Narcis Parker (1)

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Petit avant-propos :

Cette histoire (qui est déjà terminée depuis plusieurs années mais que nous allons reposter chapitre par chapitre, le temps de la recorriger entièrement) nous tient énormément à coeur. Je crois que c'est ma préférée de toutes celles qu'on a écrites, suivie de près par My Lord, qui n'est pas encore publiée ici ! Il faut savoir qu'on était persuadées l'avoir définitivement perdue... On n'a su en retrouver qu'un tiers environ durant une année. Et finalement, l'illumination : Ma Fée l'avait sauvegardée sur son compte Wattpad qu'elle n'utilisait plus depuis des lustres ! DANS SON ENTIERETE ! Quel génie <3

Autant vous dire que j'en ai pleuré de soulagement.

Alors, on espère que nos petits gars sauront vous toucher et que vous les aimerez autant que nous. On espère vous emmener dans notre univers, grâce à nos petits prisonniers et leurs gardiens.

Belle lecture à vous,

Luna Effey :)

Lundi 10 février, 11h.

Je m'étais dit qu'à la pause de onze heures, celle où on mange rapidement pendant que les détenus finissent leur boulot aux ateliers, les vannes allaient se tarir. Que les mecs allaient arrêter de faire des blagues soi-disant drôles sur ces tapettes d'officier de police gratteurs de papier. Ben je me suis gourré. Ça recommence de plus belle maintenant qu'on est à peu près tous ensemble dans la salle commune. Chacun y va de sa réflexion, tout le monde se lâche un peu. J'imagine que c'est pas souvent qu'un policier change de boulot pour devenir gardien de prison, et que c'est pas non plus souvent qu'il y a un nouveau dans cette section. Y a plus de recrutement dans le bâtiment du pénitencier même. Ceux qui m'ont accueillis aujourd'hui et pendant mon stage d'adaptation avaient l'air de dire qu'ils étaient là depuis un moment déjà, et ça se voit dans leur façon d'arpenter les couloirs de prisonniers. Ils ont cette stature fière, comme si ils dominaient vraiment les lieux. À mon avis, ils se prennent un peu la tête, mais bon, je sais pas, j'ai jamais vécu ça.

  • Alors Narcis, pas trop dur la prison ? T'as pas envie de retourner à ton petit bureau pour servir ton chef ? se marre un peu grassement un mec qui se prend pour un caïd depuis ce matin. T'as fait que cinq heures ici, Coco. Tu veux pas déjà rentrer chez toi ?

La moitié des collègues se marrent, et d'autres lèvent les yeux au ciel. Je préfère ne pas répondre et rire un peu, seulement. La prison c'est déjà pas facile avec les détenus, manquerait plus que j'aie aussi les autres matons à dos. Pendant les douches, j'étais avec un mec, Guillaume. Il est plutôt sympa, il a l'air d'avoir un bon fond, même s'il a clairement pas inventé l'eau tiède. Mais il me montre les trucs à faire, de quoi se méfier, et je lui en suis reconnaissant. Je sais qu'il faut s'adapter rapidement, dans ce genre d'endroit. Et je suis plutôt doué pour ça en général, quand on me met pas de bâtons dans les roues comme l'autre imbécile de Martin, le faux caïd.

Après le repas, je m'occupe de me faire aux lieux, de mieux connaître les cellules, je lis les dossiers de quelques détenus, j'essaie de m'intégrer au maximum.

C'est à douze heures que Guillaume revient me voir. Il me dit que c'est l'heure d'envoyer les prisonniers aux salles communes pour les repas. Pour mon premier jour officiel, je travaille de six heures du mat' à vingt-deux, mais les supérieurs m'ont dit que ce ne sera pas comme ça les prochaines fois. Avec le collègue, je m'occupe d'abord de veiller au calme dans les couloirs quand les détenus se dirigent jusqu'aux réfectoires. C'est plutôt bien, y a pas d'émeute pour mon premier jour ; mais je me fais pas d'illusion, ça ne sera pas toujours comme ça. Pour l'instant, personne ne s'occupe de moi ici. Enfin, pour les incarcérés, je veux dire. On ne me jette pas de regard torve comme je m'y étais attendu, personne ne me bouscule ou me maltraite depuis ce matin. Je suis juste invisible, et peut-être que c'est tant mieux, pour le premier jour.

