose que prendre mon pied. Lecture de pensée niveau 2, inaccessible sans un supplément d’Xp. Il ne restait que… « Descriptions Inversion » lançai-je.

« Inversion – Niveau 1 : Cette compétence permet d’inverser temporairement un des goûts du sujet cible. L’intensité de l’effet dépend de l’intensité du goût affecté. Plus la cible aime quelque chose, plus inversion la lui fera détester et vice-versa. Durée de l’effet : 15 minutes. Temps de recharge : 30 minutes. »

Ce pouvoir m’évoquait bien quelques trucs cochons, mais rien qui m’aiderait à éclairer ma situation, ni à traquer quelqu’un. Je contemplais un instant l’idée de séduire des filles croisées au hasard pour récolter de l’expérience supplémentaire dans l’espoir que les compétences actuellement inaccessibles résoudraient magiquement mes problèmes. Mais aussi plaisante que soit l’idée, je me rendais bien compte que toutes les capacités de l’Interface tournaient d’une façon ou d’une autre autour du cul. Je ne risquais donc pas de débloquer la fonction GPS à clodo. Au mieux j’obtiendrai un GPS qui me permettrait de localiser un clitoris. Pratique, certes, mais vachement situationnel.

Je soupirai encore. À ce rythme j’allais me dégonfler comme un ballon de baudruche. Pourquoi je me prenais la tête à ce point ? Les images de la transmission n’étaient peut être que du vent, voir une vieille vidéo sans rapport avec rien, ou tout simplement un bug. Ou alors tout était on ne peu plus réel et ça concernait la police, pas moi. Tout ce que j’avais à faire, c’était continuer à profiter de ma veine comme si de rien n’était. Deux ombres à ce tableau : j’avais une conscience et je ne parvenais pas à chasser l’angoisse tenace qui me barbouillait l’estomac.

C’est à ce moment que je la vis. Enfin, que je l’entendis pour être plus exact. Son rire. Le genre de rire qui grince d’un enthousiasme mauvais. Comme la planque du clodo, j’aurais eu bien du mal à ne pas me souvenir de sa propriétaire.

À l’autre bout de la voie, voutée au-dessus de son téléphone portable et ricanant bruyamment, se tenait la jeune femme qui m’avait copieusement savaté la tronche. Je lançais un rapide coup d’œil aux alentours. Son pote armoire à glace ne semblait pas trainer dans les parages. Bien sûr, rien ne me garantissait qu’il ne se planquait pas je ne sais ou dans les parages, mais je n’allais pas lâcher mon seul espoir d’avoir des infos comme ça.

Les fesses serrées à les rendre infranchissables par une feuille de papier à cigarette, je l’approchai. Elle était aussi jolie et flippante que dans mon souvenir, sinon plus. Maintenant que je pouvais l’observer sans le flou artistique de ma myopie, je remarquais sa coupe longue sur le côté et rasée sur l’autre, plusieurs piercings et anneaux à son arcade droite et une foule de tatouages qui débordaient des manches de son débardeur siglé « MOTORHEAD ». Un débardeur qui ne semblait recouvrir son imposante poitrine qu’à regret d’ailleurs. Sa jupe aux franges artistiquement déchirées dévoilait ses jambes fuselées qui s’achevaient sur une paire de rangers à bout métallique. Je comprenais mieux pourquoi j’avais grave douillé. Bien évidemment, le cœur au sommet de son crâne était on ne peut plus vide.

« Mode séduction – Activé ».

Non, désactivation, pensai-je. La séduire demanderait du temps, et comme que je n’avais aucune idée d’où le mec avec laquelle elle trainait ce matin se trouvait, je ne pouvais pas m’éterniser. Surtout que s’il me voyait en train de la draguer, il ne se contenterait probablement pas de me réarranger le pif.

— Hé, salut, dis-je pour attirer son attention. Tu me reconnais ?

La beauté tatouée releva le nez de son téléphone, me dévisagea et plissa les yeux d’un air mauvais. Yep, elle me reconnaissait.

— Tu reviens me faire chier pour que je peaufine ton ravalement de façade ? cracha-t-elle. J’ai pas que ça a foutre. Casse-toi.

— Non, c’est juste…

— Juste que quoi ? Tu veux que je m’excuse ? Dégage je t’ai dit putain.

Merde merde merde, dans quoi étais je encore en train de me fourrer.

— Ton pote est dans les parages ?

Elle me fixa longuement pendant que je beuglais intérieurement « Lecture de pensée ! ».

Sa voix retentit dans mon crâne : «Bordel, ça pue. Ça a l’air d’être le genre de taré à faire des fusillades dans les écoles. Putain, Vladimir devrait déjà être revenu. »

— Ouais, alors tu ferais bien de décar.

Ok, j’avais une vilaine épée de Damoclès appelée Vladimir au-dessus du museau, je n’avais donc que quelques minutes en tête à tête pour découvrir si elle savait des trucs sur Gandalf le dégueulasse. Pas si facile sachant que, vu mes abdos au fromage et mes triceps en chantilly, elle n’avait pas vraiment besoin de renfort pour me déglinguer.

— Écoute, je veux juste des renseignements sur le clodo de ce matin et je te laisse tranquille, rien de plus.

