Narcis Parker (5)

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Au volant de ma petite voiture, je conduis en direction de la prison de la ville. Un week-end entièrement dehors, ça fait du bien. Même si l'ambiance pénitencier m'a pas vraiment quitté de ces deux jours. Dans mon armoire, mon uniforme. Prison. Sur la table basse du salon, les dossiers. Prison. Au téléphone, les collègues. Prison.

Maintenant, je suis habillé de bleu et noir, j'écoute l'émission radio du midi qui se termine et je me gare sur ma place de parking derrière le gros bâtiment. J'attrape mon sac.

Dedans, sur la paroi qui touche mon dos quand je le mets sur mon épaule, le dossier de Francis Randall. Kidnappeur, pédophile et meurtirer. Plus que trois mois pour lui. J'espère qu'il en a fait, de la prison. Comme quoi, il faut se fier de tout le monde. Je me suis fait avoir comme un bleu.

Collé à son dossier, celui de Wilson. Lui, il a pas de date de sortie. Pas après avoir envoyé une vingtaine de personnes au cimetière.

Encore à côté de ces papiers là, une autre fiche, plus brève, celle de Foster. Cambriolages, coups et blessures. Elle est un peu pliée au bout, je me suis endormi dessus en la lisant et elle s'est écrasée entre les coussins de mon canapé.

Et enfin, le dossier de Twist. Le plus proche de l'ouverture de mon sac, entre papiers et blouson perso. Lui, c'est un cas aussi. Mais je m'en doutais. Après tout, on est en prison.

  • Narcis ! Salut mec ! me salue Guillaume à l'entrée, en fumant sa clope.

Il est accompagné de Julien, qui me fait un signe de tête plus discret que j'apprécie. Je reste un petit moment avec eux, loin de la fumée, après avoir vu que j'étais un peu en avance pour le boulot. Je prends à quatorze trente et je finis à vingt-deux.

  • T'as du bol, ils ont été sages ce week-end. Oh, le dirlo veut te voir tout de suite ! semble se rappeler Guillaume en jouant des sourcils. Qu'est-ce t'as fait pour une première semaine, petit gars ?

Je hausse les épaules. C'est vrai, qu'est-ce que j'ai fait ? Rien. Mon boulot.

Mais tout de suite, je pense à deux choses. Le vol d'arme, ou le mal de Walter.

Je décide d'y aller tout de suite, sinon je serai en retard. Après un rapide passage aux vestiaires, je m'en vais toquer chez le boss. Il me fait signe d'entrer et je me poste en face de lui, droit, j'attends.

  • Monsieur Parker. Bonjour, me fait le directeur.

Une soixantaine d'année, il en impose.

  • Monsieur.

Je m'incline un peu.

  • Asseyez-vous, enfin ! Il dit avec un petit sourire. Je veux vous parler du détenu Walter.

Je fais ce qu'il dit.

  • Il y a eu un souci ?
  • Eh bien, il a été empoisonné.

Le choc.

  • Et... il s'en est sorti ?
  • Il est vivant, oui. On l'a envoyé à l'hôpital pour être sûrs.

Il hoche la tête.

  • Grâce à vous qui l'avez amené à temps. Vous savez combien de vos collègues auraient laissé ça à ceux de la nuit ?
  • Tous.

Ouais, j'imagine. Suffit de voir leur attitude. Ils surveillent. Moi je veille. Il hoche la tête.

  • Je voulais vous féliciter ; vous avez été attentif pour un nouvel agent. Et ne vous en faites pas, on a trouvé le coupable.
  • Ouais ? je me redresse, à l'affût.

J'aurais bien aimé mener mon enquête. Policier dans l'âme.

  • Oui. Un vieux détenu avec qui il avait des comptes à régler. L'autre est parti en isolement.

Je hoche la tête. Il a voulu tuer, mais il part juste en isolement. J'imagine que c'est normal. Peut-être parce qu'il a pas réussi ?

