Chapitre 43

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Mais l'être penché au dessus d'elle n'attendait pas de réponse. Sa voix rauque reprit, dans des accents plaintifs que la succube ne lui avait jamais entendu :

– Non, c'est moi… c'est moi qui te force…

Il tira distraitement sur l'une des chaînes qui emprisonnaient le corps d'Iluth. Ses anneaux se tendirent d'un coup sec et le métal mordit la plaie béante qui dégorgeait de sang, inscrite en travers de son ventre.

Alban, le visage flou dans les ténèbres, observait sa douleur.

– C'est moi… qui te fais tout cela…

Il fit deux pas en arrière et commença, doucement, à s'éloigner d'elle à reculons.

– Ne me suis pas. Je te laisse ici. Je ne te ferai plus de mal, je te le promets. Plus jamais.

Serrées autour de son corps congestionné, les chaînes commencèrent à disparaître. Un souffle haché gonfla les poumons d'Iluth, soulagée d'une parcelle de sa douleur.

– C'est bien… murmura encore l'ombre indistincte qui disparaissait au loin. Nous sommes mieux ainsi. Reste là… C'est tout. Reste loin de moi…

Les chaînes se diluèrent complètement dans les ténèbres, laissant en paix la chair à vif de la jeune fille. Tous ses muscles se relâchèrent. L'esprit encore fou de douleur, elle resta échouée sur le dos, écoutant les pas d'Alban disparaître au loin. Elle inspira à fond et la souffrance reflua un peu, se replia au creux de ses os pour y pulser sans fin. Ce mal finirait par disparaître, si de nouvelles chaînes ne venaient pas terminer l'œuvre des précédentes. Si Alban restait loin de la démone. Il ne reviendrait pas, elle le savait. Enfin seule ! Seule comme elle l'avait toujours été. Seule pour ne compter que sur elle-même et panser les blessures que l'homme lui avait faites. Elle s'apprêtait à se recroqueviller, à s'endormir en position fœtale pour oublier tout ce désastre, lorsqu'une étincelle de lucidité éclata sous son crâne.

S'avouer vaincue ? Hors de question !

Une rage folle grandit soudain entre ses côtes. Elle prit une énorme respiration…

…et creva la nappe du sommeil comme une presque noyée crève la surface de l'eau.

– Alban ! crachota-t-elle alors même qu'un dernier spasme hérissait sa carcasse. Alban !

La douceur froide de la nuit se déversa en elle, purifia son cœur affolé ; les petits bruits de la forêt endormie transpercèrent le silence du cauchemar qui lui emplissait encore les oreilles.

– Alban !

Il s'agita dans son sommeil, les traits imperceptiblement crispés. Elle se traîna sur lui, écrasa son torse sous sa masse de poney nain et fourra son mufle léger dans le cou du chasseur. Sa peau était brûlante. Il remua et émergea lentement du sommeil. Elle ne put distinguer ses yeux sans doute collés par la fatigue, ni sa moue d'étonnement face à la licorne étalée sur son corps. Mais cela importait peu. Elle murmura au creux de son oreille dans de longs chuchotis pleins de rage :

– Quoi que tu fasses, quoi que tu m'infliges, je te suivrai aussi loin qu'il le faudra ! Tu auras beau décapiter mes frères et mes sœurs, tuer autant de dragons que tu voudras, me traîner dans la boue et me blesser sans le penser, te moquer de moi et ignorer mes douleurs, jamais tu ne me laisseras derrière toi. Je serai toujours là, comme ton ombre, dans tes rêves et derrière le moindre de tes pas. Je sera là et jamais tu ne me blesseras assez pour me faire fuir.

Il grogna de surprise, chercha à dire quelque chose, mais elle le coupa de sa voix vive déjà débarrassée des derniers lambeaux de sommeil :

– Tu as peur ! Voilà la vérité. Tu as peur de traîner une créature plus faible derrière toi, de devoir en prendre soin, de devoir la protéger. Tu es terrifié à l'idée de me faire du mal, alors même que tu voudrais n'en avoir cure. Terrifié à l'idée de me perdre comme tu les as perdus à l'époque.

Soudain épuisée, elle posa la tête sur son épaule et ferma les paupières, perdue dans son odeur rassérénante.

– Tu me crains plus que tu n'as jamais craint personne. Mais surtout, tu crains ce que je fais ressurgir en toi.

Alban ne répondit pas. Il avait déjà replongé dans le sommeil ; les griffes de son cauchemar s'étaient refermées sur lui. Mais cette fois, Iluth ne l'y suivrait pas.

Lire aussi clairement dans l'esprit d'Alban lui avait amplement suffi pour cette nuit.

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