  • Chef, dit finalement un détenu, du genre gringalet, les dents tordues, quelques-unes manquantes apparemment. (J'ai pas retenu son nom ni pourquoi il est là). Chef, je peux fumer là ?

Je commence à jeter un regard à Guillaume pour savoir, puis je me souviens d'un mec qui avait demandé pareil pendant mes jours de stage.

  • Ouais. Vas-y, dépêche-toi.

Il me remercie deux-trois fois, histoire de se faire bien voir, et fonce à sa cellule fumer la clope que je lui ai refilé de la réserve.

Je continue de surveiller ceux qui sont en train de finir leurs pâtes et leur poulet - qui vient direct de la ferme de la prison - et j'observe un peu les détenus. Y a une vraie diversité ici. Pas de couleur, d'âge ou d'état physique particulier, y en a pour tous les goûts.

Je remarque quand même qu'il y en a un qui se démarque du lot ; tête baissée, il ne dit rien à personne alors que la plupart passent leur temps à crier pour se faire entendre les uns des autres. Il a l'air d'avoir la trouille ou un truc comme ça. Je vois qu'il y en a un autre qui le regarde avec un air meurtrier, et je pressens que celui-là est dangereux et à surveiller.

Quoiqu'ils le soient tous, à surveiller.

Finalement, tout se passe encore bien pour la fin du repas, et on peut parler un peu avec Guillaume. Il m'explique de nouveaux trucs, m'indique certains gars au comportement dangereux avec d'autres détenus ; et le pas commode en fait partie : Dan, qu'on l'appelle ici. Je me souviens l'avoir vu sur sa fiche, un peu plus tôt. Mec pas recommandable, délits graves mais en fin de peine.

À coté de lui, Boï. Même gabarit. Un des caïds de cette section de la prison, selon Guillaume. Il s'en méfie autant que de Dan, apparemment.

Par contre le petit, il ne sait pas son nom. Il ne se fait pas remarquer, alors je me dis que c'est normal, et que c'est parce que les matons ne prêtent pas attention aux moins vaillants.

Je les laisse ensuite aller au sport, ils ont droit à une heure de defouloir tous les soirs ; pas si mal la vie en prison finalement... Je les vois tous jouer au basket, y en a qui traînent et qu'on surveille d'un œil, que ça ne dégénère pas, et aussi qu'ils ne commencent pas à se vendre des trucs.

J'avoue que même moi, je porte plus le regard sur Dan et Boï que les autres. C'est eux les dangereux. S'il y a un problème, mieux vaut que je sois prêt à réagir auprès des deux lascars.

D'ailleurs, ils ont pas non plus franchement l'air de s'entendre, et je ne préfère pas imaginer ce qu'il se passerait s'ils décidaient de s'emmerder l'un l'autre.

Après quelques petits jeux dans leur coin, ils se rassemblent à plusieurs et forment deux grosses équipes. Quand le jeu commence, c'est plutôt agressif, et j'envoie un regard à Guillaume et un autre collègue qui nous a rejoint pour savoir ce qu'on doit faire.
Ils me font signe de pas intervenir ; pas tant que les bagarres sont pas violentes. Ok. Je retiens. Le jeu est pas soft, mais y a rien qui montre que les équipes s'affrontent comme règlement de compte. Bien-sûr, y en a pas mal qui tombent sur le bitume, certains vont même à l'infirmerie, si la blessure est vraiment ouverte. Quand le jeu touche à sa fin, Guillaume va accompagner un des mecs, et moi je finis par me retrouver seul avec Martin, le surveillant qui me taquine plus que nécessaire. Il me regarde de haut en bas et il a cet air moqueur insupportable.

  • Alors, tu survis encore Princesse ?
  • Tout va bien, je lui réponds professionnellement.

Quoi, il croit que parce que je ne suis pas une armoire à glace pleine de pâté comme lui je ne saurais pas me défendre ? Je suis plutôt fin, mais j'ai des muscles, et ils se voient. En plus je suis grand, et je viens de la police, j'ai une formation, moi. Cinq ans de tests physiques et d'entrainement. C'est quoi son problème ?