  • Est-ce qu'il y a des risques pour moi, avec Thomas Berg ? Celui que j'ai envoyé ici, en tant que policier.
  • … Je n'étais pas au courant.

Le directeur fronce les sourcils. Il semble chercher sur son PC.

  • Il en a encore pour sept mois si tout va bien. On va le changer de division, c'est plus sûr. (J'acquiesce). Bien. Continuez comme ça, agent Parker.

Après quelques politesses et des salutations, me voilà dans les couloirs du bâtiment, en train de marcher jusqu'aux salles de travaux. C'est reparti pour une longue journée de boulot. Je me dirige vers les cuisines, et ça me fait bizarre de voir des détenus avec un couteau.

Mais ici, on voit tout de suite que c'est super surveillé. Je sais que ce sont des détenus sélectionnés minutieusement qui ont le droit de venir. Les caméras dans les angles, les agents aux gros bras et les chefs cuisiniers qui manient les ustensiles comme des pro. Ça a un côté rassurant... Je vois que Foster est avec eux. J'avance, observant les divers jobs.

Certains découpent la viande à grands coups de couteau, d'autres coupent rapidement des légumes, et le reste fait la plonge.

J'en apprends tous les jours. Pendant ma visite, j'avais fait aucun atelier. C'est surprenant de se dire qu'il y a tant de travail fourni en prison.

Quand je vois un détenu faire cuire des pommes de terre pour une purée, je me dis que ça doit être dur à surveiller tout ça. Et dur à manger, ensuite. Est-ce que si Walter avait fait plus attention, il aurait pas été empoisonné ? Est-ce que le mec travaillait ici ? Est-ce que il faut se méfier, quand on mange avec eux comme nous vendredi ? Je fronce les sourcils en parcourant les allées de la cuisine, puis je reviens à l'entrée pour m'y poster.

Je les surveille comme ça jusqu'à ce que je les voie mettre les ingrédients dans les assiettes ; il est l'heure d'aller chercher les autres détenus. Alors que je suis en chemin pour la boulangerie, je croise Guillaume qui m'envoie de l'autre côté, à l'agriculture. J'aurais bien aimé visiter la boulangerie.

Quand j'arrive, je vois Twist et Wilson en train de discuter devant une vache. Sacré paysage pour des taulards.

  • C'est l'heure. Finissez ce que vous faites et mettez vous en rang ! je crie depuis l'entrée, puis je m'avance au point de rendez-vous, à quelques mètres.

Je vois qu'un des deux assassins se dirige vers moi avec un sourire en coin. Twist, évidemment.

  • Alors, chef, viré de la police ? il me dit avec un air provocateur.

Je tourne les yeux derrière lui, où je vois des mecs prendre de nouvelles graines pour les planter.

  • Allez, c'est fini ! Vous ferez ça demain. En rang.

Je constate avec satisfaction que ça a l'air de l'énerver, que je l'ignore.

  • Vous avez fait quoi chef ? Vous avez tué quelqu'un ? il s'amuse encore.

Les prisonniers se rassemblent petit à petit, et moi je m'en vais vers le responsable de la section agriculture et élevage.

  • Ils étaient combien ?
  • Dix-sept, répond l'homme. Je les ai à l'œil.

Je hoche la tête, mais je les recompte rapidement silencieusement. Dix-sept. Je fais un signe au mec en charge, puis je retourne à eux. Je vois bien que l'autre continue de m'observer, alors je lui retourne son regard, sourcil haut. Il me fait un nouveau sourire en coin en léchant ses lèvres.

Ça me fait marrer, intérieurement. Il espère faire quoi ? Je hausse un peu plus le sourcil. Il me sourit encore plus, il a l'air de bien s'amuser. Il commence à me détailler de haut en bas et moi je détourne à nouveau les yeux quand je m'approche du groupe.

