Une affaire personnelle

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 Mardo accompagné de son fidèle destrier, l'hippopotame ronflant, fut le dernier à sortir du bâtiment. Il était réputé pour être le plus long à la détente de toutes les formes de vies carbonnées présentes passées et futures ayant jamais existées dans tout le multivers. Vlad avait cessé de s'agiter dès qu'il avait contemplé l'effroyable spectacle : un avion s'était écrasé sur un immeuble, des flammes et de la fumée s'envolaient et se mélaient aux nuages, des centaines de personnes fuyaient le lieu du crash. Et à quelques mètres de lui, le pilote gisait au sol, sa tenue si particulière n'ayant nullement empêché le sang de jaillir. Pourquoi avait-il abandonné le navire ? Qui l'avait jeté par dessus bord ? Le commissaire, comme tous les autres, était ébahi. Il ne savait comment réagir, les yeux écarquillés. Les premiers mots de détresse qu'il prononça furent ceux-ci :

 — Un kawa. Apportez-moi un kawa.

 — Mais, chef, intervint Marlowe, une des personnes qui lui léchaient les basques constamment, il est à peine dix heures, et vous savez bien ce que le médecin a dit si vous prenez trop de caféine, vous allez trop vous énerver et vous risquez la...

 — Un kawa ! Un putain de kawa bordel de merde c'est pas compliqué !

 Sans risquer d'en dire plus, Marlowe rejoignit la machine à café. En passant devant l'inspecteur et son hippototame, il marmona dans ses dents :

 — C'est moi qui vais la subir son hypertension.

 Quand Mardo vit l'avion planté dans l'immeuble, il s'exclama :

 — Eh ! Dis donc ! Ça alors ! Franchement ! Ah ça ouais hein ! Pou lala ! Ça en fait beaucoup de... de fumée, j'ai pas raison ?

 — Il va enfin fermer sa gueule l'autre con ? rugit Vlad.

 — Eh relax frère !

 — Je suis pas ton frère, fils d'inceste !

 — C'est pas très gentil chef...

 — Je ne suis plus ton chef, fort heureusement. Tu n'es plus qu'un civil et je te somme de ne pas rester sur les lieux du crime.

 — Et si j'ai pas envie ? Ah ouais, on n'y avait pas pensé à ça, pas vrai ?

 — Si t'as pas envie, hein ? Héhéhé... Si t'as pas envie... Alors je vais te buter et traîner ton corps sans vie de merdeux jusqu'en enfer espèce d'ordure de mes deux !

 — Calmez-vous patron, lui recommanda Ernest un autre de ceux qui le suivaient, c'est mauvais pour votre coeur.

 — Si vous voulez pas que je vous crève dans les bras, jartez-moi ce branquignole !

 — Attendez, dit Magalie. J'ai pas encore fini de prendre sa déposition. Viens, on rentre.

 — Oh ma petite dame, ne vous souciez pas de lui, avec cet avion, vous en aurez des milliards de milliards de milliards de milliards de dépositions à recueillir !

 — À ce point-là ? s'étonna Ernest. Mais ils étaient combien exactement dans l'avion ?

 — Abruti, va me faire un kawa !

 — Marlowe est déjà parti vous...

 — M'en branle ! J'en veux deux ! Avec trois sucres !

 Ernest courut répondre à ces ordres.

 — Monsieur, dit le troisème des lèches-bottes, il ne faut pas vous agiter ainsi. C'est très mauvais, ils ont raison. C'est pour votre propre bien.

 — Imbécile, comment je pourrais rester tranquille alors que le centre des affaires vient de se faire atomiser ?

 — Le centre des aff... Mais non, c'est un HLM monsieur.

 — Oh. Autant pour moi. Ça va alors, c'est rien. Je hais les pauvres. Bien, va dire aux autres que je n'aurais plus besoin de café. Vous autres là, formez un périmètre de sécurité autour du pilote et appelez un médécin légiste !

 — Et concernant le crash ?

 — Il ne nous regarde pas. Laissez les pauvres règler cette affaire par eux-mêmes. Ils doivent bien servir à quelque chose, non ?

 Deux heures plus tard, les pompiers extirpaient le dernier survivant des décombres. L'événement avait déjà intéressé plusieurs journaux télévisés. La commentatrice de l'un d'eux annonça le bilan : 120 morts et 223,66667 blessés ainsi qu'une grande peur qui prenait place dans le coeur des concitoyens. Les coupables étaient encore inconnus des services de renseignement, mais ils s'attendaient à découvrir dans les boîtes noires une intervention de terroristes.

 — C'est horrible ça, cent-vingt morts ! Plus le pilote ! Un vrai jour de deuil pour notre pays, pas vrai Célestin ?

 À l'entente de cette remarque, Vlad sortit de ses papiers pour pousser une gueulante :

 — Il est encore là l'abruti ? Mais dégagez-le non de non !