Il se marre encore et renifle avant de gueuler sur un détenu, comme s'il me prouvait en même temps qu'il a des couilles. Je roule des yeux pendant qu'il s'occupe encore du mec. Le type qui ne disait pas un mot est assis sur un banc à écrire dans un cahier, visiblement très concentré. Et si je m'approchais ? Allez j'y vais.

Il lève à peine les yeux sur moi, et comme effrayé il retourne à ses dessins. Il doit avoir une trentaine d'années, il fait comme s'il se concentrait mais je sens qu'il regarde constamment dans ma direction.

  • Tout va bien ? je demande de ma voix grave et professionnelle, comme avant à la police.

Il lève les yeux sur moi et regarde autour de lui comme s'il se demandait si je m'adresse réellement à lui.

  • Oui, chef, il marmonne en retournant à son écriture.

Il a l'air terrifié. Nerveux.

Je hoche la tête et m'éloigne à nouveau. Je ne retourne pas vers Martin, la barbe de ses commentaires. Nan, moi, je vais voir où en est le match. Ça m'intéresse, et en plus c'est un bon moyen de s'intégrer, j'imagine. Du coup, je marche jusqu'au centre du terrain et me poste sur la ligne du bord.

Les esprits sont en train de s'échauffer pour savoir si un des types en a trop bousculé un autre, et la tension monte entre les deux équipes ; les mecs se regardent en chien de faillence. Moi, je jette un coup d'oeil à ma montre rapidement.

  • Fin pour aujourd'hui ! je hèle assez fort pour que tout le monde me prenne au sérieux. Ceux qui bossent cette après-midi d'un côté, le reste de l'autre, je fais en montrant respectivement ma droite puis ma gauche.

Ils grondent, y en a un qui crache par terre, un autre lève les yeux au ciel et un type de deux mètres au crâne rasé crie "putain". Des gosses dans une cour de récré. Ils obéissent toutefois, et les quatre qui ne bossent pas sont redirigés dans leurs cellules pour être bouclés. Les autres sont amenés à leurs jobs, qui varient entre la cuisine, la pâtisserie, l'agriculture ou la blanchisserie. Certains vont en atelier de mécanique ou de bois, selon leurs capacités et aussi le danger qu'ils représentent - on va éviter de foutre en cuisine un mec qui a assassiné des gens au couteau. En attendant, je retourne à mes dossiers, je fais parfois des rondes et surveille les caméras, je réponds au téléphone aussi. C'est plutôt calme.

Je m'attendais à pire. Surtout pour un premier jour. Je me suis fait des idées, sans doute. Puis faut dire que je ne me suis pas trop fourré dans des situations chiantes.

  • Chef ! Crie un détenu depuis sa cellule.

Foster, je crois. Une petite frappe qui a cambriolé plusieurs maisons. Je m'approche jusqu'à lui et lui fais un signe du menton pour savoir ce qu'il a.

  • Chef, faut que j'aille à l'infirmerie j'ai trop mal au ventre.
  • Qu'est-ce qui s'est passé ? je demande suspicieusement, les bras croisés en face de lui.
  • J'ai trop bouffé à midi chef j'vous jure j'ai trop trop mal je vais empuantir ma cellule là oh !

Je le jauge un instant, puis je lui fais signe de passer. Je cède, mais je l'avertis quand même que je l'accompagne. Il grogne un truc et on va dans le bâtiment de l'infirmerie qui est plus loin. Je le confie sur place à l'agent qui s'occupe de ça et lui dis de m'appeler quand ils auront fini.

Je pars ensuite chercher un détenu dont le nom de famille est Carlton, il a rendez-vous avec son avocat aujourd'hui. Ils me suivent en général sans trop de difficultés ; ça me surprend, j'aurais pensé que ce serait plus dur de les convaincre de rester obéissants.

J'avais pas cette image de la prison. Ici, tout est bien réglé, les actions journalières se succèdent sans problème, les détenus ne sont pas des sauvages et les gardiens sont respectés. Du moins jusqu'ici.

Après avoir ramené le mec de l'infirmerie et les avoir emmenés au repas, je me dis juste que pourvu que ça dure.

Et ça dure jusqu'au soir. Je vois que parfois, un détenu se fait piquer sa bouffe, mais les autres agents me disent de ne pas intervenir ; c'est leurs problèmes et si on les emmerde pour ça on aura aussi des emmerdes.