  • Allez. Avancez. Jusqu'à la cour, je fais en montrant la sortie pour les faire circuler.

Ils y vont en file indienne, Wilson suit Twist de près, et celui-ci me regarde encore en passant à côté de moi.

Je les fais marcher jusqu'à la grande cour, et d'ici on rejoint plusieurs gardes et on autorise une pause avant le repas. Moi, je reste dehors pour surveiller.

Twist a disparu, Wilson aussi. Randall est de retour, avec des béquilles. Je le jauge du regard, d'un air beaucoup plus indifférent qu'autrefois. La question que je me pose maintenant, c'est pourquoi il a si peur de tout. Il reste prostré dans un coin comme d'habitude et il semble être constamment effrayé, et alors que je continue à l'observer, Julien arrive vers moi.

  • Ce type là, une vraie saloperie.
  • Ouais ? Raconte.

Je croise les bras et m'appuie contre le mur, les yeux sur mon collègue.

  • T'as vu son dossier ? Il a violé un gosse pendant des mois. Ensuite il l'a laissé crever.

J'acquiesce.

  • Ouais. J'ai vu ça ce week-end. On dirait pas, comme ça, je le pointe du menton. Enfin, tout le monde est là pour des raisons suffisantes alors... Tu sais pourquoi il s'ostracise comme ça ?
  • Parce que même en prison les pédophiles sont mal vus.
  • Donc faut faire gaffe à lui. Non ? Faudrait pas le protéger des autres ? Je veux dire, est-ce qu'il faut le laisser être passé à tabac sans rien dire ? je tourne mon regard vers Julien à nouveau. Il a pas mal été amoché. Tu crois que c'est pour ça ? Pour ce qu'il a fait avant de venir ici ?
  • Ouais, sûrement. C'est pas la première fois. On doit intervenir en général mais... Y en a qui font comme s'ils entendaient rien. (Il hausse les épaules). Le truc avec lui c'est qu'il fait pitié. C'est dur de le voir comme un enfoiré hein ?
  • Ouais. Ouais, carrément. Du coup, c'est quoi, toujours le même qui s'en prend aux pédophiles ou y a... une armée de détenus qui se liguent juste pour l'occasion ?
  • Y en a plusieurs. Mais t'as dû remarquer que Dan est plus violent que les autres.
  • Une raison particulière ?
  • On sait pas. Le psy a bien essayé de lui faire cracher… On pense qu'il a dû subir un truc plus jeune.

Il hausse les épaules et moi j'acquiesce.

  • Et ses vingt-quatre mars, depuis qu'il est là ? je demande, puis quelque chose me frappe. Comment ils savent que c'est un pédophile ?
  • Ça s'est transmis à cause d'un agent... Ils le découvrent très vite en général quand y en a un nouveau.
  • Ok, je hoche la tête.

On regarde encore un peu les prisonniers, le temps passe.

  • lI leur reste combien ? je demande avec un signe de menton.
  • Encore vingt minutes.

Julien regarde un peu partout avant de poser les yeux sur Dan.

  • Pourquoi il te matte ?

Mon regard vadrouille aussi, puis se pose sur le fameux détenu. Il était pas là, tout à l'heure. Je tourne mes yeux vers Julien pour le fixer lui.

  • Je sais pas. Il a pas le droit de me regarder ? je fais un petit sourire charmeur exagéré et crâneur à la fois.
  • Il regarde jamais personne. (Il hausse les épaules). Je l'ai jamais vu s'intéresser à qui que ce soit d'autre que Randall.
  • Alors tu crois que je devrais m'en faire pour mes jambes et mes bras ?

Je détourne à nouveau les yeux pour les poser sur Twist, bras croisés, encore appuyé contre le mur.

  • Va savoir, il rit un peu. Il a été agressif qu'avec lui. C'est la deuxième fois qu'il lui casse la gueule.
  • Ouais ? Tout va bien, avec les autres ?

