Nicolas Casta (48)

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Mercredi 13 avril, 12h10.

Il a osé. J'y crois pas. Mes pleurs redoublent et je cache mon visage. Ce que j'ai honte, putain j'ai honte. Me regarde pas, me regarde pas Wilson. Je vois pas ce qu'il fait, j'entends rien non plus. Il a pas l'air de bouger. Enfin je sais pas. Je le regarde pas.

Je me recroqueville encore sur moi-même, toujours dans la même position que celle où m'a laissé Twist. Ce traitre…

J'entends ses pas lourds s'approcher de moi, puis ils s'arrêtent pas loin ; je les ressens, je suis encore par terre. J'ai envie de relever les yeux sur lui, juste pour lui montrer que j'suis pas faible, mais je veux surtout pas qu'il voit mon visage et malgré mon bricolage y a encore trop de lumière.

  • R'lève-toi Nicolas, il dit d'une voix douce.

Il a totalement perdu la véhémence qu'il avait pour les gardes, il est même bien plus apaisant que d'habitude. Je me demande quelle tête il a, maintenant. Si il est encore autant indifférent qu'au tout début de mon séjour, ou s'il a le sourire narquois qu'il prend quand il est avec Dan et moi.

  • Je suis pas faible Wilson, je dis d'une voix que je veux sûre.

Mais je sais plus qui j'essaie de convaincre.

Je sens ses doigts qui effleurent les cheveux du haut de mon crâne.

  • Me touche pas ! je me redresse d'un coup sur mes jambes.
  • Quoi, tu vas faire quoi hein ?

Je sais même plus ce que je dis. À vrai dire j'ai du mal à le voir, les yeux brouillés par mes larmes. Et ça fait un moment que j'ai pas mis mes lentilles.

Je sais juste qu'il reste là, à me fixer sans rien dire. Je crois qu'il m'analyse. Je baisse les yeux et me retourne. Il m'a vu. Merde. Comment je peux dire que je suis pas faible maintenant ? J'ai une tête de merde, j'ai mal partout, j'ai encore plus l'air d'un gamin martyrisé. Alors quoi ?

  • Alors quoi ? je répète à voix haute. T'as pitié ou t'as honte pour moi ?

Je reste dos à lui. Je veux PAS qu'il me voit !

  • Dis pas d'connerie.

Sa main se pose sur ma hanche et il me demande de venir vers lui.

  • Quoi ? Tu veux que je te suce, c'est ça ?

Son contact fuit aussitôt, sa voix est plus dure quand il prend la parole.

  • Pourquoi t'as pas voulu m'voir ? Jordan était bien là, lui ! il s'énerve.
  • Et alors ? T'es jaloux ptêt ?!

J'essaie d'avoir l'air sûr moi aussi. Merde, c'est pas facile. Je vais faire ça, ouais. Le faire fuir en l'énervant.

  • Pourquoi t'as pas voulu ?! Il s'inquiète pas autant pour toi ! Il est pas v'nu te voir tous les putains d'jours comme moi ! J'AI TOUJOURS ÉTÉ LÀ !

Je me retourne, j'y peux rien, faut que je le voie, que je voie son expression.

  • J'voulais pas te voir, je te l'ai déjà assez dit !

Mensonge.

Je l'observe. Ses poings étaient serrés, un levé en l'air. En m'attendant il les a laissé retomber le long de son corps. Il a un air bizarre, tout d'un coup. Puis il se reprend.

  • Tu m'as jamais parlé ! J'avais l'oreille collée à ta porte ! il hurle.
  • C'était pas clair comme message !? je crie.

Une expression de rage envahit son visage, je pense qu'il essaye de la contrôler en vain.

  • Et pourquoi t'aurais fait ça, hein ?!
  • Je- j'voulais pas- j'voulais pas…

Je me sens mal, d'un coup.

  • Pourquoi t'as vu tous les autres sauf moi ?! il s'approche. C'quoi ton problème avec moi ?!
  • J'ai pas vu tous les autres, tu dis…

Je perds l'équilibre. Non, je veux pas. J'essaie de reprendre le contrôle.

  • Tu dis n'importe quoi...

À la seconde où je flanche une deuxième fois, les mains de Duncan entourent mes hanches pour me retenir à lui puissamment. Il a seulement fait un pas en avant, vif, et il m'a attrapé pour m'éviter de tomber. Et maintenant il me serre, il me retient. L'une de ses mains remonte même pour tenir mon crâne.

  • Je suis pas faible, je souffle.

Il répond d'une même voix qui caresse mes cheveux, il est bien plus grand que moi.

  • Ça m'est égal.

Puis il rajoute quelque chose beaucoup plus bas que je distingue pas à travers mes petits geignements.

  • Quoi ? je demande, mais je sens que je perds connaissance. Me fais pas sortir, je dis le plus vite possible.

Ses mains se resserrent sur moi, j'ai l'impression que je flotte tout d'un coup. Et puis je sombre...

Quand je rouvre les yeux, je suis allongé sur mon lit. Je regarde autour de moi, c'est trop lumineux ici. Je comprends que quelqu'un a enlevé les coussins que j'avais utilisé pour cacher la lumière pour les mettre sous ma nuque.