Ce qui me manque le plus dans mon job de flic ? Mon arme. On n'en a pas en taule. J'ai même pas de matraque, au cas où un détenu réussirait à me la voler. Alors, ouais, parfois on est obligés de faire profil bas parce que même nous on n'a rien pour se défendre.
Du coup, on ne défend pas ceux qui en ont besoin. Ouais, vraiment différent de la police.

Le détenu qui a l'air violent, Dan, est dans un coin, regardant toujours l'autre avec véhémence. On voit carrément dans son regard à quel point il s'imagine l'étriper. Ça me fout des frissons.

Je fais une petite note dans ma tête : penser à regarder le dossier de celui-là. Et tant qu'à faire, regarder celui de l'inconnu aussi. J'irai lui demander son nom quand on les ramènera en cellule.
C'est incroyable, les regards entre eux. Enfin, même si c'est plutôt à sens unique. Y a vraiment un truc là-dessous, à creuser.

  • Eh, Twist ! Dit quelqu'un d'une voix forte. Tu viens me voir après !

Je remarque que c'est un détenu d'une quarantaine d'années, plutôt baraque, qui vient de parler. Du genre tatouages partout et barbe de motard. Personne lui répond ; pire même, d'un coup ils ont tous l'air concentrés sur leurs assiettes.

Je fronce les sourcils et scrute la salle. Le gringalet relève nerveusement la tête ; il a fait ça pendant tout le repas alors que je ne suis pas sûr que ce soit à lui qu'il parle. Ça m'énerve un peu, de ne rien savoir. Je tourne un regard vers les autres surveillants avec moi en garde, mais ils parlent entre eux, personne ne s'en occupe.
Je décide de m'en tenir au plan principal, à savoir approcher le petit pendant qu'on les ramène aux cages et lui demander son nom, ce que je fais quand ils ont fini et débarrassent la table. Le mec attend pour retourner en cellule.

Les gars, eux, lancent le processus et le petit troupeau de détenus commence à se diriger dans le couloir. Moi, je m'approche de notre jeune farouche.

  • Identité ? je demande, et j'ai encore pris ma voix de policier.

J'adore cette voix. Elle faisait peur aux voyous, aidait les suspects à se décider à avouer et en plus, elle créait la surprise. Une voix grave dans un long, fin -et beau- corps, ça déroute.

  • Monsieur- chef. Euh… (et il est surpris. Et effrayé, encore). Euh, Francis Randall Monsieur. Chef, il couine.

Je hoche la tête professionnellement, puis lui offre un rapide sourire que je regrette aussitôt. C'est peut-être con, de montrer qu'on a de la compassion ici. Les gens ne sont jamais vraiment ce qu'ils sont, je pourrais me faire marcher dessus pour moins que ça après.

Il hésite, me fait une espèce de grimace en guise de sourire, et file dans sa cellule dès qu'on y arrive. Ok. Maintenant, une heure de temps libre pour les prisonniers. Moi, j'ai bientôt fini ma longue journée. Guillaume doit être parti lui, peut-être même que Martin aussi. Je vais aller à la salle commune des gardiens.

Quand j'y arrive, j'y trouve des mecs que je ne connais pas ; sûrement les agents du soir. Je fais ma petite présentation, la plupart me saluent sympathiquement et les autres s'en foutent.
Ils ont quand même l'air globalement plus sympa que ceux du matin. Bordel, à croire qu'ils sont en taule aussi tellement certains tirent la gueule. Je soupire en me rasseyant. Je regarderai le reste des dossiers plus tard. Maintenant, je suis fatigué. J'ai juste envie de rentrer chez moi et prendre un long bain, loin des bruits presque incessants de la prison. Je m'en rends compte maintenant.

C'est suffoquant. Je ne me rendais pas compte à quel point nous aussi, en tant qu'agents, on est enfermés, coupés du monde. Je comprends mieux maintenant pourquoi on doit être suivis par une psychologue. En tout cas moi, je le suis. Et je ne m'y oppose pas, qui sait comment je vais réagir ici ? Si quelqu'un peut prévoir ma future violence, ou le fait que je n'arriverai pas à complètement m'adapter, autant qu'il le fasse. C'est assez étrange, de ne pas pouvoir sortir. Peut-être que je ne m'y ferai pas non plus. Les prisonniers ne sont pas tous sains d'esprit après une incarcération, après tout.

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