Ça m'étonne. Je pensais qu'il faisait le con avec tout le monde.

  • Ni bien ni mal. Il crée pas d'affinités. Sauf avec Wilson.

Je hoche la tête en observant le sujet de notre discussion. Il nous regarde aussi.

  • Lui aussi c'est une saloperie, soupire Julien. On se dit qu'il a dû se passer un truc un 24 mars. Forcément. Mais on a rien trouvé dans son passé.
  • Rien ? Du tout ?

C'est pas normal, ça. Comment tu peux ne rien savoir. J'ai envie d'enquêter. J'ai besoin d'enquêter. J'examine le corps de Twist de haut en bas, il est contre le mur d'en face, bras et jambes croisées, toujours. Il se la joue. Il a l'air piqué dans sa curiosité ; il voit bien qu'on parle de lui. Il plisse les yeux.

  • Bah.. C'est comme s'il avait jamais existé avant d'être arrêté. Enfin, on a jamais eu ses empreintes. Et il a jamais eu de carte bancaire, d'identité, rien.

Ça m'amuse un peu, de le voir comme ça. Quoi, chacun ses plaisirs. J'aimerais l'attiser encore un peu plus, mais je me retiens.

  • Un fantôme, je murmure. Quoi d'autre ? Changement d'identité ? Fausse identité ?
  • On a imaginé que oui. Mais on n'a jamais pu le prouver ; son existence tient la route… Il soupire.

Je plisse les yeux en direction du détenu.

  • Son âge ?
  • Vingt-trois.

J'acquiesce lentement. Il les fait pas. Il fait moins, en fait. Je m'en aperçois maintenant. Bizarre. Ce mec est bizarre. Et il sourit encore. Comme s'il appréciait qu'on parle de lui. Un sourire moqueur. Un peu comme s'il savait qu'on disait rien de juste à son sujet. Il a l'air inatteignable. Mais personne l'est. J'en suis convaincu.

  • Encore combien ? je demande à Julien en reportant ma totale attention sur lui, allant jusqu'à me tourner sur le côté pour ne voir que mon collègue.
  • Quinze, il sourit et moi je roule des yeux. Allez, c'est bientôt fini. (Il me tape sur l'épaule). Tu t'y feras.
  • C'est long parfois, quand on fait rien. J'ai pas l'habitude, je soupire. Enfin je veux dire, pas à cause de toi. Nan, c'est cool avec toi, je me rattrape en riant doucement sous ma maladresse.
  • Ouais ? il sourit un peu. Ravi que t'aimes bosser avec moi.
  • C'est mieux que tout seul.
  • C'est dur de trouver sa place en milieu carcéral au début. Ça va toi ?
  • Mh.

Je jette un regard circulaire pour être sûr que tout va bien dans la pièce, et il fait la même chose. On voit que les esprits s'échauffent un peu plus loin, alors on fait attention. Quand ils se sentent observés les types se calment.

Là c'est tout de suite le cas, alors on peut se relâcher un peu.

  • Tu faisais quoi avant ? demande Julien. Pourquoi la prison ?
  • Police. J'ai dû arrêter.
  • Pourquoi?
  • Des problèmes avec mon boss. J'espère recommencer autre part, bientôt. Je fais une pause, d'une certaine manière.
  • Tu fais une pause en devenant agent de détention ? il rit. Sacrée pause !
  • Ouais, je lui souris franchement. J'ai jamais été vraiment simple. Et la police m'aurait trop manqué. Gardien s'en approche plus que plombier, hein ?
  • C'est vrai. Ça correspond à tes attentes ?

Je hoche la tête. C'est vrai, ça correspond. Je préfère la police, les enquêtes, la justice. Mais ici, c'est un peu comme si on était policier, sans arme, sans enquête et sans justice. Seulement on essaye de faire régner l'ordre. Définitivement mieux que plombier.
Julien hoche la tête aussi.

