Semaine 6 - Ducky à l'atelier d'écriture

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« Épinglée au mur comme un trophée, sa langue pendait tel un morceau de bois tordu. Son corps, recouvert de fléchettes, laissait entrevoir les cibles. Ses boyaux avaient été utilisés pour lier ses mains et ses pieds, le reste pendait mollement jusqu'au sol. »

Wow ! Ducky avait les plumes hérissées de frissons ! Il tenait un vrai thriller de ceux qui font frémir ! Notre petit canard referma son livre et s'imagina, lui aussi, auteur de best-sellers ! Et si au lieu de songer à dézinguer des gens, il écrivait l'histoire de Dirty Ducky, tueur à gages infaillible, impitoyable, invincible ?

Il avait fait son choix ! Le lendemain, il repoussa à nouveau sa recherche d'emploi et s'inscrivit à un atelier d'écriture organisé par la bibliothèque du coin (coin).

Il se voyait déjà couronné de succès, vendre son best-seller, signer des autographes, vivre dans un yacht entouré de jolies canettes. Voilà ce qui l'attendait. Mais, avant cela, il devait apprendre à écrire ! Pas comme à l'école, il écrirait tel un vrai écrivain !

Armé de son cahier et de son stylo, il poussa la porte de la salle prévue pour l'atelier, suivant les consignes à l'accueil. À l'intérieur se trouvaient deux hyènes, un putois, un serpent et une tortue, laquelle l'invita à prendre un siège. Intimidé, Ducky s'assit au premier rang, prêt à écouter.

La tortue commença à discourir sur des concepts qu'il n'arrivait pas à saisir : métrique syllabique, unité prosodique, hémistiche, alexandrin et autres notions incompréhensibles. "Mais que fais-je là ?" se demanda le pauvre caneton. Il lorgna à l'arrière et aperçut les deux hyènes le pointer d'un geste et rire derrière son dos, mais peut-être s'imaginait-il des choses. Il se retourna à nouveau et les hyènes ne riaient plus, elles tailladaient leurs crayons avec un canif, en le fixant. Soudain, il réalisa que le serpent le fixait aussi, menaçant. Sans crier gare, Ducky attrapa ses affaires et s'éclipsa. Définitivement, il n'appartenait pas à ce monde, ou du moins, l'attitude des autres lui avait donné cette impression.

Il vit une autre porte qui proposait un atelier. Fichtre ! Il s'était trompé de porte ! Là, il fut accueilli par un perroquet avec un bandeau pirate, un cache- œil et une patte en bois. Notre petit canard se demanda s'il était encore dans le bon groupe ou si ce perroquet était un survivant de l'atelier d'à côté.

— C'est pour quoi ? s'enquit le perroquet, méfiant.

— Je viens pour l'atelier d'écriture, répondit-il timidement.

— Écriture en prose, on est bien d'accord, hein ? Je n’ai pas envie de perdre mon autre patte ni mon autre œil avec les poètes.

Ducky resta interdit quelques secondes. Le perroquet reprit :

— Ben, qu'attendez-vous ! Ne restez pas là comme une huître qui regarde le couteau à beurre ! Entrez !

Ducky mit quelques secondes à saisir la signification, puis vint s'asseoir entre un hibou et une chatte. Dans la salle, il y avait également un bouledogue, une gazelle et une lapine.

— Bon, ça y est, nous sommes au complet. Allez, bande de mollusques, je vais vous parler de la description du corps humain en langage écrivain ! D'abord, mettez-vous bien ça dans la tête : les yeux c'est has been, cliché ! On écrit « prunelles », « iris », « lagons » tant qu'on y est. Allez, « orbes », si vous faites des fan-fictions.

Ducky prit note sagement.

— Alors, maintenant comment nomme-t-on les mains ? demanda-t-il en direction du palmipède.

Ducky regarda ses plumes sans comprendre de quoi lui parlait le perroquet.

— Je n'ai pas de mains, moi.

— Argh ! Certes, bon, dans ton bouquin, tu éviteras de parler des pattes et des pinces, encore plus de phalanges, hein ? Dites P-A-U-M-E-S, d'accord ? Les mains c'est si quelconque ! Maintenant, une interro ! Allez, on n'écrit pas le cœur, mais on dit...

La lapine leva la main, toute excitée.

— Le palpitant ou l'organe vital !

— Parfait ! Bravo ! Enfin quelqu'un qui écoute, s'enthousiasma le perroquet. Bon, ça suffit les petits jeux, vous n'êtes pas à la maternelle ! Allez, un petit exercice d'écriture : décrivez une scène de meurtre en cinquante mots et en commençant par « Le gars était mort, il n'y avait pas photo ». Allez !

Inspiré, Ducky se mit à écrire dans le temps imparti, il allait montrer de quoi était capable sa plume !

— TOP ! hurla le perroquet. Allons voir de quoi vous êtes capables ! Toi, lis ce que tu as écrit, fit-il en désignant le hibou.

L'oiseau de nuit se leva et récita :

«─ Le gars est mort, y a pas photo.

─ Tu… tu crois ?

─ Comment ça, je crois ? Bien sûr ! Tiens, regarde par toi-même ! Max attrapa violemment Lili par les épaules, la tourna vers la scène et, ses doigts crispés sur les clavicules de la jeune femme, la força à regarder. Affalé à même le sol comme une marionnette aux fils brisés, la gueule de guingois et les yeux vitreux perdus dans le vide pour l’éternité, l’homme – le cadavre – ne laissait aucun doute : c’était, de loin, le Cluedo le plus réaliste auquel le couple avait participé. »

Ducky souffla, admiratif. Pas mal comme écriture, mais il était sûr que son écrit allait déchirer. Le perroquet désigna la chatte, qui se leva et lut son texte :

« Le gars était mort, il n’y avait pas photo. Le premier truc qui mettait sur la voie, c’était le sang. Sur le tapis, encore, ça allait, mais étalé comme ça sur le mur au papier peint vert de petite vieille, ça frisait le mauvais goût. Puis bon, le fait qu’il manque la tête, aussi. Ça la foutait un peu mal pour une ressuscitation. »

Fichtre ! L'idée de génie de Ducky avait été prise ! Lui qui se croyait original ! À son tour, il se leva tout fier et récita :

« Le gars était mort, il n’y avait pas photo. Pourtant, à voir son visage si harmonieux, au sourire d’ange, des yeux pétillants, un teint hâlé, des joues potelées, à pincer, on pourrait croire le contraire… Mais c’est son cou, tranché net, à dix bons mètres du corps, qui laissait perplexe… enfin pas trop, on avait bien là un macchabée. »

— Ah ouais ! Ça a de la gueule ! s'exclama le perroquet.

— Sale copieur ! hurla la chatte, toutes griffes dehors. En plus il a mis deux fois la terminaison « ant » et un pronom relatif !

Ducky prit ses pattes à son cou et partit en courant.

*** Un grand merci pour leur contribution à :

- un auteur de best-sellers

- un hibou

- une chatte

- un canard

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