Narcis Parker (27)

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Mardi 22 mars, 23h45.

Ça fait bien une heure que j'ai passé la porte de sa cellule. À ce moment-là, je croyais bien que vendredi soir, j'aurais plus à la passer. Maintenant, j'ai de l'espoir.

Ça fait un petit moment qu'on est enlacés tous les deux, peau contre peau, sous les draps. Julien sait que je suis ici, il travaille avec moi cette semaine et je pense qu'il me couvrira. Martin doit savoir aussi, à l'heure qu'il est. On a un peu parlé il y a quelques jours, et je crois qu'il dira rien non plus. Il sait pas pourquoi j'y suis, juste que je dois y être. J'ai repris contact avec Guillaume, aussi. On a discuté, c'est pas encore la joie, mais on s'est plus ou moins mis d'accord sur un terrain d'entente. Plus ou moins.

Maintenant je le câline, la tête qui repose sur mon bras replié à l'arrière, les yeux sur son visage. Il a fermé ses paupières et profite seulement de mes attouchements plus doux les uns que les autres. Si avant je voulais le faire languir, maintenant j'ai qu'une envie et c'est qu'il soit totalement dépendant.

  • Et si tu te fais virer un jour ? il demande.
  • Pourquoi je me ferais virer ? je lui réponds en chuchotant, la main voguant sur sa cuisse.
  • Ça pourrait arriver. Pour n'importe quoi. Et si un jour ils découvrent ?
  • Arrête d'être négatif, je lui grogne en rapprochant son corps.
  • Mais c'est possible que tu sois plus là un jour. C'est injuste.

Il se réfugie contre moi.

  • Alors il faut faire en sorte que t'y sois plus non plus, je lui murmure en caressant sa cuisse à demi passée entre mes jambes.
  • Je t'ai déjà dit que c'est impossible. J'aurais meilleur temps de m'évader.
  • Commence par pas faire quelque chose d'irréversible jeudi.

J'amène ma bouche à sa gorge pour l'y taquiner. Peut-être que ça le ferait craquer... Hors de question qu'il agisse jeudi.

  • S'ils savent pas que c'est moi...

Je me recule en soupirant. Ma tête se cale contre le mur.

  • Je peux pas... Comment tu veux que je le laisse vivre…

Il serre les poings entre nous. Je secoue la tête. J'ai envie qu'il le fasse pour moi.

  • C'est... C'était demain…

Il a l'air tiraillé. Il hésite.

  • Ça va pas t'aider... Tu seras seulement plus surveillé, ou dans une mauvaise prison ou, ou mort. Ça t'apportera plus rien... Il est déjà emprisonné, lui, j'essaye de le convaincre.
  • Mais il va sortir, lui !

Je pince les lèvres. C'est vrai. Je l'ai vu dans son dossier. Plus que deux mois.

  • Je pourrai, je pourrai même pas attendre l'année prochaine !

Je sais qu'il est pris en étau, frustré, qu'il sait pas quoi faire.

  • Je peux pas le laisser sortir Narcis !
  • Mais tu peux pas non plus le tuer !
  • Il le mérite ! Il l'a fait à mon frère ! La mort c'est rien à côté de ce qu'il lui a fait !

Je soupire. Comment contredire ça. Pourtant je suis convaincu que c'est pas la bonne chose à faire. Il s'accroche à moi, fort, presque au point de me faire mal. Il tremble, il a l'air désemparé. Alors je le rassure lentement, je replace sa jambe par dessus les miennes et je caresse son dos nu. Parfois, je glisse que je veux pas qu'il fasse ça à son oreille, puis je frotte plus fort sa peau et j'embrasse sa tempe.

Il pleure encore. Je sais que c'est dur pour lui. D'autant plus que jeudi ça fera exactement dix ans qu'il a vu son frère en vie pour la dernière fois.

Il reste contre moi, silencieux, se battant sûrement à l'intérieur.

  • Utilise ce jour pour faire une commémoration... Fais pas ça 'dan... je lui chuchote, la bouche sur son oreille.
  • J'ai tué six personnes qui n'étaient pas Randall. J'ai jamais reculé. (Je secoue la tête). La seule chose qui m'en empêche c'est le risque de te décevoir. Mais... T'es encore avec moi alors que tu sais que je suis un assassin…
  • Si il faut faire ça, si il faut que tu penses ça, pense-le. Je veux pas que tu le fasses Daniel. Je veux pas que tu te mettes encore plus dans la merde. Je veux pas que tu, que tu partes. Définitivement. S'il te plaît... je finis tout bas.
  • Si je le tue ça signifie pas forcément que je vais mourir. Plus maintenant.
  • Et si tu pars ? Si ils t'envoient en isolement pendant plusieurs mois ? Ou dans une autre prison ? je grince.
  • S'ils savent pas que c'est moi ils me feront rien.
  • Et tu crois qu'ils sauront pas ? Tu crois, tu crois que s'ils comprennent que c'est toi ils vont pas me soupçonner aussi ?
  • Toi ? Pourquoi ?
  • Je passe mon temps avec toi. Ils penseront que j'étais au courant. Et ils auront pas tort.
  • T'es complice quoi qu'il arrive.

Je plante mes yeux dans les siens.

  • Pas si tu fais rien, j'affirme. Je sais que tu crois que c'est la bonne chose et qu'il mérite que ça, mais c'est pas la bonne chose pour toi.

Je pointe son torse du doigt jusqu'à l'enfoncer dans sa peau. Il détourne les yeux et se recule un peu.

  • Alors maintenant j'ai plus le droit de le faire parce que tu le sais ?
  • T'as de toute façon pas le droit de le faire.
  • Tu sais ce que je veux dire.

Je soupire en secouant la tête. Il doit pas faire ça. Il se crispe encore, embrassant mon cou. Moi je grogne.

  • Fais-moi oublier. (Ma tête se secoue de droite à gauche, yeux fermés). S'il te plaît… il supplie.

J'ouvre les paupières pour l'observer.

  • Oublier quoi ? Comment ?
  • Je veux plus penser à rien. C'est en train de me tuer.
  • Arrête de dire ça… je souffle tout bas, les yeux à présent fixés sur le plafond.
  • Je vais exploser Narcis, j'ai besoin, pour juste un moment, de pas avoir l'esprit torturé par demain.

Je jette un coup d'oeil à ma montre en allumant le petit cadran. Minuit passée. Dans moins de vingt-quatre heures, on sera jeudi.

Je soupire une fois de plus. Je peux pas croire, je veux pas croire qu'il le fasse.

  • Viens vers moi et dors, je dis en ouvrant un peu plus mon bras.
  • Tu seras parti quand je me réveillerai. Ce sera encore pire.
  • Je te réveillerai vers quatre heures, si tu veux. Comme ça tu pourras te rendormir après.
  • D'accord. Réveille-moi vraiment. J'aurai besoin de te voir.
  • Ouais. Bien sûr. Je le ferai. Viens contre moi.

J'ouvre encore mes bras, couché en caleçon sur le dos. Il passe les mains autour de ma taille et s'appuie contre mon épaule.

  • Repose-toi, je lui murmure en caressant ses cheveux.
  • Oui… il répond, s'endormant déjà contre moi.

Lorsque son sommeil est à peu près stable, je me résous à me rhabiller pour ressortir discrètement de la cellule. Je tombe tout de suite sur Julien qui m'envoie un regard entendu, suivi d'un signe de tête. Quand je repars avec lui pour mon service, j'ai qu'une pensée en tête : j'espère qu'il a abandonné son idée, autant celle de se suicider que celle d'achever Randall.

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