  • J'avais décidé de faire ça en attendant aussi. Y a sept ans, il rit.
  • Ouais ? En attendant quoi ?
  • J'avais envie d'intégrer la police aussi.
  • Et tu te préfères ici ?

Ça m'intéresse. Je l'observe, j'avais pas pensé à lui comme ça.

  • Disons que ça me convient. Les avantages salariaux aussi. Et on s'y fait. C'est un peu comme une famille… il sourit. Je me vois plus quitter ce job.

J'acquiesce lentement sans le quitter des yeux. Il a l'air carrément accroc. Et en plus il est beau, le Julien. Il rit un peu avant de tourner les yeux sur les détenus, les joues rouges.

  • Je te mets mal à l'aise ? je demande tout de suite.

Je suis plutôt direct parfois. Et s'il était pas mal à l'aise avant, la question a changé ça.

  • Quoi ? Non.

Il me regarde de nouveau.

  • Non, c'est juste... T'as un regard vachement intense, il rit et je l'accompagne.
  • Ok. C'est noté. Être moins intense, je lui souris avant de m'écarter du mur.

Il regarde de nouveau les détenus.

  • Fais gaffe à pas en regarder comme ça. Tu sais qu'il y a pas de fille par ici. Les taulards sont en chien avec n'importe quoi.

Je fais un signe de la tête pour lui montrer que j'ai compris. Il regarde l'heure après cinq minutes supplémentaires et m'apprend que leur pause est finie.

Il gueule pour l'annoncer à tout le monde, et les mecs se mettent progressivement en rang pour aller manger. Pas trop vite non plus, faudrait pas se fouler une cheville.

Ils nous passent à côté, la plupart en baissant la tête, certains en discutant, d'autres en nous lançant un regard mauvais. Je me demande à quoi ça leur sert.

  • On mange avec eux ? je demande rapidement à Julien, avant qu'il ne doive partir surveiller l'avant et moi l'arrière.
  • Ouais.

Il me répond tout aussi vite, puis il disparait. J'attends qu'ils soient tous passés, les comptant en même temps, et je finis la ligne en les dirigeant vers la salle commune. Ça sent hyper bon ; on dirait que ça va être un plat sympa aujourd'hui.

Mais maintenant, je peux pas m'empêcher de penser au poison.

  • Allez, tout le monde s'assoit ! gueule un mec depuis l'entrée, et je reconnais tout de suite Martin.

Les détenus s'installent, attendant leur nourriture, et Julien et moi on se pose avec eux. Quand les mecs du service viennent amener les plats, j'entends une chaise être tirée derrière moi, ça racle le sol, puis Martin se fait une place à ma gauche. Génial.

  • Alors gamin ? il tape mon épaule. Comment ça se passe?
  • Ça se passe bien, merci, je grogne un peu en regardant droit devant.

Julien rigole. Il se fout de moi ! Je lui envoie un petit coup de coude avec un air interrogateur et faussement énervé, ce qui le fait rire encore plus sous le regard de quelques détenus.

  • Pourquoi tu t'marres ? je lui demande bas, et ça me fait sourire aussi.
  • Il a décidé de te prendre sous son aile, rit Julien. Mais il est vraiment pas doué !

J'ouvre de grands yeux. Martin ? Il veut m'aider ?

  • Ouais ? Tu crois ? je chuchote.
  • Ouais. C'est une espèce de papa ours handicapé des relations sociales.

Il se marre encore. Martin, un papa ours ? C'est pas l'impression qu'il donne. Depuis le début de la semaine, il me charrie, il me dénigrerait presque devant les autres. Et lui, il veut me protéger ? Je sais pas lequel de mes deux collègues se fout le plus de moi. Alors je dis plus rien, je mange seulement.

Et je sens encore un regard sur moi.

