Semaine 11 - La Posada

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À l’approche de Noël, l’un des petits plaisirs de Ducky est de sortir dans les rues s’émerveiller des lumières, des décorations, de la musique de saison. Surtout parcourir le marché typique et goûter du vin chaud à chaque stand. C’était justement cela qu’il comptait faire lorsqu’il s’était engagé sur la place. Or, une mélodie joyeuse, pas du tout de Noël, à proximité du parvis de l’église, attira son attention.

Il s’engouffra parmi la foule et découvrit un groupe de mariachis qui entonnaient des chansons mi-festives, mi-mélancoliques. Il y reconnut son cousin au 4e degré : Pancho. Il jouait du violon et accessoirement des maracas, quand le public était en mal d’exotisme.

Ducky décida d’écouter à distance afin que son cousin ne l’aperçoive pas et l’embarque encore dans ses combines.

La musique s’arrêta et, à peine éloigné, Ducky entendit qu’on l'appelait par son second prénom - chose qui l’énervait :

— Patito ! criait Pancho.

Trop tard pour faire semblant de ne pas le remarquer et se mêler à la foule. Ducky aurait dû être surpris de le voir à Coin(Coin), mais à dire vrai, il n'avait pas envie de lui parler. La dernière fois qu'il l'avait vu au Mexique, Pancho l’avait persuadé de l'accompagner dans la course aux Chupacabras (mais ceci est une autre histoire).

Pancho le prit dans ses bras avec effusion.

— Ah ! za mé fé plésire dé té vouare ! Yé zoui vénou pour animer La Posada ! Allé, tou fé quoa cé souare ? Viénz !

Voilà qu’il l'entraînait encore dans une nouvelle combine, Ducky en était sûr.

— Il y aura à bouare et à mangé gratis ! ajouta-t-il.

Notre petit canard ne se fit pas prier et accepta. C’était mieux que de continuer à tenter de passer au niveau suivant de son jeu vidéo World of Quackcraft.

Ainsi, il accompagna son cousin et les mariachis. Ils pénétrèrent dans une belle maison, allègrement décorée de papier découpé de couleurs différentes, des poinsettias rouges, d’un sapin, une crèche et des objets brillants qui ressemblaient à des étoiles. Ce devait être des boules à facettes pour danser façon soirée disco, déduisit Ducky.

Mais ce qui l’intéressait le plus, c’était le buffet et le bar. Il s’en approcha et découvrit de nombreux mets, aussi originaux que délicieux : du guacamole sans noyaux, des crêpes croustillantes couvertes de sucre et d'une sorte de mélasse, des mini-tacos dorés, des papillotes en feuilles de maïs. Cela lui mettait l'eau à la bouche, mais il goûterait tout ça plus tard, pour l’instant il avait soif.

Au bar, où il s’attendait à déguster une margarita ou une tequila sunrise, on ne lui proposa que du « Ponche », du Punch ? OK, il pouvait l’accepter. On lui servit une boisson chaude. « Du punch chaud ? ça doit être un poncho » rit-il tout seul.

— Qu’est-ce qui est drôle ? lui demanda un brun sombre et ténébreux.

Il ressemblait à un chien, mais n’avait pas de poils. On aurait dit une star de cinéma ou un latin lover comme ceux qui s’affichaient dans les magazines de Gloria.

— Euh ? Le punch chaud, ça fait « poncho », he, he, he, se gaussa nerveusement notre petit canard.

Le chien s’esclaffa bruyamment, ce qui fit peur à Ducky. Il ne voulait pas attirer l’attention, puisqu’il s’était incrusté à la fête. Il but le breuvage et, bien que plaisant, il s’étonna de ne pas sentir d’alcool. Quelle déception !

— Ah ! Vecino !

Une petite voix fluette s’approcha d’eux. C’était sa voisine Quetzal.

— Quelle sourprisse ! Xolotl, yé té présente Ducky, on habite danz lé même immeoublé. Ducky, voici Xolotl, oune amigo.

« Sholoquoi » ? bafouilla notre petit canard dans sa tête. Mais son attention fut détournée par l’arrivée du mannequin Palma Quayek, qui se présenta étincellante avec un bocal en verre. À l’intérieur Rena Cuajo, l’axolotl chanteur. Une flopée de paparazzi s’approcha et des flash crépitèrent. Elle remercia l’assistance dans un dialecte dont Ducky ne pipa pas un mot. Puis déposa le bocal sur une estrade et les mariachis l’entourèrent pour animer la soirée. D’une voix de tonnerre, l’axolotl entonna une chanson. Ducky la jugea parfaite pour sortir d’un bar avec quelques litres d’alcool dans le sang.

