Daniel Twist (29)

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Mercredi 23 mars, 21h.

J'ai réfléchi toute la journée. Ça fait bientôt dix ans. Comment mieux honorer sa mémoire qu'en tuant son assassin ? Comment tuer son assassin sans que personne sache que c'est moi ? Comment réussir à ne pas le tuer ? Ça a tourné en boucle toute la journée. Et j'ai une petite idée de quoi faire.

Alors que je réfléchis à mon plan, j'espère qu'il est pas trop tard. J'espère que ça marchera. J'ai déjà parlé à Boï. Ça va me coûter cher. J'ai aussi vu Felst, il est de la même veine que Boï. À deux ils devraient pouvoir y arriver... J'ai juste peur du prix.

Je suis allongé dans mon lit à lire La petite Fadette. Je continue de penser et je me rends compte que je lis la même ligne depuis cinq minutes. Je vais me remettre à mon dessin. Quand je m'assois, je vois qu'il est plus de vingt et une heures ; et quand je relève les yeux, une grosse heure est passée. Alors je sais qu'enfin il peut arriver à tout moment et je me tiens à l'affût, me redressant au moindre pas contre ma porte.

Quand je crois reconnaitre les siens, j'entends finalement la porte de Walter qui s'ouvre à côté de la mienne. Il va falloir que je patiente. Alors j'essaie de finir mon dessin sans le bâcler. Plus que quelques touches. Après un moment, j'y tiens plus. Je jette un regard à la porte, toujours close. Et là je le remarque. Le bout de papier. Je me jette dessus, et je l'ouvre.

Je pense à toi, N.

Je souris comme un idiot. Je l'embrasse comme un idiot. Et je le renifle même comme un idiot. Je danserais presque en le brandissant, mais je préfère le poser sur mon bureau, bien en vue pour finir mes couleurs.

Je le regarde parfois tout en peignant, comme pour mieux me souvenir que c'est pour lui. Je regarde l'heure ; 22h30. Je peux dire que je l'ai terminé. Je souris de toutes mes dents en l'observant, faisant les dernières corrections. Ça sent la peinture dans toute ma cellule.

À ma droite, j'entends quelques sons, surtout la voix de Walter qui est plus bourru. Puis sa porte se referme. Est-ce que c'est mon tour ? Je m'assois devant la porte, plus impatient qu'un chiot.

Puis, alors que je la fixe avec intérêt, elle s'ouvre lentement pour laisser passer le sourire de Narcis, et je le lui rends aussi d'en bas. Il referme derrière lui et s'y adosse.

  • Je pourrai pas rester longtemps, tout de suite. Mais je reviendrai, il m'avertit, le regard porté vers le sol, sur moi.
  • Ouais. D'accord.

Je tends la main mais lui fait pas un geste vers moi, il sourit seulement bêtement.

  • Qu'est-ce que tu fais, par terre ?
  • Je t'attendais, je dis fièrement.
  • Au sol.
  • Ouais. Ça me semblait plus proche de la porte.

Il lâche un rire joyeux, hoche la tête et me tend la main. Je l'attrape et le fais tomber sur moi, le réceptionnant au passage. Je l'enlace fort et il me rend vite la pareille.

  • Tu m'as manqué.
  • Toi aussi.

Ses lèvres se posent sur ma tempe.

  • T'as déjà parlé de moi à quelqu'un ? je demande d'un coup.
  • Toi ? Toi comme... toi ?
  • Ouais, il acquiesce en frottant son nez à mon cou.
  • C'est vrai ? Qui ?
  • Lucie, il fait d'un souffle chaud.
  • Okay... C'est, je suis content… je le serre fort. Je suis content que t'en aies parlé. Que ça ait de l'importance pour toi... Que ce soit réel ailleurs que juste pour nous deux.
  • Bien sûr que ça l'est, il fait, et je sens la sincérité dans sa voix.
  • J'aurais voulu me confier à quelqu'un aussi. Parce que c'est beau ce qu'on vit et... Tu sais. Ça m'aurait fait du bien d'en parler. De partager ça.

Il se redresse un peu pour scruter mon visage, toujours serré entre mes bras.

  • Ça t'aurait fait du bien ? Comme, au passé ? Tu peux en parler. Je veux dire, Casta ? Tu pourrais lui dire. Non ?
  • Non. Tout le monde trahit tout le monde ici.
  • Mais... Tu voudrais encore le partager, mh ? Tu, tu en as envie, ouais ?
  • Bien sûr. Bien sûr, je veux juste dire que j'aurais aimé avoir quelqu'un en qui avoir confiance pour le dire.

Il hoche très lentement la tête, comme s'il était en pleine réflexion.

  • Tu peux avoir des visites.
  • Des visites ? J'ai jamais de visites. Personne vient me voir à part mon avocat une fois par an.
  • Mais tu peux. Théoriquement. Tu voudrais que ta sœur vienne ?
  • Elle voudra jamais. Elle me déteste.

Narcis fait une moue et caresse ma joue.

  • Tu crois qu'elle te déteste ? Tu voudrais voir Lucie ? Tu penses qu'on peut ?
  • Ton amie Lucie ? Oui, mais... S'ils savent qu'elle te connait ils feront le lien...

Je vois qu'il réfléchit encore sans rien dire.

  • Je demanderai à Julien.
  • Julien est au courant ?!

Narcis ouvre de grands yeux.

  • Pourquoi tu le supportes pas comme ça ? il m'interroge en se laissant glisser pour finir flanc sur le sol, désormais plus qu'à demi sur moi…
  • Parce que- enfin c'est pas- je supporte personne à part toi ici, je lui murmure. C'est juste... juste qu'il pourrait en parler et on pourrait plus se voir.