J'attends de voir si ça s'arrête, j'amène mes gnocchis à ma bouche et je m'en délecte. Et quand je relève les yeux je constate que c'est encore Twist, qui a l'air fasciné par mon plat alors qu'il a le même sous le nez.

Quand je disais que ce mec était bizarre, je me dis en piquant dans mon blanc de poulet.

  • Eh, chef, c'est bon ? demande Foster.

Je lui tourne un regard hésitant.

  • Ouais. C'est bien bon, pourquoi ?
  • Parce que c'est moi qui l'a fait !

Il se vante, et un type lui donne un coup de coude en lui disant qu'il l'a pas fait tout seul non plus.

Je leur fait un sourire à tous les deux, sans trop en faire non plus -pas d'intensité, comme dirait Julien.

  • C'est très bon les gars. Bravo, je fais en hochant la tête, puis je retourne à mon assiette.

Je prends un autre gnocchi, je l'apporte à mes lèvres, mais avant de le manger je relève les yeux sur Twist, qui m'a pas encore lâché du regard. J'arrive pas à décrire son expression. Il a l'air... pensif ?

J'avale ma bouchée, puis une autre et encore une nouvelle, et je finis rapidement mon assiette en léchant mes lèvres. Et je vois du coin de l'oeil que Dan se mord les siennes.

  • Ils font quoi là, pendant leur temps libre ? je me tourne vers Martin.
  • Quoi là ? Bah ils mangent.

Il me regarde avec un air circonspect. Je cligne des yeux en l'observant. Martin Martin Martin...

  • J'veux dire… après. Quand on aura pris le dessert. Ils feront quoi pendant le temps libre ? j'explique mieux.
  • Ce qu'ils veulent.

Il hausse les épaules.

  • Ça nous regarde pas c'est leur temps libre, autrement dit notre temps libre.
  • Ouais mais... Faut bien les surveiller quelque part, je fronce les sourcils.
  • T'sais on les surveille pas trop dans ces moments, ils ont le droit d'avoir un peu d'intimité, si tu vois c'que je veux dire...

Je fronce encore plus les sourcils, puis je porte mon regard sur mon assiette où des fraises sont apparues depuis notre échange. Julien a suivi la conversation, il passe une main amicale sur mon dos.

  • T'inquiète. On surveille, nous. On veille au grain.

Je hoche la tête et lui offre un sourire, puis chacun finit son dessert fruité. Une fois terminé on leur laisse encore l'heure et effectivement, Martin part au bureau quand nous on veille un peu dans les couloirs.
Je me retrouve seul après un moment, je vadrouille tranquillement sans me presser.

  • J'ai entendu qu'il revenait demain, dit un type dans une cellule.
  • Il a volé un flingue et il revient déjà demain ? C'est quoi ce bordel ?!

J'imagine qu'ils parlent de Beckett. Enfin, j'en suis sûr. Il l'a volé y a six jours.

  • Tu connais le directeur, il est toujours du côté des connards, soupire le premier.
  • Ce type devrait crever.

J'hésite à faire un truc, puis finalement j'attends à coté de la cellule, bras croisés face à une autre allée.

  • T'as peur ? continue le premier.
  • Bien sûr que non. J'ai l'habitude, répond l'autre, hargneux.

Moi, je décide de m'en aller et je continue ma ronde. Beckett, une enflure ? Je sais qui je prendrai pour mon prochain dossier.

Je poursuis mes réflexions en marchant, et je finis à l'atelier agriculture, désormais verrouillé. À partir d'ici, je reprends dans l'autre sens. J'arpente les allées, particulièrement celles dont je m'occupe, les yeux baissés mais les oreilles à l'affût. Quand j'entends un prisonnier jurer de s'être tapé contre la commode de sa cellule, l'idée fait tilt.

Je vais aller rentre visite à Walter, à l'infirmerie. Le directeur m'a fait savoir qu'il était rentré dans l'après-midi de l'hôpital, mais il parait qu'il est encore trop faible pour se lever.

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