— Et moi je veux juste être tranquille tout court.

Elle se releva et avança son visage à quelques microns du mien. Étrangement, cela n’avait rien de sexy du tout, la faute à ses yeux qui me donnaient l’impression de m’empaler au lieu de me regarder. Courageusement, je fixais l’extrémité de mes chaussures.

« Acquisition compétence inversion », pensai-je .

— Je ne veux pas d’ennui, mais c’est une question de vie ou de mort. (Je frissonnais intérieurement, je n’exagérais peut être pas tant que ça.) Tu avais l’air de plutôt bien le connaitre. Tu sais pas s’il squatte d’autres endroits ?

« Inversion – Niveau 1 : Acquis ». Yes ! Si le dieu du délit de faciès était avec moi, je tenais peut-être la solution.

Elle projeta sa main avec la vivacité d’un mioche hyperactif et chopa violemment le col de ma chemise. D’une rotation de poignet, elle entreprit de le serrer pour m’étrangler.

— Lis bien sur mes lèvres, tocard. CA – SSE – TOI.

J’agrippai sa main pour tenter de me dégager, sans grand succès. « Inverse son dégoût pour l’autorité ! » beuglais je intérieurement. « Vite s’il te plait bordel ! ».

L’interface n’afficha aucun message, mais je crus sentir un léger frisson la parcourir et voir ses pupilles se dilater légèrement. J’hallucinais peut être les choses, mais plus le choix.

— Donne… (Les mots s’arrachaient douloureusement à mes lèvres.)… moi… les infos… sur… le… clodo.

Sortir ce minuscule ordre m’avait couté tout mon souffle. Lorsqu’elle relâcha mon col, j’inspirais une longue goulée d’air qui me brûla la gorge.

— Oui, bien sûr. Désolé pour tes habits. (Elle passa sa main sur mon col pour tenter de le lisser.) Franchement, je sais pas trop ou il squatte. Ça faisait plusieurs jours qu’il trainait dans la station donc, bah, avec mon mec on avait l’habitude de le secouer pour récupérer de quoi acheter de la beuh. Mais à part ça, non, rien.

Elle haussa les épaules, l’air presque désolé de ne pas pouvoir m’aider plus.

— Et tu n’as rien remarqué d’anormal chez lui ? Le moindre petit truc qui sortait de l’ordinaire ?

Elle fronça les sourcils quelques secondes avant d’ouvrir la bouche, ravie.

— Si, je l’ai vu parler plusieurs fois à une femme. Ça m’a paru bizarre parce qu’elle était habillée genre un peu goth mais plutôt chic, tu vois. Pas franchement le genre qui a l’air de faire dans le social. Pourtant elle discutait avec lui avec une sorte de… comme un genre de respect.

— Et cette femme, tu sais ou je peux la trouver ?

— Je la croise de temps en temps, mais. (Elle fronça les sourcils à nouveau.) Hé attend, maintenant que j’y pense, je la vois souvent quand je traine dans les bars, ceux dans la rue en face de la bouche de métro là-bas. (Elle pointait une volée d’escaliers de l’autre côté de la voie.) Tu pourras peut-être la croiser.

Elle me fixait intensément, et je remarquai la finesse de ses traits une fois départis de la dureté de son attitude. Le piercing à sa narine et les anneaux à son arcade ne faisaient qu’accentuer son côté sauvage ultra sexy. Je déglutis. Arrête de penser avec ta bite on avait dit.

— Tu saurais me la décrire ?

Elle rougit légèrement et me montra l’écran de son téléphone illustré par une photo d’elle-même en train de tirer la langue et brandissant ses doigts façon corne de taureau de métalleux.

— Mieux, elle est sur un de mes selfies. Je peux t’envoyer la photo. Et d’autres photos plus intéressantes si tu veux.

Euh… quoi ?

D’instinct, je levai les yeux vers le cœur au-dessus de sa tête. Il ne manquait qu’une lichette de liquide rouge pour qu’il soit entièrement rempli. Merde, merde, merde, non ! Elle devait vraiment vraiment détester l’autorité pour réagir aussi efficacement à l’Inversion.

Je sais ce que vous vous dites. Pécho par inadvertance une fille méga sexy quand on cherche juste des informations, il y a pire comme situation à la James Bond, sauf que je ne savais toujours pas ou se trouvait son mec. Et il y avait bien plus terrifiant encore. Dans à peine plus de dix minutes, quand sa soudaine passion pour l’autorité retrouverait son état normal et que j’allais redevenir tout ce qu’elle détestait, elle ne se contenterait plus de me menacer et voudrait très certainement me transformer en tartare de geek !

J’étais donc dans le caca jusqu’aux narines, et à deux doigts de prendre une grande inspiration ! Ça puait quoi. Évidemment, parce qu’« expérimentation » et « interface du cul chelou » se marient aussi bien que « repas de famille » et « nudité », les choses partirent en sucette.

— Montre-moi sa photo, demandais-je, la panique presque palpable dans ma voix.

Son sourire s’élargit encore plus, jusqu’à dévoiler ses canines. Le genre de sourire à la frontière entre menace et séduction.

— Je peux te montrer bien plus que ça.

« Sexe Mode – Activé »

Oh !

Non !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ben Clover ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0