Le vieil homme à la paravoile

7 minutes de lecture

Enfin, j’ai des préoccupations plus importantes, vitales, que je ne pourrai satisfaire en restant ainsi à admirer le paysage. Et je dois bien avouer que j’ai faim. Derrière moi, le pommier semble se cacher. Avec un sourire, je cueille un fruit, que je dévore instantanément. Visiblement, il va m’en falloir plus, mais c’est le seul qui soit à ma portée. Quoique… Si j’arrive à escalader la pierre, les arbres ne devraient pas être vraiment un problème, si ?

Je m’approche du tronc, me hisse jusqu’à la branche la plus basse et…

Craaaaaaac.

Visiblement, j’ai sous-estimé les arbres. Ou mon poids. Heureusement, la pomme n’a rien. Moi non plus, à part quelques échardes. La branche, en revanche… Je la prend dans ma main et, sans vraiment savoir pourquoi, me met en garde. Je fais quelques moulinets avec. Légère, robuste, courte certes, mais c’est mieux que rien. Avec un geste que j’ai sans doute mille fois répété, je la glisse dans ma ceinture, à côté des sacs dans lesquels je range la pomme. Autant faire des provisions, puisqu’il ne semble pas y avoir de ville aux alentours.

Une douce brise m’apporte la puissante odeur de la sève. Des forêts me reviennent en mémoire, mais sans autres indications. Suivons les chemins, pour l’instant. Il n’est pas encore nécessaire de se jeter dans le vide, puisque je ne sais pas encore où je vais, ni comment. La route, elle, relie forcément deux endroits. J’arriverai bien quelque part en la suivant. De toute façon, ça m’a surtout l’air être le moyen le plus sûr d’arriver en bas.

La route est assez large pour que je puisse me laisser emporter par la gravité et trottiner en descendant. Progressivement, l’odeur des arbres et de la nature s’estompe face à celle de la fumée. Quelqu’un est ici. Instinctivement, je prends mon bâton et me colle au mur. Mon cœur a accéléré, au point que ses battements ont éclipsé même le chant des oiseaux.

Le léger voile gris de la fumée s’élève à quelques pas de moi. Sous un enrochement, un vieil homme fait griller une pomme au feu. Il ne fait pas attention à ses alentours, mais je ne peux pas le contourner. Un soupir m’échappe, sans que je ne sache vraiment pourquoi. Il semble que communiquer avec les autres ne soit pas mon fort. Mais ici, je ne vois pas comment je pourrais l’éviter.

Faisons simplement mine de descendre de la montagne. Après tout, je ne dois pas être le seul… Mais, et si…

« Hé bien, il est rare de voir des gens par ici, jeune homme. »

Nous échangeons un regard. Sous sa capuche, seule sa longue barbe blanche dépasse. Et son bâton de marche seul ne me dit pas grand-chose. Pourtant, sa voix… Non, je dois rêver. Vu comme il m’observe, il ne m’a probablement jamais vu non plus. Je me sens rougir et détourne le regard. Le poids du sien remonte jusqu’à mon visage, m’écrasant sous son silence. À quoi peut-il bien penser ?

« Excusez-moi mais… Qui êtes-vous ?

- Tu t’intéresses à un vieil homme comme moi, me demande-t-il en éclatant d’un rire bourru, presque insultant. C’est plutôt rare ! Tu dois être quelqu’un de spécial ! Eh bien, je suis un vieil homme qui vit ici depuis longtemps, un vieil homme un peu fantasque. Et toi, jeune homme, que viens-tu faire par ici ? »

Désarçonné, je le fixe, la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau. Je ne peux pas lui répondre. Je n’en ai aucune idée, moi non plus. Il va me prendre pour un fou si je lui dis ça. Je ne peux pas lui mentir non plus. Je ne veux pas. Ça n’est pas… honnête. Pas plus que de ne pas répondre à sa question. Tentons autre-chose.

« Où sommes-nous ? je balbutie, avant de me mordre la langue. C’était complètement lamentable.

- Tu réponds à ma question par une autre question ? La jeunesse d’aujourd’hui me fait perdre mes repères… Mais tu me plais, jeune homme ! Et notre rencontre n’est sûrement pas le fruit du hasard. Je vais donc te répondre. Nous sommes sur le Plateau du Prélude, le berceau du royaume d’Hyrule, à ce qu’on raconte. Le temple que tu vois là, on raconte qu’il abritait toutes les cérémonies officielles du royaume. Mais depuis déjà cent ans, il est en ruines, tout comme le reste du royaume. Ce n’est plus qu’un lieu isolé et abandonné de tous. »

Dans sa voix, quelque chose se brise. Il reste longtemps pensif, assis sur son tronc, tandis que je tente de rattacher son histoire à quelque chose de ma mémoire. Cent ans. Des ruines. Je jette un regard dans la direction du lieu de mon réveil. Est-ce que j’ai quoi que ce soit à voir avec ces évènements ? Impossible… Mais je n’en sais rien. Et j’ai besoin d’informations. Alors pourquoi est-ce que c’est si dur de poser des questions ?

