Ruines et monstres

6 minutes de lecture

Avec un signe au vieil homme, je pose la branche sur bord de la route et récupère, avec une aisance surprenante, la hache de bûcheron, avant de descend vers la vallée. Quelques marches, entre de petits talus rocheux, envahies par les fleurs et les mauvaises herbes, me permettent d’accéder à un autre pommier, d’où je récupère quelques provisions, avant de continuer à descendre.

Le chemin bordé d’arbres me semble avoir autrefois été plus entretenu, des restes de pavés, des angles de marches affleurent à la surface, sous une certaine couche de terre qui a déjà donné naissance à une herbe d’une taille impressionnante, parfois interrompue par des plantes plus hautes encore aux longs poils semblables à de l’avoine.

Si mes premiers pas sont plutôt nonchalants, les seconds s’arrêtent au milieu de la pente, brutalement. Derrière un arbre mince, une silhouette orangée se découpe. Décidément inhumaine. Orange, avec une seule corne au sommet d’un crâne immense, deux larges oreilles et un groin d’où dépassent quatre longues dents acérées. Sa tête plus avancée que son corps et ses bras écartés comme des ailes lui donnaient une envergure impressionnante mais son air manquait, disons, d’intelligence. Sans doute parce qu’il ne m’avait pas encore vu.

Avec un geste lent, je dégage la hache de mon harnais et, l’empoignant à deux mains, lance mon corps vers l’avant. Mes bras réagissent plus vite que moi, envoyant la lame à la rencontre de l’arbre, de la créature. De son cou. Le choc est impressionnant, mais mes mains ne lâchent rien. La lame tranche. Et elle tranche la bête aussi.

Quelque part, au fond de moi, j’ai envie de vomir. Et pourtant, mon corps n’en fait rien. Au contraire. Il regarde, sans bouger, un corps sans tête. Une tête sans corps. Une lame couverte d’un liquide visqueux. Jaunâtre. Lâche-la. Mon poing se serre. Le liquide continue de goutter, recouvrant le sol, écrasant les brins d’herbe raccourcis de plusieurs dizaines de centimètres. Il faut nettoyer tout ça, je ne vais pas la remettre dans mon dos pleine de...

Je ramasse les quelques brins d’herbe, frotte prudemment la lame, non sans évidemment me retrouver avec cette… chose sur les doigts. Beurk. Je lève la tête, à la recherche d’un point d’eau pour me laver les mains. Il y a bien ce qui ressemble à un lac à ma droite, mais ses berges sont trop escarpées, voire gardées par… Je plisse les yeux, le soleil brille de plus en plus fort, mais ce sont bien… Les mêmes créatures, mais l’une d’entre elle est bleue. J’avoue ne pas avoir envie de savoir ce que ça change. Il devrait bien y avoir d’autres points d’eau moins bien gardés. Sinon, le vieil homme devrait pouvoir me renseigner.

Avec un soupir résigné, j’essuie tant bien que mal mes mains sur mon pantalon. Ces taches ne sont ni ses premières, ni ses dernières et de toute façon il est trop court. Continuons à avancer.

Le bruit de mes pas résonnent sur la pierre. À droite, le lac se rapproche de plus en plus et avec lui les ruines d’anciennes maisons dont tout, ou presque, ont disparu. Ni toit, ni meubles, du bois vermoulu, brisé, soumis aux intempéries, des murs de pierre effondrés, des trous béants là où autrefois se trouvaient des fenêtres. De rares morceaux de verre qui reflètent encore la lumière du soleil.

Un bruissement me fait sursauter. Mais ce n’est qu’un rongeur. Les bois à ma gauche pullulent de créatures. De monstres, visiblement, mais également d’écureuils, d’oiseaux, petits et gros, de sangliers. Avec un peu de chance et la tombée du soir, un cerf sortira pour venir s’abreuver au bord du lac.

Je cueille un champignon qui poussait entre les racines d’un arbre, mais ne me relève pas tout de suite. Du coin de l’œil, quelque chose d’étrange a bougé. En direction du pommier, juste en bas de la pente. Accroupi dans les hautes herbes, je vois à peine le tronc, mais suffisamment pour distinguer une forme mouvante, indéfinie, translucide et surtout, bleue.