 — Monsieur, ce civil a été brutalement traumatisé, lui dit Magalie. Il a besoin d'une cellule de soutien psychologique et il doit rester là jusqu'à ce qu'un spécialiste vienne l'aider.

 — Bah ouais grave. Et mes Gucci quoi... Pire jour de ma vie, ajouta l'inspecteur Jul.

 — On aime me prendre pour un con ? Parfait Magalie, ce soir, dans mon bureau.

 — Impossible, j'ai ma fille a récupérer à l'école.

 Vlad ne répondit pas, étrangement calme. Tous ignoraient que Marlowe avait glissé un calmant pour gorille dans son gobelet. Normalement, il devrait ne plus être capable d'articuler. Il faut croire que le café pesait également dans la balance. Ernest vint lui énoncer le rapport de l'autopsie du pilote. La plupart de ses os s'étaient fracturés sous la chute, le crâne explosé, les muscles en charpie. Et pourtant la cause de la mort était une crise cardiaque, survenue pendant le vol plané pas vraiment plané. Avec l'état du corps, impossible de déterminer d'éventuelles traces de lutte, si lutte il y avait eu. Également, une cigarette avait été retrouvée écrasée contre son dos.

 — Nos analystes sont sur le coup pour découvrir à qui appartient l'ADN retrouvé sur la cigarette, poursuivit Ernest.

 — Une cigarette, répéta Vlad. Une cigarette... La cruauté humaine n'a donc pas de limites... Mais quel genre de monstre tuerait une centaine d'innocents et irait même jusqu'à planter son mégot sur un homme...

 — Ah, le roulé, c'est moi ça, expliqua naïvement Mardo. Il n'y avait pas de cendrier aux alentours alors j'ai pensé "mort pour mort, autant qu'il ne soit pas sacrifié pour rien.". J'ai pas raison ?

 Le commissaire ne fit aucun geste, aucune réflexion. Il regarda le vide durant plusieurs secondes. Le calmant faisait son effet. Il se leva ensuite doucement, repoussa son fauteuil en dessous de la table, fit quelques pas et :

 — Non, t'as pas raison, crétin ! T'as jeté ton joint sur un cadavre ? T'es complètement inconscient mon p'tit gars, et dans inconscient, tu sais ce qu'il y a ? "Scient", parfaitement ! Tu as dégradé une scène de crime et déposé une pièce à conviction avec ta salive dessus, t'es un flic bordel, tu devrais savoir qu'on fait pas ce genre de truc !

 — Je... Je suis un flic ? demanda Mardo, les larmes lui montant aux yeux. Alors... Alors ça veut dire que... que... Que je suis embauché ! Ah c'est génial, merci patron, je vous adore ! Je suis vraiment ému, si vous saviez, je...

 — T'es viré.

 — Oh. Pas cool ça. Jouer avec les émotions des gens c'est vraiment...

 — Ferme-la et rentre chez toi.

 — Vous m'en voyez désolé, mais je me dois de refuser. Il m'est impossible d'accepter cela. Je suis contraint désormais d'enquêter et de trouver le coupable.

 — Pas du tout.

 — Si.

 — Non.

 — Si.

 — ... Ben non, je ne crois pas.

 — Si. Car telle est ma mission. C'est une affaire personnelle, monsieur, et si vous m'empêchez de vous aider, alors je mènerai l'affaire de mon côté et vous mettrai des roues dans les bâtons. Ou l'inverse.

 Une grande détermination s'échappait de Mardo, si puissante qu'il ne ressemblait plus à celui que ses collègues connaissaient. On pouvait lire dans ses yeux la volonté réelle de débusquer l'assassin du pilote et de tous les pauvres. Sa motivation était immense, l'inspecteur Jul semblait provisoirement avoir disparu et remplacé par un autre, si bien que Célestin se mit à chercher des objets tranchants afin de mettre fin à sa vie. Devant ce rayonnement inconnu, Magalie lui demanda :

 — Mais enfin, Mardo... Une affaire personnelle... De quoi tu parles, comment es-tu lié à tout cela ?

 Mardo serra le poing, releva la tête et montra ses yeux pétillants d'une fureur telle qu'il ne l'avait jamais connu.

 — Le tueur... Le tueur...

 La gorge contractée par la tristesse et la rage, il ne parvint pas à finir sa phrase.

 — Vas-y, t'en fais pas, l'encouragea Magalie. Tu peux réussir à le dire.

 Un vent violent s'éleva dans l'esprit du détective. Il réussit à dompter le feu ardent qui brûlait dans ses veines et déchira les racines centenaires qui lui nouaient la gorge. Tout le monde l'observait, captivé, intrigué, impatient de connaître sa réponse qui changerait la face de la Terre. Ils étaient suspendus à ses lèvres lorsque plein de haine et de tourment il déversa enfin ces mots qui lui brisaient tant le coeur :

 — Cet enfoiré a taché mes bottes ! Ça se fait trop pas. Le bâtard quoi ! Ça m'saoule...

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