J’ouvre la bouche, la referme. Le vieil homme n’a heureusement rien vu.

« Euh… Que fais-tu ici ?

- Eh bien, je comptais rester me reposer un moment en mangeant de la pomme grillée, mais si tu as des questions, je ferai de mon mieux pour y répondre. D’ailleurs, c’est très nourrissant, la pomme grillée.

- Ah… Oui… »

Je secoue doucement la tête. Comme si ça allait changer quoi que ce soit, que je sache faire des pommes grillées. Enfin bon. J’en aurais sans doute besoin si je veux continuer mon chemin sans trop souffrir. Et puis, je suis bien placé pour savoir que la qualité des repas est essentielle pour le moral. Enfin, je crois. Je ne sais pas vraiment pourquoi…

« Il y a longtemps que vous êtes ici ? demandai-je timidement, les yeux rivés sur ma pomme en train de chauffer.

- Tellement longtemps que j’ai perdu le compte, vois-tu. Quelque chose comme… Plusieurs dizaines d’années, je crois.

- Et… Vous sauriez où je peux trouver la ville la plus proche ?

- La ville la plus proche ? Il y aurait bien le village Cocorico, mais ce n’est pas à côté. De toute façon, à moins de survivre à une chute de plusieurs kilomètres de haut, je ne vois pas comment tu pourrais l’atteindre.

- Plusieurs… kilomètres ?

- Oui, plusieurs kilomètres. Trop pour qu’un homme, même aussi bien bâti que toi, survive à une quelconque chute, et à moins d’avoir ta propre paravoile…

- Ma propre… quoi ?

- Une paravoile. Un objet permettant de planer en se jetant de haut. Mais c’est un objet unique en son genre et je ne peux pas te donner la mienne. Elle m’est… trop précieuse. »

Je reste silencieux. Aucun moyen de quitter cet endroit sans mourir ? C’est… étrange. Très étrange. À vrai dire, tout est bizarre, ici. Comment cet homme est-il arrivé sur ce plateau si on ne peut en repartir qu’en volant ? Quel intérêt de venir là, si ce n’est… Oh. À moins de ne pas y être de son plein gré. D’avoir été… enfermé ? Dans ce cas...

« Qu’est-ce que tu as à me regarder avec tes yeux tout tristes, jeune homme ?

- Je me demandais simplement… Comment et pourquoi vous êtes venu sur ces terres ?

- Ah ça, mon garçon, c’est quelque chose que je ne tiens pas vraiment à partager, soupira l’homme avec un sourire amer. Mais la Déesse Hylia pourra sûrement t’aider. Ah et ma hache aussi, il y a quelques monstres sur le chemin à qui une belle frayeur ne ferait pas de mal. Je ne sais pas où tu vas, mais n’hésite pas, ces créatures sont un peu agressives mais quelques coups bien placés font toujours leur effet. »

Sans doute mon regard s’est-il laissé un peu trop emporter par ma perplexité. Cet homme est sans contestation possible différent des autres. Quels autres…? Peu importe. Et que ce soit en mal ou en bien, il est encore trop tôt pour le dire. Enfin, ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire. Si vraiment il n’y a pas d’autre solution que de sauter…

J’ai beau essayer d’imaginer d’autres plans, il me semble sensé d’écouter quelqu’un qui est bloqué sur ces terres depuis des dizaines d’années. Si c’est la seule manière de partir d’ici...

Je me lève et remercie le vieil homme.

« Oh, nous nous reverrons, réplique-t-il en éclatant de rire, je n’en doute pas, jeune homme. J’ai vécu assez longtemps pour au moins pouvoir dire ça. J’habite derrière le temple, ce n’est pas très compliqué, c’est la seule maison de tout le Plateau ! Et si tu tiens vraiment à cette paravoile… Hylia est la lumière de ces terres, crois-moi, tu auras ta réponse. »

Je hoche la tête. Au moins, nous sommes d’accord sur un point.

« Link ! »

Je me retourne brusquement. Cette voix. Encore elle.

« Link, suis les indications de la tablette, rend-toi à l’endroit qu’elle indique ! »

Quoi ?

Sous les yeux surpris du vieil homme, je récupère la tablette, remarque une carte et un point jaune qui clignote, à… Ce qui ressemble à un ou deux kilomètres d’ici. Je jette un regard au soleil qui n’a fait que s’élever depuis que j’ai quitté la grotte. Je devrais pouvoir y être avant midi. Avec quelques pommes, je devrais pouvoir tenir la journée, peut-être même celle de demain. Et si ce doit être en mangeant exclusivement des pommes grillées, eh bien soit. De toute façon, je ne sais rien faire d’autre, je n’ai rien à faire d’autre, alors allons-y.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0