S'élever vers les cieux

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Pour une raison inconnue, mon cœur se serre devant ce spectacle. Je ne sais même pas qui est enterré là. Même si c’étaient des soldats ayant combattu il y a cent ans, même si c’étaient des parents, aujourd’hui, je ne devrais pas ressentir quoi que ce soit. Ce devraient être des inconnus. Et pourtant… Quelque chose me dit que je les ai sans doute connus, côtoyés. Peut-être avons-nous partagé des combats. J’étais un combattant, cela va sans dire, mon corps s’en souvient mieux que moi, mais à quelle époque ? Depuis combien de temps ai-je disparu ?

Mon regard se perd le long des ruines, d’une route visiblement en mauvais état, avant de s’arrêter sur les monstres. Des créatures longilignes, mais bâties comme des portes de prison. Et armées, en plus de ça. Un long soupir m’échappe. Même si je parviens à m’échapper d’ici, j’ai bien peur que ma vie ne soit pas si facile. Les routes ne sont pas sûres et elles témoignent de milliers d’autre choses, d’un pays affaibli, où règne le danger, le risque, d’une absence de pouvoir politique, de l’impuissance généralisée. De l’abandon.

Pourtant, je serais bien incapable de nier la beauté des collines, des montagnes jumelles, des reflets brillants des fleuves, au loin. Ce paysage mérite d’être protégé. Il mérite la paix. Si je peux y participer, ne serait-ce qu’un peu…

Enfin, ce n’est pas encore dans mes cordes, tout ça. Je me retourne, légèrement dubitatif. Devant moi, deux grandes plaques de roches s’élèvent du sol, formant une bosse de plusieurs mètres de haut. Et pour l’instant, c’est à ça que j’ai affaire. Je vérifie l’endroit sur la tablette, mais elle est formelle. Au moins, je ne devrais pas avoir trop de mal à accéder à cet endroit… Voyons… Une des plaques est soulevée… Celle-là aussi, mais elle forme plus ou moins un dôme… Comme si quelque chose avait poussé au milieu… Oui, un trou… Et de la lumière ? La même lumière orange que celle de mon lieu de réveil ? Le même socle, avec la forme de la tablette à l’intérieur ?

Je ne suis pas sûr de comprendre. Je ne suis vraiment pas sûr. Cette matière, à la fois glaciale, inerte et solide, scintille comme une luciole, irrégulièrement, mais je n’ai jamais rien vu de pareil. Il est déjà rare que les minéraux réagissent ainsi à la lumière, mais qu’ils le fassent en plein jour, constamment… Ce doit être une technique antique, quelque chose que même mes contemporains ne savent pas faire. Et utiliser quelque chose dont on ne comprend pas le fonctionnement est toujours dangereux.

Reste à voir qui je mets en danger. À part moi, les rares créatures vivantes aux environs doivent être des grenouilles ou des papillons, quelques monstres tout à plus, mais rien de vraiment important. Et moi, mais je ne ferai que prouver la supériorité humaine dans l’art de mourir de sa propre bêtise. Allons-y, alors.

Avec une grande inspiration, je glisse la tablette à l’emplacement prévu à cet effet. Plusieurs secondes passent, immobiles. Tout semble s’arrêter autour de moi. Puis d’orangée, la lumière devient subitement bleue. Du même bleu que celui de ma grotte. Je me rapproche de la surface de la pierre, intrigué par le changement. Elle affiche : Tour sheikah activée. Attention aux rochers.

Le sol se met à trembler, brutalement. Instinctivement, je m’accroche au socle, avant de perdre mes appuis et de tomber lourdement, écrasé par la gravité et les secousses impressionnantes qui me projettent vers ce qui ressemble à des garde-corps. Les yeux fermés, je ne peux qu’être assourdi par le vacarme et m’accrocher de toute ma force aux étranges motifs de la barrière. Le vent siffle, glacial, me gifle de toute sa force et je peine à respirer.

Avec un grand claquement et un dernier à-coup, il me semble que le sol se stabilise. Il me faut plusieurs secondes pour que je me reprenne et me relève. Plusieurs secondes pour que je prenne conscience de ce qu’il venait de se passer. Un peu moins pour que je revienne au pied du piédestal où la tablette brille encore faiblement malgré le soleil de midi.