— Vous connaissez La Posada ? l'interrogea le chien sans poil, sans accent.

— Euh ? demanda Ducky, le regard encore rivé vers les yeux de braise de Palma Quayek.

— Cétoune fiesta pourre attendre Noël ! s’avança le Quetzal. Qui t’a anvité, amigo ?

Ducky commença à bafouiller, lorsqu’ils furent rejoints par Palma Quayek et notre petit canard se figea sur place.

— Ma-ma-ma, balbutia-t-il.

— Oh, qui est ce beau canard qui demande sa maman ? minauda la starlette avec un grand sourire.

— M-mon cou-cou-cousin est ma-ma-mariachi, affirma Ducky, rouge de honte.

— Je fais cette petite fête pour mes amis du pays, mais tout le monde est bienvenu, mon chou !

Ducky sentait sa tête tourner, Palma Quayek lui avait dit « mon chou » ! Avant que son cerveau n’enregistre, elle ramassa la crèche qui décorait le buffet et la lui tendit.

— Allez, ouste ! fit-elle en faisant un signe de partir.

Ducky ne comprenait plus rien, mais le chien sans poil et le Quetzal l’entraînèrent jusqu’à la porte, qui se ferma promptement. Crèche aux bras, notre petit canard regardait tout autour, inquiet. On l'avait éjecté alors qu'il n’avait même pas fini de déguster tout ce qu’il y avait sur la table ?

— Né t’inquiété pa, amigo, le rassura le Quetzal. Nous allons demander « posada ».

— Quoi ?

— Il faut chanter pour qu’on nous ouvre la porte, ajouta Xolotl.

Ducky acquiesça. Après les poèmes-menaces-de-mort et le pique-nique dans un cimetière, plus rien ne pouvait l’étonner. Ainsi, il entendit une sorte de jeu question-réponse en chanson, qui se termina avec des vivats tonitruants et le portail s’ouvrit. Une foule prit Ducky et la crèche et le hissa, victorieux, comme s’il détenait la Coupe du monde de football. Ils le déposèrent au sol et enfin il pouvait déguster un de ces délices qui l’attendaient.

— Ahora, la piñata ! cria la maîtresse de maison.

Une foule d’enfants sortis de nulle part s’amassa autour de Ducky, qui se sentit vraiment effrayé par tous ces gosses surexcités. Lorsqu’il tenta de s’enfuir, le chien sans poils l’attrapa et lui banda les yeux. Ducky fut terrorisé ! C’était quoi ça ? Un ducknapping. C'était fini ! Il était tombé dans un gang ou un cartel mexicain ! On le fit tourner comme une toupie et on lui mit un bâton entre les plumes. Étonné, il ne comprenait plus rien. On lui donnait une arme pour se battre, en plus ?

La foule autour commença à chanter avec allégresse. « Mais ils ne s’arrêtent jamais ? » pensa notre petit canard. Soudain, il sentit un coup sur la tête. Ducky décida de se défendre et attaqua avec le bâton. Un objet le survolait en le cognant, tandis qu'il tentait de le frapper. Après plusieurs ratages et sous les acclamations de la foule, notre héros décida de réunir toutes ses forces et PAF ! toucha enfin le machin. Il releva le bandeau et entraperçut une sorte d’étoile brillante et multicolore au-dessus de lui. La seconde d’après, elle explosa et un tas de petits objets tombèrent sur sa tête en même temps qu’une horde d’enfants se lança sur lui.

Piétiné, dépouillé. Les enfants partirent avec tous les bonbons et cadeaux qu’ils purent ramasser... et quelques plumes de Ducky.

Pancho s’approcha de lui, accompagné de Palma Quayek.

— Ça va, primo ? Tiens, je te présente ma fiancée !


** Pour la note culturelle, la posada est une fête qu'on célèbre au Mexique à partir du 12 décembre jusqu'au 24, où l'on réproduit le moment où Marie et Joseph "demandaient l'auberge" ("pedir posada"). Puis, on conclut la fête en brisant la piñata au forme d'étoile de Nazareth.

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