Il hausse un sourcil peu convaincu.

  • Tu l'aimais déjà pas avant.
  • Il m'a jamais vraiment porté dans son coeur, je grince.

Narcis continue à faire son curieux en se relevant.

  • Pourquoi ?
  • Je sais pas. Quand je suis arrivé j'ai tout de suite essayé de tuer Randall. J'ai été un peu violent, agressif. Il m'a tout de suite catalogué comme un connard dangereux. Il est mauvais avec moi.

Mon policier m'a attiré sur mon lit pendant que je lui expliquais.

  • Alors… il dit en s'asseyant sur mes cuisses. Heureusement que je suis deux fois plus bon avec toi, pour compenser. (Il hoche la tête pour lui même). T'as pas l'air accueillant, de prime abord.
  • Tu m'as jamais redit ce que t'as pensé de moi la première fois.
  • Pas ce que je pense maintenant, en tout cas, il murmure contre mes lèvres, sans les toucher. (Il redresse son dos pour continuer). Que t'étais une brute, violent, dangereux, à surveiller et avec qui pas avoir d'ennuis. Je crois que c'était à peu près ça. Surtout quand tu regardais Randall.

Il marque une pause, puis il reprend :

  • Et moi alors ? Je me souviens, t'avais dit... Un petit con sexy qui se la joue. Et aussi qu'au final, je me la jouais pas tant. Je veux des explications.

Il papillonne des yeux. Je souris de toutes mes dents.

  • J'avais raison, t'étais bien sexy. Encore plus que je pensais.
  • Ouais ? Je suis sexy ?

Son souffle chaud s'écrase sur mon oreille ; puis il relève son buste à nouveau, avant que j'aie le temps de répondre.

  • Pourquoi un con prétentieux ?
  • Je sais pas. T'avais cette façon de fixer tout le monde et je te voyais me fixer aussi. On savait direct que t'avais été flic, je souris.
  • Et ça me rendait prétentieux ? Je le suis encore, alors ?
  • Non. T'es confiant.
  • Et un con ? Parce que j'étais flic ?
  • Ouais. Peut-être bien.

Il hausse un sourcil.

  • Alors je suis encore un con. Je peux pas changer ça. J'étais de toute manière flic.
  • J'ai changé d'avis sur certains flics.

Il lève les yeux au ciel puis se recouche sur mon torse et les ferme.

  • Ton flic est crevé, il marmonne.
  • T'as mal dormi ?
  • Mh. Et j'ai encore un moment avant de dormir, moi.
  • Mais t'as dormi la journée. Non ?

Je caresse ses cheveux. Il ronronne et me remercie de ses lèvres sur mon cou.

  • Moyen.
  • Oh. Tu veux dormir avec moi une heure après ? Je surveillerai.

J'ai l'impression qu'il sourit contre ma peau.

  • Je suis en sécurité, pour dormir avec toi ? il raille.
  • Plus qu'avec n'importe qui d'autre.

Je grignote son cou et il l'étire pour que je puisse continuer.

  • On verra, alors.
  • J'aimerais bien te regarder dormir...

Il rigole.

  • Tu me ferais presque peur.
  • Tu crois que je te tuerais dans ton sommeil ? J'aurais eu largement l'occasion de le faire avant, je ris.
  • Justement. T'as attendu jusqu'à ce que je sois en confiance. T'es même allé jusqu'à me sucer, tu te rends compte ! Un plan machiavélique.
  • Machiavélique ouais, je me marre. On a encore trop de trucs à faire avant que je me débarrasse de toi… je lui susurre ensuite.

Ses jambes se resserrent autour de mes cuisses.

  • Hanw. Que de promesses.
  • Ouais. Je compte les tenir...

Il envoie un petit coup de rein sur mon bassin pour appuyer ces propos puis se redresse avec un baiser sur ma joue.

  • Il faut que j'y aille.
  • Ouais… je souffle, la voix rauque. On se voit après.

Il gigote des hanches juste pour me faire envie, le regard toujours luisant et coquin.

  • Je sais pas quand je reviendrai. Alors dors, je te réveillerai. Je compte sur toi, il fait en se levant finalement pour me laisser seul sur le lit.
  • Je compte sur toi aussi...

Il hoche la tête comme un de ces mecs de l'armée, le visage sérieux et je me recouche dans mon lit en le regardant partir. Juste avant de passer la porte, il m'envoie un baiser et un clin d'oeil, puis il disparait, et je m'endors rapidement, pensant à quand je pourrai l'embrasser.

Vers une heure, il y a pas mal de bruit dans les couloirs. Je fixe mon réveil un moment, mais pas de trace de Narcis. Je me rendors plus difficilement, cette fois.

C'est qu'à plus de deux heures trente que je sens sa présence à côté de moi, directement sous les draps. Je lâche un son de confort ; j'aime reconnaître son odeur et son toucher, sur ma cuisse. Je me réfugie entre ses bras nus. Il me serre et son autre main part caresser mes cheveux.

  • M'as manqué…
  • Toi aussi. Beaucoup, il me murmure en se décalant pour prendre plus de place.
  • Suis content…

J'embrasse son torse inconsciemment.

  • Ouais, il pouffe. Moi aussi.
  • T'aime fort Narcis. Ma raison de vivre, je souffle en refermant les yeux.
  • Mh. Moi aussi, il chuchote à mon oreille. Je suis heureux d'être ta raison de vivre, 'dan.

Mais je l'entends pas. Je dors déjà.

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