Jordan Twist (50)

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Vendredi 22 avril, 14h.

Je piétine sur place dans la basse-cour. Je nourris les poules et les poussins, mais mon esprit est ailleurs. C'est le dernier jour avant le week-end et même si je sais qu'il a réussi à rester en fonction ces deux petits jours aussi, je peux pas m'empêcher de me dire que dimanche à vingt-deux heures, c'est la dernière fois avant son congé.

On s'est bien améliorés depuis lundi. J'ai réussi à trouver normal de l'embrasser, même si j'ai toujours l'impression de le salir, de lui transmettre ce que m'a fait Beckett. Lui, il a toujours pas pu venir chez moi d'ailleurs, je sais qu'il est de plus en plus frustré. Il s'est trouvé un autre petit nouveau en attendant, un type qui s'appelle Howart. Même si au début il soufflait de rage en voyant notre protection à Casta et moi, maintenant j'ai l'impression qu'il se calme un peu. C'est peut-être qu'apparence, mais c'est aussi espoir.

En plus de ça, Howart - je sais pas son prénom, on a pas gardé les vaches ensemble - semble lui plaire. Il est plus petit que la moyenne, un peu baraqué, caractère de cochon mais cul d'enfer. Je m'en plains pas. Nicolas non plus d'ailleurs. Je me souviens qu'au débult de la semaine, lundi je crois, il avait été effrayé en voyant Narcis dans ma cellule en pleine après-midi. Il secouait la tête dans sa direction, l'air désemparé. Je sais toujours pas vraiment pourquoi, mais depuis que Narcis lui a parlé seul à seul, ça va mieux.

Mon petit blond est venu quelque fois dans ma cellule. Il reste pas vraiment longtemps puis repart s'enfermer dans la sienne. Par contre j'ai plus trop de nouvelles de Wilson, à part au déjeuner où il s'assoit vers moi en silence, sans faire mine de me remarquer mais en me lançant des regards furtifs.

En ce moment, Wilson est de l'autre côté de la section agri, en train de balayer la paille. Je le regarde quelques secondes puis je trouve mon Narcis, que j'ai pas vu de la journée encore, qui se dirige vers lui. Il s'y plante, bras croisés, et semble attendre que le détenu ouvre la bouche. Alors je m'approche discrètement.

  • Quoi ? Vous voulez encore vous mêler de ce qui vous regarde pas ? siffle Wilson.

J'ai presque envie d'aller lui en coller une. Mon policier lui répond seulement d'une voix calme, presque indifférente.

  • T'iras en isolement. Une journée. En plus de tes travaux d'intérêt général.
  • Quoi ?! Pourquoi ?!
  • Tu sais pourquoi.
  • Non, je sais pas !

Je sens qu'il s'énerve, je suis prêt à intervenir.

  • Agression sur agent. Un jour d'isolement et quelques heures de travaux d'intérêt général, dit à nouveau notre surveillant.

Je vois Wilson s'approcher dangereusement de mon amant et je serre les dents. Je peux pas l'entendre d'ici. Les traits de Narcis se referment, son dos se redresse. Je m'approche ; cette fois je compte intervenir. La mâchoire de mon surveillant est serrée lorsqu'il lui répond.

  • C'est quoi ton problème, Wilson ?
  • C'est quoi le vôtre ? Arrêtez de vous mêler de ma vie et je ferai pareil avec vous !

Il a les phalanges blanches tellement elles sont serrées. Je m'interpose.

  • Duncan, tu sais quoi, va prendre une pause, je lui dis sur un ton d'avertissement.

S'il me lance la moindre provocation, je sens que ma main va partir. Et il a l'air de retenir très fort des mots acerbes avant de se détourner et de disparaître dans la grange. Narcis me jette un regard, puis il se lance à sa suite. Ok, là je suis perdu. Il veut vraiment confronter Wilson ?! Je les suis encore, d'assez loin cette fois. Il veut pas que j'intervienne ? Bien ! Il a qu'à faire ce qu'il veut !

  • C'est quoi ton putain de problème, Wilson ?! reprend Narcis quand ont est tous les trois à l'intérieur.

Il s'arrête à quelques pas de son interlocuteur.

  • Tu agresses un agent, et je peux pas venir te dire la sentence ? C'est pas ma faute si tu fais le con, je te signale ! Je m'en contrefous de ce que tu fais de ta vie, et t'as en aucun droit de te mêler de la mienne !
  • Vous me faites tous chier, merde ! Foutez-moi au trou si ça peut vous faire du bien, j'en ai rien à foutre !
  • Ben tant mieux parce que c'est ce qui t'attend !
  • Putain !