Respirant le plus lentement possible, je m’avance doucement au travers de cette forêt si fragile, en essayant de faire le moins de bruit possible. Au fur et à mesure de ma progression, ces choses qui, au premier abord, n’avaient de monstrueuses que leur apparition soudaine, devenaient de plus en plus ridicules. Ce que j’en avais vu correspondait exactement à ce qu’elles étaient : informes, gélatineuses et transparentes. Probablement peu dangereuses, mais tout de même, elles devaient au moins faire la taille d’un poney. Ce qui n’était pas négligeable. Comment savoir si sa lame allait rebondir ou trancher cette chose ? Il allait falloir frapper fort. Très fort.

D’un geste mécanique, je retire mon arme de son attache et me concentre. Si mon corps sait ce qu’il fait, tant mieux, mais je préférerai le savoir aussi. Non pas que ça m’inquiète, mais… Je secoue la tête. Si, bien sûr que ça m’inquiète, sauf que ce n’est pas le moment. Je commence à avancer, doucement, prudemment. Et si c’est pour ça qu’on m’a envoyé ici ? Parce que je suis dangereux ? Parce que…

Je relève les yeux et me retrouve face à face avec ceux globuleux de la créature. À rester dans mes pensées, j’en ai oublié d’attaquer. Mais il n’est pas trop tard. Le coup est parti au moment où j’ai réalisé que j’étais trop près et j’ai frappé. Fort. Très fort. Peut-être un peu trop fort.

La créature explosa, purement et simplement, me recouvrant de sa gelée, le tout avec un grondement digne du tonnerre des cascades. Je passe mes mains sur mon visage, maculé de monstre. Encore un truc gluant et collant qui vient de me recouvrir et cette fois-ci, tout entier. Et en plus, ça dégouline. Heureusement, si je ne me trompes pas, c’est une fontaine que je vois en face de moi. Elle n’a pas l’air de fonctionner mais peut-être…

Je vérifie d’abord que personne d’autre ne veut ma peau avant de m’approcher discrètement du bassin certes à moitié effondré mais possiblement… Vide. Bon. Tant pis. À moins que… Un éclat argenté, dans la direction qu’indique la tablette (qui n’a heureusement pas subi de dommages).

Serait-ce… De l’eau ?

Sans me soucier le moins du monde de suivre un quelconque chemin (après tout, ils étaient infestés de monstres, que je les suive ou pas, rien ne garantissait ma sécurité…), je descend à toute vitesse une volée de marche en plutôt bon état, passe par-dessus une rambarde à moitié ensevelie dans la terre et, en quelques mètres, me retrouve au bord d’une grande flaque d’eau. Si la première n’a pas beaucoup de fond, à peine quelques centimètres, elle a au moins l’avantage d’être claire et probablement potable. Je plonge mes mains dedans et profite à la fois d’une sensation de fraîcheur et de propreté. Je résiste à la tentation de me laisser tomber dedans et ôte mes vêtements sales. J’ai beau les plonger dans l’eau et frotter, je manque de savon. De toute façon, certaines taches sont trop incrustées pour pouvoir disparaître.

À quelques mètres, un réservoir un peu plus profond me permet de m’immerger jusqu’à la taille et de me débarrasser de la colle de monstre qu’il me reste dans les cheveux. Quelle idée de les avoir aussi longs, aussi… Non pas qu’ils me déplaisent, mais ils ne sont pas vraiment pratiques. Je lance un coup d’œil à la hache qui reste à portée de main mais… Je ne sais pas. Après tout, pourquoi pas. Entre les boucles d’oreille et les mèches blondes qui dépassent devant, ça ne me va pas trop mal. Et en les attachant, je dois pouvoir trouver un moyen… Voilà, comme ça, ça devrait aller.

Sortir propre, même humide, ça fait du bien. Ça permet d’avoir les idées claires. De chercher au bon endroit. Et cet endroit, c’est à quelques mètres de moi, mais surtout, à quelques mètres du bord. Ma curiosité l’emporte sur ma mission. Avant de chercher quoi que ce soit, je cours jusqu’à ce qui, de la hauteur du point de vue, m’apparaissait comme parfaitement circulaire. Mais ce ne sont que des ruines, des murs vides, écroulés, effondrés, à plusieurs kilomètres de hauteur. Et au loin, flottent des étendards déchirés sur les ruines de ce qui devait être un camp, brûlé, détruit, peuplé de monstres. Au pied d’un mur, un éclat attire mon regard. Ce sont… Des épées. Plantées dans la terre. Alignées.

Des tombes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0