Je papillonne encore un peu des paupières, puis je vois Dan et Duncan assis à mon bureau en train de parler tout bas. Ils ont l'air plutôt calmes, mais parfois le ton monte entre les deux, sans que je puisse comprendre leur échange. En voyant mon mouvement vers eux, les yeux de Twist se fixent sur moi. Il se relève et s'assoit à côté du lit par terre. Il fait souvent ça Dan. Il vient ébouriffer mes cheveux.

  • Ça va ?

En le regardant, je vois aussi Duncan dans mon champ de vision. Il me scrute. Il rate pas un mouvement.

  • Encore un peu et je t'aurais amené à l'infirmerie. Tu devrais vraiment y aller. C'est pas normal de tomber dans les pommes comme ça.

Duncan acquiesce derrière lui, sans bouger de son fauteuil. Il a un air un peu dur. Je pince les lèvres.

  • J'ai dit que je voulais pas !

J'essaie de donner de la force à ma voix mais c'est raté. Le sourcil du grand brun se relève pendant que Dan soupire à mes côtés.

  • Vous voulez juste me trahir, vous voulez même pas, je savais que c'était pas une bonne idée de vous voir.

Je me retourne dans mon lit.

La chaise à mon bureau racle le sol avec une certaine violence, puis il y a un moment de silence et j'entends Duncan se rasseoir lourdement. J'ai cru qu'il partirait. Merde. Je veux plus les voir. C'est des traîtres, surtout Dan. Ils ont pitié de moi, j'en étais sûr. C'est pas ce que je voulais.

  • Le flic de Dan m'a dit que t'allais mieux. Ca a pas l'air d'être vrai, annonce le plus vieux de sa voix grave - ça me foutrait presque un frisson - mais aussi... préoccupée, peut-être.
  • Je vais bien !

Son ton monte d'un cran.

  • Alors pourquoi t'es tombé comme une feuille dans mes bras ?!

Je me recroqueville. J'en sais rien.

  • J'ai fait une chute de tension, ça arrive à tout le monde…
  • Je parie que c'est pas la première.

Sa voix est cynique maintenant. Dan reste muet, lui.

  • Et alors ? Je suis toujours vivant, c'est pas grave !
  • T'en sais rien !

Il s'est relevé d'un coup, ça a fait un gros bruit.

  • Et arrête d'me dire de m'calmer, toi ! Tu vois pas qu'il a un putain d'problème ?!

Je fronce les sourcils, puis je comprends que le ton virulent est destiné à Jordan.

  • Je vais vous laisser. Vous avez des trucs à vous dire. Et me reparle plus jamais comme ça, j'entends siffler Twist de cette voix qu'il prend quand il est vraiment calme et vraiment en colère.

Un long silence suit sa déclaration.

La porte s'ouvre et se referme. Et je me sens encore plus vulnérable. Des pas approchent, lents et mesurés, puis mon lit s'affaisse.

Je me retourne enfin pour lui faire face. C'est rare qu'on soit seuls tous les deux, en fait. Y a au moins Dan la plupart du temps. J'ai l'impression que son regard me couve, tout à coup. Qu'il est là pour me soutenir, sans même me toucher ou faire un geste tendre.

  • Tu sais pourquoi t'as fait ce malaise ?
  • Non. Je me sens fatigué ces temps.
  • Tu manques p't'être de quelque chose. Il a dit quoi, l'infirmier ? T'as pas des trucs à prendre ?
  • Juste des anti-douleurs. Il a dit d'aller le revoir mais je veux pas.
  • Mais il te soigne. Il s'est passé un truc là-bas ? Il t'a touché, il te met mal à l'aise ?!

Son ton est monté à nouveau, ses yeux ont changé d'expression.

  • Je veux que personne me touche !
  • Il a p't'être pas besoin d'te toucher !
  • Bien sûr que oui, il veut vérifier les lésions !

Et je recommence à pleurer. J'en ai marre, y a pas un médoc pour ça ?

  • Alors c'est qu'c'est important ! il commence en criant un peu, puis il souffle et je le sens s'adoucir.

Sa main se pose même sur mon bras.

  • C'est infirmier. Il faut qu'il voit c'qui va pas. Une fois qu'c'est fait, c'est fait. Tu peux pas juste t'évanouir comme ça, t'pourrais tomber n'importe où, sur n'importe quoi. C'est lui, l'problème ?

Sa main se balade une seconde de haut en bas de mon bras, puis il la retire.

  • C'est pas lui, c'est d'être touché, j'explique timidement. Je veux plus qu'on me touche. Je veux plus qu'on abuse de moi. Je veux plus donner cette impression qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent.
  • Mais un infirmier va pas abuser de toi. Il doit faire c'qui est bon pour toi. C'mec c'est pas un de ceux d'la prison. Tu vois la différence ? Je, je veux bien t'accompagner là-bas s'tu veux. Pour surveiller qu'il abuse pas ou j'sais pas quoi. On s'ra là aussi dehors avec Twist. (Il a grogné son nom). Mais le doc c'est important. Parce qu'on s'inquiète pour toi nous.
  • Je veux pas que vous vous inquiétiez. Ça va, c'est bon. Je suis vivant ok ? (Malheureusement). C'est tout ce qui compte non ?