Transmission des informations locales.

Des bruits semblables au couinement d’une poignée de souris me font lever la tête. Sur une longue pierre sombre glissent d’anciennes runes illisibles, des glyphes de lumière dont la signification m’échappe. Et il semble qu’ils se réunissent dans une goutte d’un liquide lumineux qui tombe directement sur la tablette avant de se répandre dans l’air en rubans d’azur et de disparaître en scintillant. C’est… très beau, mais... Qu’est-ce que c’est que ça ? Je fronce les sourcils, me penche. J’espère que ça n’a pas endommagé la tablette.

Récupération des données topographiques.

À nouveau, le même phénomène de lumière, à la fois éblouissant, hypnotisant et incompréhensible, des symboles qui glissent comme de l’eau le long de la stalagmite, une goutte qui tombe sur la surface lumineuse, des fils de lumière qui disparaissent dans l’air. Et sur l’écran, une carte.

La carte de la zone a été enregistrée.

Attendez… Quoi ? Enregistrée ? Dans la tablette ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Comment ça fonctionne ?

Je m’approche, la récupère et l’examine. C’est étrange. Très étrange. Mais c’est comme une carte. Très précise, avec la position des arbres, ma position actuelle, l’emplacement de… la Tour du Prélude, visiblement, où je me trouve, même celle des ruines… Et là, c’est… Le Sanctuaire de la Renaissance ? Mais… Je suis mort ?

Je secoue la tête. Tu n’es pas mort, imbécile. Du moins pas encore. Tu l’as peut-être frôlée de très très près, mais tu es vivant. La meilleure preuve, c’est que tu respire, non ?

Un soupir m’échappe et je me détourne de la stèle.

Souviens-toi…

Quoi ? Qui… ? Encore cette voix ?

Je regarde autour de moi, me retourne, sans voir personne. Mais il me semble que la voix venait...

Souviens-toi…

Oui, du château. Du château duquel une aura maléfique se dégage. Pourtant, cette voix… Je sais qu’elle ne me veut pas de mal. Je suis même persuadé qu’elle est la clef qui me permettra de me souvenir de tout. Et comme un papillon attiré par la flamme, je me rapproche d’elle.

Pendant cent ans, tu es resté plongé dans le sommeil…

Cent ans ? Attendez, c’est…

La terre se met brutalement à trembler sous mes pieds, moins fort que tout à l’heure, mais plus menaçante, accompagnée d’une vague de terreur qui me fait frissonner. Devant mes yeux, une épaisse forme obscure jaillit du sol, un nuage de noir et de rose, irrégulier, artificiel, anormal. Un nuage… Vivant. Ma gorge se serre. J’étouffe. Mon corps s’affaiblit. Un sentiment d’impuissance. Un souvenir égaré…

Quand ce démon aura retrouvé sa pleine puissance, notre monde sombrera dans le chaos. Nous serons tous condamnés.

C’est à ce moment que j’aperçois, derrière l’épaisse brume malsaine, un éclat doré. Une lumière pure. La voix, c’est elle. J’en suis persuadé. Je sais où elle est, ce qu’il faut que je fasse. Dès que je serai libre, j’irai l’aider. Et tant pis si je finis par sauver le monde. Il faut que je lui vienne en aide.

Dans la distance, j’ai comme l’impression que l’aura maléfique entourant l’édifice se fait plus épaisse, qu’elle prend forme. La forme d’un monstre terrifiant, aux cornes de bœuf gigantesques, à la bouche tellement large qu’elle pourrait avaler une montagne sans avoir à mâcher, aux yeux vides, brillants, indéfinis au milieu d’un corps de chaos. Et la lumière, qui brille de plus en plus fort. Comme une luciole qui sacrifierait ses dernières forces pour lutter contre la nuit.

Le temps presse… Ne tarde pas... ou il sera trop tard.. Fais vite...

La voix faiblit. J’en suis sûr, elle faiblit. Il ne lui reste plus beaucoup de temps. Il faut que j’aille l’aider. Maintenant. Le plus vite possible. La soutenir. Si elle lutte depuis un siècle… Elle doit être épuisée.

Il est peut-être temps que je fasse mon devoir.

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