Wilson s'énerve - je l'ai jamais vu aussi à cran - et il claque la porte des toilettes quelques mètres plus loin. Alors Narcis se retourne vers moi, fulminant.

  • Pauvre con, il crache avant de faire quelques pas dans ma direction.
  • Quoi, moi ?

Je me recule un peu, hésitant. Ça sent fort la testostérone, je veux pas d'emmerdes.

  • Non, pas toi, il grogne en roulant des yeux, puis il s'arrête en voyant mon mouvement de recul.
  • Ah. Ok… je souffle, rassuré. Je suis désolé, j'ai cru, j'ai pensé que...

Je sais pas où me mettre. Lui il refait quelques pas, à sa gauche maintenant, puis va se laisser tomber sur une botte de foin encore attachée. Je regarde autour de moi ; personne. Je m'accroupis en face de lui. Il souffle un coup avant de passer sa main dans mes cheveux. Je ferme à demi les yeux.

  • Ça va… je dis d'une voix rassurante.

Il hoche doucement la tête en continuant à caresser mon crâne. Je pose ma main sur sa cuisse. Je profite de l'absence des autres.

  • Il a passé une très mauvaise semaine… j'essaie de justifier un peu.
  • M'en fous. Il doit payer pour ses actes. Bill a eu un mal de chien.

Il grimace en resserrant ses doigts sur mes cheveux pour m'approcher de lui ; puis il relâche pas sa prise. Je jette toujours un œil et j'écoute attentivement pour pas rater des bruits de pas.

  • Pourquoi il l'a agressé ?

Il souffle et défait progressivement ses doigts de mes cheveux.

  • J'en sais rien.
  • Il avait peut-être une raison... Il a vraiment pas besoin d'être emmerdé en ce moment. J'ai failli me prendre un coup aussi pour lui avoir dit d'arrêter de tirer la gueule…
  • Mais j'm'en fous de ses raisons ! On agresse pas un agent, ça vaut pour tout le monde pareil !
  • Je sais, je sais... je serre sa cuisse. Je sais.

Il souffle une nouvelle fois, les yeux fermés. On dirait qu'il fait redescendre la pression.

  • Quand tu viendras me voir je te ferai un massage, d'accord ? je murmure.

Ses lèvres se retroussent sans que ses paupières aient bougé.

  • J'adorerais.
  • Tu verras, ça t'apaisera bien, je dis d'une voix douce.

Il mime un merci de ses lèvres, puis son regard se fixe dans le mien.

  • J'aurai des bisous, aussi ?
  • Oui. Autant que tu veux.
  • Cool. J'aime ça aussi.

Il me sourit en me regardant depuis sa botte de foin. Sa main vient se poser doucement sur la mienne, puis il l'apporte à ses lèvres pour la baiser. Je rougis un peu, j'ai l'impression d'être une gamine devant son premier amour. À ma gauche, la porte des toilettes s'ouvre et va claquer sur la cloison dans un grand fracas. Wilson en sort toujours aussi en colère et je le prends aussitôt à parti en le tirant par le bras sans ménagement. Narcis se relève tout de suite et se poste à mes côtés, prêt à défendre. Je pose une main rassurante sur son bras.

  • On va discuter seul à seul. Ensuite il reviendra pour aller en isolement.

Mon policier jette encore un regard furieux sur Wilson, puis il recule d'un pas.

  • Ok. J'attendrai dehors.

Il pose un baiser sur ma joue, les yeux sur l'autre prisonnier, puis s'en va.

  • Bon.

Je croise les bras. Il me scrute de haut en bas, le visage tout rouge.

  • Quoi ? Qu'est-ce que t'as ? Toi aussi tu veux t'mêler d'ma vie ?
  • Moi je m'en fous je pense à Casta.

Son air devient d'autant plus sévère.

  • Quoi, lui aussi il est dans l'coup ? Qu'est-c'qu'il a maintenant ? Il a plus personne pour aller le voir ça y est ?
  • Je vais le voir, mais c'est pas comme toi, je siffle. Bouge ta fierté mal placée, va réfléchir au trou 24h pour tes conneries et va ensuite t'occuper de Casta qui a vécu les pires jours de sa vie.
  • M'occuper de Casta ? il crache. La bonne blague.

Il donne un coup d'épaule et s'enfuit de ma poigne.