Il secoue la tête et repose ses doigts une seconde sur moi.

  • S'tu veux pas qu'on s'inquiète tu dois aller faire un bilan à l'infirmerie.
  • Qui te dit qu'il profite pas quand il me touche ? Qui dit qu'il pense pas à des trucs lui aussi ?
  • J's'rai là pour surveiller.
  • Je veux pas que tu voies ça…

J'hésite. J'ai encore montré le bas de mon corps à personne et ma tête à côté, c'est magnifique.

  • Mais moi j'préfère m'assurer qu'ça se passe bien.

Il a l'air de clore cette discussion, alors j'ajoute rien non plus. C'est vrai que ça me rassurerait qu'il soit là. Je me sentirais moins seul, moins faible.

  • J'suis content de pouvoir enfin te voir, il dit après un moment à me scruter de ses yeux qui me transperceraient presque.
  • Pourquoi tu voulais tant me voir ?
  • Pour être certain qu'tu allais pas trop mal.

Il hausse les épaules comme si c'était une évidence, puis il se remet à caresser mon bras du bout des doigts. J'aime beaucoup les câlins, les câlins sans arrière pensée, alors ça me dérange pas.

  • Et tu te sens mieux alors ?

Il m'offre un sourire pour la première fois en acquiesçant. Puis son visage se referme un peu, sans préavis.

  • Même si tu vas pas bien. Au moins t'as été sur pieds. J'savais pas comment ça se passait ici, vu que tu m'laissais pas l'savoir.

Il m'envoie de gros yeux.

  • J'avais besoin d'être seul...

Son sourcil se relève puis se fronce aussitôt.

  • Tu m'as pas parlé une seule fois non plus. T'aurais pu t'vider d'ton sang après une chute que je s'rais resté derrière la porte à hurler comme un con.
  • Les gardiens venaient vérifier.
  • J'crois pas en eux.
  • Même pas en Parker ?
  • J'l'aime bien mais ça veut pas dire qu'il est droit dans ses bottes et qu'il ment pas.
  • Il mentirait pas si j'étais en train de crever tu crois pas ?
  • Peut-être qu'il le f'rait si t'étais mal.
  • Ouais, mais tu le saurais si c'était grave.

Il hausse les épaules, détourne les yeux puis me fixe à nouveau en arrêtant sa main.

  • Je voulais l'voir. J'crois que ce que j'vois.
  • Et tu vois quoi ?

Il sourit seulement en recommençant des caresses plus haut, sur mon épaule.

  • T'aimes pas ce que tu vois ?
  • J'aime pas ces bleus, là. (Il touche ma mâchoire et mes pommettes). Le reste me va bien.

Je grimace.

  • Ok. Tant mieux. T'es rassuré.
  • Ouais. Mais ça veut pas dire que j'vais me barrer maint'nant, il m'avertit.
  • Pourquoi ? Tu veux quoi de plus ?

Son sourcil se hausse, le coin de sa bouche le suit. Il affiche un air malicieux en enlevant totalement sa main de mon corps.

  • Tu m'proposes quelque chose ?
  • Je peux pas te sucer, j'ai trop mal au visage et aux genoux.

Il penche la tête de côté et avance sa main vers la mienne, tout doucement.

  • T'en aurais eu envie ?
  • Ouais, ptet. Ça m'aurait fait penser à autre chose.

Il rigole tout doucement et arrête de bouger.

  • J'te demande pas ça, de toute façon. J'en ai pas envie. Ça t'fait quand même plaisir, que je reste ?
  • Ça passe le temps.

Je hausse les épaules. Il me fixe, attend quelques secondes, puis il se tend. Son visage est redevenu beaucoup plus dur, comme s'il montrait plus d'émotions.

  • Quoi ?

Je fronce les sourcils. Je vais devoir m'excuser qu'il ait voulu défoncer ma porte maintenant ? Je lui ai rien demandé moi.

  • Tu préfères que j'parte ? Ca t'est égal qu'ce soit moi qui sois là ?

Sa mâchoire est si tendue que j'ai l'impression qu'il a des difficultés à la faire bouger.

  • Non, ça m'est pas égal. C'est bien. Mais pas si tu fais la gueule.

Il bondit sur ses pieds.

  • C'est toi qui dis que ça passe le temps ! Pas que ça te fait plaisir !
  • Mais c'est bien non que ça passe le temps ? Je veux pas d'un mec vexé ! je finis par m'énerver. T'as qu'à sortir, j'ai besoin de me changer les idées moi, pas de me prendre la tête !

Je me retourne de nouveau dans mon lit. Ça y est, je suis énervé. Je savais que j'aurais pas dû le laisser entrer. C'était même pas mon idée d'ailleurs, j'avais dit à Dan de pas le faire venir.

Soudain, la porte claque.

Je me referme encore plus, coincé dans mon lit. Je suis vraiment lassé de la vie.

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