  • Bouge pas ! je grogne. Moi aussi je peux être méchant, Duncan. Fais ce que je te dis. T'es écœurant à penser qu'à ton cul, si t'étais dans son état tu te serais laissé crever, je m'énerve.

Il se retourne d'un coup, fonce sur moi avant que j'ai pu bouger et me plaque contre le mur de la baraque, ses mains sur mes épaules.

  • Je suis écoeurant ? Je pense qu'à mon cul ? JE PENSE QU'À MON CUL ? JE PENSE À SON PUTAIN DE CUL DEPUIS DES JOURS. ET LUI ? IL ME FOUT DEHORS. Il est jamais venu me voir. Il a jamais donné un signe. Et moi ? Moi comme un bleu je lui propose des, des putain d'idées pour le faire aller mieux ! Je suis qu'un con, va !

Il me lâche après avoir claqué un bon coup mon dos contre la palissade en mettant toute sa force sur mes épaules. Je frotte le haut de mon dos, je sens déjà venir l'hématome.

  • Tu lui as même pas laissé une chance, je siffle. T'as joué les gosses vexés parce que ce gamin sait pas exprimer ses émotions.
  • Je lui ai laissé une semaine, Jordan. Il avait, je lui ai proposé d'aller avec lui à l'infirmerie. Je lui ai dit que j'étais là. Il en a pas voulu.
  • Il a pas voulu aller à l'infirmerie avec toi ?! Tu déconnes ?! Ça fait une semaine qu'il repousse parce qu'il t'attend !

Tout à coup, je vois la chose la plus bizarre qu'il m'ait été donné de voir de la journée. Il rougit.

  • C'est vrai ?

Je penche la tête de côté.

  • Oui.

Il acquiesce vivement.

  • J'irai. Tout à l'heure. Tu dis qu'il voudra me voir, alors ?
  • Bien sûr qu'il voudra te voir. Il m'a dit qu'il voulait te parler d'un truc. Mais t'es au trou jusqu'à demain.

Son visage se décompose. Il tourne en rond comme un lion en cage, mains dans ses cheveux.

  • Merde, merde, merde. J'y pensais pas, plus, merde.

Il se tourne vers moi d'un coup.

  • Demande à Parker. Demande lui de me laisser voir le p'tit avant d'y aller.
  • Je peux essayer. Mais tu devrais assumer tes conneries. Ça t'apprendrait.

Ses poings se resserrent, puis il se relâche.

  • Ben vas-y maintenant !
  • Me parle pas comme ça si tu veux un service aussi gros, je menace.

Il roule des yeux et continue de marcher de long en large dans la grange, mâchoire serrée. Je lui lance un dernier regard d'avertissement avant d'aller rejoindre Narcis dehors. Il attend debout, bras croisés vers le clapier, plus loin. Ses doigts tapotent son coude et lorsqu'il jette un regard rapide vers l'établissement, puis il m'envoie un sourire et arrive vers moi. Je garde la distance nécessaire ; dehors on sait jamais.

  • Il est prêt à aller au trou. Mais il... voudrait voir Casta avant…
  • Et moi je voudrais un jet privé. Deux choses qui sont pas prêtes d'arriver, grogne le policier en se dirigeant vers la grande porte en bois.
  • Attends... Attends, je triture mes doigts. S'il te plait. Juste deux minutes. Ça le calmerait un bon moment. Il serait plus tranquille après.
  • Fallait y penser quand il a agressé Bill, Dan.
  • Je sais. Je sais, et il va assumer. Il ira pour vingt-quatre heures, je parie qu'il serait prêt à y aller pour quarante-huit pour voir Casta avant. Ils ont un truc Narcis…
  • Écoute... j'en ai marre d'être sympa avec lui pour être traité comme de la merde au final. Je peux pas faire confiance à ce type, il le prouve à chaque fois, il soupire.
  • Pense plutôt dans l'autre sens... Si c'était nous... Tu voudrais me voir avant non ? Si on s'était disputés, séparés depuis une semaine...

Il expire encore longuement, menottes en main.

  • Tu lui fais confiance comme ça ?
  • Je le connais depuis des années.
  • L'un et l'autre sont pas forcément liés, il grommelle. Je verrai ce que je peux faire, il rajoute avant de s'engouffrer dans l'habitacle.

Je soupire. C'est à Narcis de décider, j'ai fait ce que j'ai pu. Quelques secondes plus tard, ils ressortent, le policier derrière le prisonnier menotté. Mon amant me jette pas un coup d'oeil puis s'en va par la porte de l'atelier, le pas déterminé.

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